Membres de la communauté innue d’Uashat, Mikuan (Sharon Ishpatao Fontaine) et Shaniss (Yamie Grégoire) sont meilleures amies depuis leur enfance. Petites, elles se sont promis de toujours rester ensemble.
Pourtant, alors que l’adolescence touche à sa fin, les aspirations de deux amies semblent les séparer. Suivant la tradition innue, Shaniss a déjà fondé une famille tandis que Mikuan rêve de quitter la réserve. Amoureuse d’un blanc, la jeune apprentie écrivaine souhaite changer d’air pour démarrer une nouvelle vie, en dehors de la communauté.
Bienvenue à Uashat
Publié en France en 2011, Kuessipan est le premier livre de Naomi Fontaine, jeune auteure qui dévoile dans ce roman son expérience dans la réserve innue où elle a grandi. Avec ce livre, l’auteure casse les clichés sur Uashat, une réserve enclavée au sud-ouest de Sept-Îles sur le bord de la baie du Fleuve St-Laurent. Cette réserve est l’un des deux lieux où vit la communauté innue.
Avec son titre que l’on peut traduire par « À toi » ou « À ton tour », le livre de Naomi Fontaine invite les habitants de la communauté à s’extraire de l’image de désœuvrement qui leur est associée et à revendiquer leur identité. En combattant les clichés, le roman offre une plongée sincère dans le quotidien de la communauté. Une vision qui a charmé la réalisatrice Myriam Verreault.
La cinéaste a débuté la scénarisation de Kuessipan dès 2012 en lien étroit avec l’écrivaine du roman éponyme. Un long travail de recherche qui a duré cinq ans et a nécessité de multiples voyages d’immersion dans la communauté innue.
Invisibles
En s’entourant de l’auteure pour collaborer au scénario, Kuessipan flirte avec une précision documentaire. Si l’histoire d’amitié entre Mikuan et Shaniss est fictive, le souhait de la réalisatrice est de capter l’esprit de la communauté. Pour ce faire, les comédiens sont pratiquement tous des Innus de Uashat pour qui c’était la toute première expérience professionnelle de jeu.
Quitte à montrer au monde les habitants de la communauté jusque-là invisibles au cinéma ou à la télé, autant les solliciter directement. Les Innus dans le film jouent ainsi des rôles très proches de leur vécu. Kuessipan réintègre les habitants de la réserve au sein de la population québécoise en décidant de les montrer tels qu’ils sont, loin des clichés habituels.
Si les difficultés au sein de la communauté sont réelles, le film de Myriam Verreault met en avant la solidarité et l’entraide qui permet aux Innus de survivre en tant que peuple.
Liberté chérie
Choisie pour sa proximité parfaite avec le personnage de Mikuan imaginé par la cinéaste, Sharon Fontaine-Ishpatao incarne une envie d’ailleurs qui entre en conflit avec la promesse faite à son amie d’enfance. Alors que les jeunes femmes innues fondent une famille tôt dans leur vie, Mikuan rêve d’indépendance et de quitter cette réserve devenue trop petite pour elle.
Cette amitié fusionnelle mise à l’épreuve invoque l’idée de liberté qui plane au-dessus du film. Un rapport à la liberté qui est multiple : par rapport au territoire, dans la relation aux autres ou dans ses aspirations pour le futur. Mikuan peut-elle quitter la communauté sans la trahir ? Le dilemme est d’autant plus complexe qu’il n’existe pas de mot qui désigne « liberté » en innu.
Selon Naomi Fontaine, la notion de liberté dans sa langue pourrait être remplacée par la « fin de l’enfermement ». Pour Mikuan, découvrir la véritable liberté ne peut passer que par une sortie du lieu restreint de la réserve. Le lien qui menace de rompre entre les deux adolescentes invite à faire la part entre la réserve, ce territoire exigu, et la communauté innue, des habitants dont les liens dépassent les frontières terrestres.
Héritage et survie
La question de la survie de la communauté innue est intimement liée au dilemme qui préoccupe Mikuan. Le choix personnel de partir ou non s’inscrit plus largement dans une dynamique qui influe sur l’avenir de la réserve toute entière. La relation que Mikuan entretient avec Francis (Étienne Galloy), un Blanc, est mal perçue car elle entre en résonance avec une réelle angoisse liée à la survie en tant que communauté.
La réaction de rejet de Shaniss face au petit ami de Mikuan s’inscrit dans un réflexe de résistance d’une communauté de moins de vingt mille personnes en minorité au sein d’une nation de huit millions d’habitants. Bien malgré elle, Mikuan est soumise à l’éternelle question de cet équilibre fragile entre protection de la richesse culturelle et repli identitaire.
Et ce dilemme est d’autant plus difficile à assumer qu’il est influencé par le poids de l’histoire. Les dernières découvertes macabres au Canada viennent rappeler les horreurs commises au nom de l’intégration des populations autochtones au sein de la communauté nationale. L’envol souhaité par Mikuan en est d’autant plus symbolique.
Immersion sincère au sein de la communauté innue, Kuessipan charme par le naturel solaire de ses acteurs amateurs et sa vivifiante ode à la liberté. De quoi « tomber en amour » comme on dit au Québec avec cette communauté dont vous ignoriez probablement l’existence jusque-là.
> Kuessipan, réalisé par Myriam Verreault, Québec, 2019 (1h57)