« Showing Up », l’errance de l’art

« Showing Up », l’errance de l’art

« Showing Up », l’errance de l’art

« Showing Up », l’errance de l’art

Au cinéma le 3 mai 2023

À quelques semaines de son exposition, Lizzy, sculptrice, tente de se concentrer sur ses créations malgré un quotidien mouvementé. Cinéaste de l'introspection, Kelly Reichardt retrouve la solaire Michelle Williams pour une exploration du processus créatif à l'état brut, détaché de toute exaltation. Œuvre éthérée à la lenteur assumée, Showing Up invite à sculpter de la beauté dans la matière brute de cet instant suspendu chahuté par les aléas de la vie.

Lizzy (Michelle Williams) est en plein préparatifs de son exposition dont le vernissage est prévu dans quelques semaines. Mais, en parallèle de ses créations, la sculptrice doit gérer les aléas du quotidien. Difficile de rester concentrée tout en gérant les dégâts causés par son chat et une chaudière désespérément en panne malgré les relances auprès de Jo (Hong Chau), sa propriétaire également artiste. Sans parler des petites contrariétés familiales.

Autant d’éléments qui insufflent une part de chaos que Lizzy tente de transformer tant bien que mal en source d’inspiration.

Showing Up © A24 - Filmscience - Diaphana Distribution

L’art de montrer

En octobre 2021, le Centre Pompidou consacre une rétrospective au travail de Kelly Reichardt. Pour l’occasion, elle réalise deux courts métrages documentaires sur deux sculptrices : Michelle Segrey et Jessica Hutchins. Lorsque la cinéaste visite leurs ateliers, elle a déjà prévu avec Jonathan Raymond, son fidèle coauteur, que son prochain film traitera de la vie d’artiste et plus précisément du rapport au travail créatif face aux aléas de la vie.

Le tournage de ces deux films documentaires conforte la réalisatrice dans son envie de réaliser un long métrage sur le thème de l’art. Pour le traitement, Kelly Reichardt ne change pas sa vision cinématographique : centrer son film sur les personnages, ici Lizzy au cœur de la tornade, avec une conception de la dramatisation réduite au minimum.

Un parti pris qui peut décontenancer pour la langueur de certaines scènes autant qu’il charme les adeptes de ce cinéma introspectif. Ce regard particulier porté par Kelly Reichardt inspire d’ailleurs jusqu’à ses collègues à l’instar de Georgia Oakley, réalisatrice de Blue Jeanlire notre critique – qui se revendique de cette méthode d’écriture.

Showing Up © A24 - Filmscience - Diaphana Distribution

Inspiration

Pour mettre en scène une sculptrice, il faut des œuvres à montrer. Les silhouettes façonnées par le personnage de Lizzy dans le film sont les créations de l’artiste Cynthia Lahti. Lorsqu’elle a été contactée par la cinéaste, l’artiste en pleine période de doute s’apprêtait à fermer son atelier. Elle finit cependant par accepter de travailler sur le film.

Un choix qu’elle n’a pas eu à regretter car Cynthia Lahti retrouve l’inspiration en enseignant à Michelle Williams son art sur le tournage. En cherchant à capter l’élan créatif, la réalisatrice l’a inspiré. Cette anecdote sur les circonstances du tournage fait écho avec le ton de Showing Up qui explore les affres de la création à travers l’incertitude et les petits tracas du quotidien.

Étudiante et désormais enseignante depuis sept ans dans une école d’art, Kelly Reichardt connaît le milieu artistique dans lequel Lizzy évolue. Le film est d’ailleurs tourné en partie au sein d’une école d’art de l’Oregon. Fermée lors du tournage pour cause de Covid, l’école est animée artificiellement pour l’occasion par de jeunes artistes et des figurants. Un dernier sursaut pour cet établissement qui a définitivement fermé depuis le tournage.

Showing Up © A24 - Filmscience - Diaphana Distribution

Au travail

En se focalisant sur la trivialité du quotidien, Showing Up démystifie totalement l’image de l’artiste soudain frappé par une inspiration divine – ou une grâce d’origine païenne selon ses croyances. Comme à son habitude, Kelly Reichardt prend son temps pour capturer le processus créatif de son héroïne. La fulgurance géniale laisse sa place à une langueur laborieuse. Le processus créatif désacralisé exige d’expérimenter et de rater pour tout recommencer, en mieux.

L’œuvre de Lizzy s’ancre également dans le quotidien frustrant grâce – ou à cause – des préoccupations de tous les jours. Lizzy n’est pas l’artiste bohème créant des chefs-d’œuvre paisiblement à l’abri du monde. La sculptrice ne vit pas d’amour et d’eau fraîche. Elle n’a d’ailleurs même plus d’eau chaude ! Loin de l’artiste déconnectée, Lizzy a également un véritable travail à l’école d’art qui lui permet de payer son loyer et les croquettes de son chat.

Malgré un générique faisant la part belle aux dessins préparatoires de ses créations, le processus artistique n’est qu’un fil rouge tout au long du film. Le résultat du travail de Lizzy n’est pas une fin en soi en dehors du délai à respecter pour l’exposition. Aucun lien n’est en effet véritablement établi entre l’artiste et son œuvre comme il est habituel de la faire, parfois assez artificiellement. Showing Up ne cherche pas à expliquer les sculptures de Lizzy, pas plus que le film tente de nous les faire aimer. La production créative s’inscrit en négatif, en réaction et à travers le prisme des tracas de Lizzy qui viennent ralentir son essor. Entre un pigeon qu’elle doit soigner pour réparer les dégâts de l’instinct prédateur de son chat, son amie propriétaire aux abonnés absents, son frère vivant en ermite et ses parents divorcés en roue libre, l’artiste a de quoi faire.

Showing Up © A24 - Filmscience - Diaphana Distribution

Charmant désordre

Sur le papier, Showing Up propose une intrigue pour le moins légère. Ses errances introspectives font écho à Wendy et Lucy (2008) dans lequel Michelle Williams montrait déjà sa capacité à tenir ce genre de film sur ses solides épaules. Kelly Reichardt montre une nouvelle fois qu’elle sait mener sa barque sur les eaux calmes sans que son frêle esquive ne soit emporté par une vague de désintérêt ou d’ennui.

Sur le fil, la cinéaste réussit à capter l’attention par sa façon de filmer ses personnages au cœur d’un quotidien évoquant une banalité familière. Leurs trajectoires se déroulent naturellement sans être guidées par une idée particulière ou une thèse à défendre. Artiste égoïste – est-ce un pléonasme ? -, Lizzy n’a d’ailleurs pas besoin d’être une héroïne particulièrement attachante pour que cela fonctionne.

Éloge du voyage plus que de l’arrivée, le cinéma de Kelly Reichardt invoque le ressenti plus que la démonstration. Son œuvre se complète d’une jolie manière avec ce film d’autant plus charmant qu’il possède un humour détaché rafraîchissant.

Showing Up © A24 - Filmscience - Diaphana Distribution

« Quand la vie vous donne des citrons, faites de la citronnade » conseille un célèbre dicton américain. Showing Up semble en être une transposition dans le domaine artistique. Séduisante déambulation créatrice, sa fragilité scénaristique apparente vient joliment renforcer cette conception de la beauté surgissant de ce chaos permanent qu’est la vie.

> Showing Up, réalisé par Kelly Reichardt, États-Unis, 2022 (1h48)

Showing Up

Date de sortie
3 mai 2023
Durée
1h48
Réalisé par
Kelly Reichardt
Avec
Michelle Williams, Hong Chau, André Benjamin, Judd Hirsch, Amanda Plummer, John Magaro
Pays
États-Unis