Lorsque sa voisine de chambre disparait soudainement, John D. (Fabio Testi), un ancien agent secret vivant dans un palace de la Côte d’Azur, s’imagine poursuivi par d’anciens ennemis. Parmi eux, la mystérieuse Serpentik (Barbara Hellemans), une adversaire redoutable que l’espion n’a jamais réussi à démasquer. Perdu dans ses pensées, il remonte le fil de sa vie, au risque de découvrir qu’il n’y tenait pas forcément le meilleur rôle.
Un genre ne suffit pas
Adeptes de films de genre, le duo Hélène Cattet et Bruno Forzani continuent leur exploration cinématographique avec un nouvel opus sous forme d’hommage décalé. Après leur premier long métrage Amer (2009), un thriller horrifique, l’influence giallo et Art Nouveau dans L’étrange couleur des larmes de ton corps (2013) et le nouveau réalisme du thriller Laissez bronzer les cadavres (2017), les cinéastes s’amusent à brouiller les codes du film d’espionnage.
Si le titre fait écho à Reflets dans un œil d’or (1967) de John Huston, l’envie de traiter ce genre est née de la vision de Road to Nowhere (2010) de Monte Hellman dans lequel joue Fabio Testi. Un rôle qui a inspiré les cinéastes voyant dans l’acteur le flegme classieux de Sean Connery et dans son costume blanc immaculé une réminiscence de Dirk Bogarde dans Mort à Venise (1971). Mélange de genres étonnant, Reflet dans un diamant mort se revendique autant du mythe de l’agent secret que du drame de Luchino Visconti.
Bons baisers de la retraite
Plus précisément, Reflet dans un diamant mort s’inspire plus du mouvement Eurospy que de la figure éternelle de James Bond. Transposition du mythe de l’espion anglo-saxon dans l’Italie des années 60, le courant Europsy s’est imposé avec ses contrefaçons bon marché du célèbre agent britannique. À travers leur style visuel débridé, Hélène Cattet et Bruno Forzani manipulent les codes de ces films à petit budget où le héros affronte des ennemis insaisissables.
L’autre grande influence qui plane sur ce thriller d’espionnage est celle des Fumetti neri. Dans ces bandes dessinées pour adultes, les vilains flirtent avec la notion de bien et de mal. De la même façon, John D. est amené à reconsidérer ses anciennes missions alors que son passé semble le rattraper. Le bilan que l’ancien agent fait de sa vie d’espion se révèle alors ambigu. Cette prise de conscience vient troubler une retraite qui vire à la paranoïa.
Imiter n’est pas jouer
Mais inspiration ne veut pas dire reproduction. Reflet dans un diamant mort s’éloigne résolument du récit linéaire d’un James Bond ou de ses ersatz européens et n’épouse pas la langueur du film de Visconti. Bien au contraire ! Ici le récit est multiple, saccadé et la temporalité totalement dynamitée. Les souvenirs de l’agent D., apparaissant jeune sous les traits de l’acteur Koen De Bouw, se superposent au présent de l’espion retraité.
Les deux réalisateurs revendiquent cette approche étourdissante d’autant plus qu’ils ajoutent l’ambiguïté de la fiction surgissant dans le réel à cette temporalité entremêlée. Cette incursion d’un regard décalé prend la forme d’un tournage de cinéma – tout cela ne serait qu’une fiction ? – ou d’une bande dessinée en hommage aux Fumetti neri. Tel le diamant du titre, le récit est composé de multiples facettes proposant autant de lectures possibles.
Un choix d’écriture qui s’inspire de l’univers de Satoshi Kon, réalisateur de Perfect Blue (1997) ou encore Millennium Actress (2001) confient Hélène Cattet et Bruno Forzani. Ce jeu avec le spectateur est d’autant plus perturbant qu’il imprègne la forme autant que le fond. Reflet dans un diamant mort reproduit à l’écran ce sentiment de vertige face à un passé qui s’invite dans le présent. Les cinéastes font le lien avec le film The Father (2020) de Florian Zeller – lire notre critique – dans lequel Anthony Hopkins se bat contre les ravages d’Alzheimer comme leur espion à la retraite combat des souvenirs qui semblent lui échapper.
Rien que pour vos yeux
L’abondance et l’inventivité visuelle de Reflet dans un diamant mort sont aussi jouissives que perturbantes dans ce récit complètement déstructuré. Les influences des univers Europsy, BD ou encore du roman photo accompagnent le film qui se nourrit et utilise de façon inventive toutes ces formes. Les pièces du puzzle scénaristique sont d’autant plus difficiles à rassembler que notre œil est sans cesse sollicité, lorsqu’il n’est pas trompé, par ces effets visuels qui s’enchaînent à un rythme soutenu. Il est aussi parfois mis à l’épreuve par un gore qui n’hésite pas à mettre à mal les chairs avec des effets peu ragoûtants.
Reflet dans un diamant mort joue notamment beaucoup sur l’intégration des illusions d’optique trompeuses de l’Op art. Dans cet univers visuel foisonnant, certaines belles idées marquent particulièrement. L’une des grandes trouvailles de ce thriller kaléidoscopique est de rendre la mystérieuse Serpentin littéralement – ou plutôt viscéralement – insaisissable. Plusieurs actrices incarnent cette ennemi jurée de l’espion dont la peau se désagrège et tombe en lambeaux pour mieux la faire renaître sous de nouveaux traits.
Faut-il y voir dans cette capacité à se renouveler quitte à y laisser sa peau un clin d’œil à la volonté de possession du corps des femmes par l’espion mâle, figure virile par excellence ? Ou la concrétisation charnelle du désarroi de notre agent vieillissant à qui sa meilleure ennemie – et le bilan de sa carrière – échappe totalement ? Des questions qui trouveront peut-être des réponses lors d’un second visionnage pour qui en aura le courage tant le premier vous laisse éreinté par tant de sollicitations visuelles et scénaristiques.
> Reflet dans un diamant mort réalisé par Hélène Cattet et Bruno Forzani, Belgique – Luxembourg – Italie – France, 2024 (1h27)