« Blue Jean », la loi du bâillon

« Blue Jean », la loi du bâillon

« Blue Jean », la loi du bâillon

« Blue Jean », la loi du bâillon

Au cinéma le 19 avril 2023

Dans l'Angleterre de Margaret Thatcher, Jean, professeure d'éducation physique, cache son homosexualité pour ne pas attirer l'attention de ses collègues surtout depuis le vote d'une loi visant la communauté gay. Entre pression sociale et homophobie intériorisée, Blue Jean explore avec beaucoup de nuances les conséquences dévastatrices d'une stigmatisation institutionnalisée de l'intime. Une plongée au cœur d'un combat de la fin des années 80 d'autant plus saisissant qu'il reste d'une actualité désespérante.

En 1988, le gouvernement de Margaret Thatcher vote la « Section 28 », une série de lois prohibant « la promotion de l’homosexualité » au Royaume-Uni. Pour éviter de perdre son emploi, Jean (Rosy McEwen), enseignante d’éducation physique, est obligée de cacher le fait qu’elle est en couple avec Viv (Kerrie Hayes). Une décision que sa compagne, fervente militante des droits de la communauté, a du mal à accepter.

Et la situation se complique lorsque Lois (Lucy Halliday), une des élèves de Jean, menace de révéler son secret.

Blue Jean © Kleio Films, BBC Film, BFI Film, Fund Great, Point Media - UFO Distribution

Section d’assauts

En 1988, un groupe de lesbiennes descendent en rappel à l’intérieur de la Chambre des Lords pour exiger la protection des droits des personnes gay britanniques. Une action coup de poing en réaction à la proposition de loi « Section 28 » de Margaret Thatcher. Finalement votée, la série de lois empêche notamment les établissements scolaires et les pouvoirs publics de faire la « promotion de l’acceptabilité de l’homosexualité en tant que prétendue relation familiale ».

En découvrant l’existence de cette action militante, la réalisatrice Georgia Oakley prend conscience qu’elle était à l’école alors que cette loi était en vigueur. Avec le recul, la culture du silence imposée par cette législation explique selon elle le manque de modèles gay, chez ses professeurs ou camarades, à qui elle aurait pu s’identifier. Une réalité étouffée qui a eu des répercussions sur la découverte de sa propre sexualité.

Pour préparer ce premier long métrage destiné au cinéma, Georgia Oakley a réuni les témoignages des femmes ayant vécu à l’époque la même situation que Jean, leur vie intime écrasée par la pression sociale. À travers son trio d’actrices principales remarquables, Blue Jean explore l’intériorisation de l’oppression mais aussi la révolte qui gronde au sein d’une communauté qui n’accepte pas de devoir vivre cachée.

Blue Jean © Kleio Films, BBC Film, BFI Film, Fund Great, Point Media - UFO Distribution

Hommage au désespoir

Filmé en 16mm, Blue Jean possède un grain d’image qui rend hommage autant qu’il s’inspire des films de l’époque. En collant à cette esthétique, Georgia Oakley donne l’impression de capter sur le vif la pression qui pèse sur les épaules de Jean et ses camarades. Un parti pris qui fonctionne très bien en évitant le regard fantasmé sur cette époque qui pourrait imposer une lecture trop analytique des évènements a posteriori.

Le résultat est d’autant plus réussi que la problématique de la stigmatisation est totalement incarnée par Rosy McEwen. L’actrice prête à son personnage tiraillé un certain flegme sous lequel on sent bouillir une rage impossible à exprimer publiquement. Une focalisation sur le personnage inspirée par des cinéastes comme Kelly Reichardt et Chantal Akerman que Georgia Oakley cite comme références. Cette focalisation sur l’intime permet d’en faire un portrait plus complexe qu’une simple victime.

Entre son travail et l’affirmation de son identité sexuelle, Jean a fait son choix. Avec la « Section 28 », sa vie intime devient un sujet de débat public, perçue comme une menace par une grand part de la société. Paralysée par cette homophobie validée par l’institution, elle finit par l’intérioriser, à son corps défendant. Contrairement à sa compagne Viv, Jean décide que la lutte n’en vaut pas la peine. Mais il y a un prix à payer pour ce renoncement.

Blue Jean © Kleio Films, BBC Film, BFI Film, Fund Great, Point Media - UFO Distribution

Conflits d’intérêts

Au-delà de son rôle de témoignage d’une époque, l’intérêt de Blue Jean réside également dans l’ambiguïté de Jean. Victime de la « Section 28 », la professeure se protège en intégrant totalement cette discrète mais redoutable répression. Car se taire ne suffit pas, Jean doit également affronter l’envie d’en découdre de sa compagne et, encore plus problématique, de son élève Lois.

Militante pour les droits de la communauté, Viv incarne une affirmation politique que Jean ne peut se permettre. Adolescente revendiquant son homosexualité, Lois ne compte pas se laisser harceler par ses camarades de classe. Son point de vue est moins politique qu’intime et elle ne comprend pas que Jean cache son secret. Avec la fougue rafraîchissante de la jeunesse, Lois pense qu’il faut renverser la table et dire à tout le monde d’aller se faire voir.

La relation tendue qui s’installe entre Jean et son élève symbolise cette lutte entre le renoncement et le combat pour la visibilité. En choisissant de se faire discrète, Jean est entraînée dans un cercle vicieux qui aura de lourdes conséquences pour Lois. Tiraillée entre les réactions de Viv et Lois, Jean doit assumer une hypocrisie qui la fait basculer dans le camp de l’oppresseur. Cette opposition résume parfaitement le poids d’une répression institutionnelle qui écrase tout et donne à Jean l’aura d’une anti héroïne poussée à faire des choix discutables.

Blue Jean © Kleio Films, BBC Film, BFI Film, Fund Great, Point Media - UFO Distribution

Héritage discriminant

Avec sa texture granuleuse, Blue Jean pourrait n’être qu’un souvenir un brin suranné d’un débat sociétal désormais révolu. Malheureusement, il n’en est rien. Le film de Georgia Oakley puise sa puissance dans la modernité de son propos. Car si la « Section 28 » a été abrogée le 21 juin 2000 en Écosse et le 18 novembre 2003 dans le reste du Royaume-Uni de telles lois homophobes continuent d’exister dans d’autres pays.

En près de trois décennies les termes ont changé, mais il suffit de se pencher, par exemple, sur le programme de la droite conservatrice américaine pour se rendre compte que la communauté LGBTQIA+ est toujours ciblée. Souvent sous couvert du terme fourre-tout « wokisme » pour cacher une homophobie radicale, le rejet des personnes gay ou trans sont toujours d’actualité avec les mêmes peurs absurdes.

Cette stigmatisation qui agite la menace d’une « contamination » des préférences sexuelles auprès des élèves par simple fait de l’évocation est toujours présente. Un obscurantisme stupide qui occupe le terrain en occultant les vrais sujets de l’éducation sexuelle des jeunes : accès au porno sur Internet de plus en plus tôt, lutte contre le harcèlement et les violences sexuelles…

Blue Jean © Kleio Films, BBC Film, BFI Film, Fund Great, Point Media - UFO Distribution

En posant un regard juste sur les conséquences intimes de la « Section 28 », Blue Jean offre un portrait complexe et bouleversant d’une femme prise dans le piège d’une oppression intériorisée. Le récit d’un rejet socialement accepté qui continue encore d’alimenter de nos jours des discours rétrogrades aux conséquences toujours aussi dangereuses.

> Blue Jean, réalisé par Georgia Oakley, Grande-Bretagne, 2022 (1h37)

Blue Jean

Date de sortie
19 avril 2023
Durée
1h37
Réalisé par
Georgia Oakley
Avec
Rosy McEwen, Kerrie Hayes, Lucy Halliday
Pays
Grande-Bretagne