« Mignonnes », mûrir peut attendre

« Mignonnes », mûrir peut attendre

« Mignonnes », mûrir peut attendre

« Mignonnes », mûrir peut attendre

Au cinéma le 19 août 2020

Perturbée par un bouleversement familial, Amy, 11 ans, s'initie à des chorégraphies sensuelles pour intégrer un groupe de danseuses... au risque de grandir trop vite. Porté par l'énergie de ses jeunes actrices, Mignonnes frappe fort en mettant en scène l'hypersexualisation de préadolescentes. Volontairement dérangeant donc nécessaire, ce cri d'alarme féministe dynamite au passage une tradition patriarcale oppressante et met en garde contre la tyrannie insidieuse des réseaux sociaux.

Amy (Fathia Youssouf), 11 ans, vit très mal la décision de son père de prendre une seconde femme. Alors qu’il doit prochainement rentrer en France avec sa nouvelle compagne pour se marier, Mariam (Maïmouna Gueye), la mère d’Amy, doit accepter la situation au nom de la tradition. Pour fuir l’insupportable humiliation imposée à sa mère par son entourage, la jeune fille timide et solitaire cherche à se faire des amies.

Amy sympathise avec Angelica (Médina El Aidi-Azouni) et rêve d’intégrer « Les Mignonnes », son groupe de danseuses. Afin d’être acceptée parmi elles, Amy apprend les bases d’une danse sensuelle, volontairement provocante. Dans son attitude et ses chorégraphies, la pré ado reproduit les clichés d’une sexualité dont elle ne possède pas les codes. Guidée par l’impérieuse nécessité de trouver sa place, Amy est tiraillée entre une tradition patriarcale étouffante et une liberté superficielle dont elle ne perçoit pas la dangerosité.

Mignonnes © Jean-Michel Papazian pour BIEN OU BIEN PRODUCTIONS 2018

Regard enfantin sur l’inégalité

Tout en évoquant des thèmes différents, Mignonnes possède un lien de parenté fort avec Maman(s) (2015), le premier court-métrage de la cinéaste inspiré de sa propre vie. Multi récompensé — notamment par le César du meilleur court métrage en 2017 —, ce court évoquait déjà la polygamie vue à travers le regard d’une petite fille noire en France.

Maïmouna Doucouré réussit de nouveau à faire ressentir avec une grande justesse les tourments de son héroïne en filmant les événements à travers son regard. Une immersion à hauteur d’enfant qui emprunte les codes du conte et bénéficie de l’interprétation solaire de la jeune Fathia Youssouf dont le charisme crève l’écran.

Résolument féministe, Mignonnes entremêle habilement les problématiques pour dépasser la simple condamnation de la polygamie. Au-delà de cette pratique, le parcours de la jeune Amy est une réflexion plus globale et délibérément provocante sur la place de la femme dans notre société, vu à travers le prisme d’une gamine en construction.

À l’âge de son héroïne, Maïmouna Doucouré rêvait d’être un garçon. Sans rejeter sa féminité, elle pensait tout simplement que la vie serait plus juste si elle était née de sexe masculin. Ce sentiment d’inégalité — difficilement contestable — plane tout au long du film sur la métamorphose de la jeune Amy, de jeune fille adorable à un ersatz dérangeant de bimbo.

Mignonnes © Jean-Michel Papazian pour BIEN OU BIEN PRODUCTIONS 2018

Deux sales ambiances

Comme toutes les jeunes filles aux portes de l’adolescence, Amy tente de maîtriser tant bien que mal le chaos qui s’annonce. Une épreuve d’autant plus difficile pour la jeune fille qu’elle se retrouve tiraillée entre deux cultures aux valeurs radicalement opposées. Pour échapper au carcan d’une tradition patriarcale, Amy se jette à corps perdu dans une danse symbole à ses yeux de liberté.

En adoptant des chorégraphies lascives dont elle ne possède pas les codes, Amy n’a pas conscience qu’elle remplace un asservissement par un autre. Alors que sa mère doit accepter la polygamie de son mari sans pouvoir exprimer son désaccord, la préadolescente intègre — comme un jeu pour son regard d’enfant — l’hypersexualisation malsaine de son corps.

La tradition et une certaine modernité s’opposent dans Mignonnes, cependant Maïmouna Doucouré choisit habilement de ne pas réduire le choix de la jeune fille à ces deux extrêmes. Avec subtilité, la cinéaste propose une porte de sortie à la crise de la jeune fille qui évite tout manichéisme. Rejetant les deux modèles féminins imposés d’une part par ses proches et d’autre part par la société, Amy saura trouver sa propre voie : pour soutenir sa mère, tout naturellement.

Mignonnes © Jean-Michel Papazian pour BIEN OU BIEN PRODUCTIONS 2018

Dirty dancing

La danse est au cœur de la transition d’Amy, elle lui permet d’intégrer « Les Mignonnes » au prix d’une évolution radicale. Pour rejoindre le groupe, Amy doit faire ses preuves. C’est elle qui propose aux autres filles des chorégraphies lascives inspirées de ce qu’elle a pu voir dans des clips vidéos. Ces déhanchements provocateurs permettent à Amy d’asseoir sa crédibilité au sein du groupe.

Obnubilées par l’idée de faire comme les modèles que la société — du spectacle notamment — leur propose, Amy et ses nouvelles copines ne voit pas le mal dans ces chorégraphies aux connotations sexuelles qui leur échappent. Dérangeantes, ces séquences de danse sont terriblement efficaces car elles imposent de réfléchir à l’hypersexualisation des jeunes filles. Un débat d’autant plus urgent dans la société française où il y a encore peu de temps un écrivain reconnu pouvait confier ses tendances pédophiles dans un sidérant silence complice.

Pour la préparation du film, la réalisatrice a rencontré et filmé des centaines de filles d’une dizaine d’années pour comprendre cette impérieuse envie de grandir. Mignonnes capte avec brio cette frénésie qui pousse des jeunes filles à vouloir devenir des femmes alors qu’elles ne sont pas encore passées par la case de l’adolescence. Le twerk suggestif réalisé dans leurs chorégraphies est un parfait symbole de ce simulacre de sexualité vide de sens. Tous ces gestes renvoient une image dont les jeunes filles n’ont pas conscience, d’autant qu’elles sont aveuglées par l’illusion de la popularité en ligne.

Mignonnes © Jean-Michel Papazian pour BIEN OU BIEN PRODUCTIONS 2018

Likée ou zappée

Sur les réseaux sociaux, la provocation des chorégraphies va de paire avec le succès des danseuses. Entraînées dans un cercle vicieux, les jeunes filles imitent ce qui est populaire pour être à leur tour l’objet de toutes les attentions. Dans son exploration de la construction de la féminité, Mignonnes interroge ainsi le rôle parfois dévastateur joué par les réseaux sociaux qui permettent un accès facilité à la pornographie et l’exposition de sa propre intimité.

Trop d’informations, trop tôt… sans contrôle ou explication. Mignonnes met en garde contre cette situation sans pour autant prôner un retour à une tradition étouffante pour équilibrer l’hyper connexion des jeunes. La question posée par la cinéaste est celle des modèles et des images que les enfants intègrent dans leur construction et de leur utilisation des outils qu’ils possèdent désormais tous à portée de main.

Mignonnes © Jean-Michel Papazian pour BIEN OU BIEN PRODUCTIONS 2018

Laisse pas traîner ta fille

Face à la menace d’une hypersexualisation précoce, un accompagnement éclairé des enfants et adolescents s’impose. Le drame d’Amy n’est pas tant d’avoir été confrontée à certaines images mais de n’avoir aucun adulte référent — parent ou éducateur — à qui en parler. Seule, elle se construit une image faussée de la féminité basée sur des clichés, prise en étau entre une tradition patriarcale et une « liberté » qu’elle ne peut assumer.

Touchant lorsqu’il explore l’incompréhension d’Amy face à une tradition qui humilie sa mère, Mignonnes devient volontairement malaisant lorsqu’il met en scène ses jeunes actrices dans des chorégraphies lascives. Dénonciation coup de poing d’une hypersexualisation problématique, Maïmouna Doucouré signe un plaidoyer tendre et militant pour préserver l’innocence de jeunes filles qui ont tout le temps de quitter le cocon protecteur de l’enfance.

> Mignonnes, réalisé par Maïmouna Doucouré, France, 2019 (1h35)

Mignonnes

Date de sortie
19 août 2020
Durée
1h35
Réalisé par
Maïmouna Doucouré
Avec
Fathia Youssouf, Esther Gohourou, Médina El Aidi-Azouni, Ilanah Cami-Goursolas, Myriam Hamma, Maïmouna Gueye
Pays
France