Que vouliez-vous montrer et démontrer avec cette exposition ?
On voulait prendre cet objet qui est l’affiche typographique, cette affiche qui ne comporte que du texte et qui est rarement mise en valeur. Montrer quels avaient été ses usages notamment ses usages politiques. Au départ, nous avons surtout travaillé sur les affiches de la Commune. Celles-ci ont en effet joué un rôle absolument central durant cette période.
Les deux camps, Versaillais et Communards, s’affrontaient vraiment à coup d’affiches durant cette période ?
Oui, une vraie guerre est menée entre le camp des Versaillais et le camp des Communards par voie d’affichage, même les afficheurs se bagarrent entre eux. Il faut aussi savoir que la Commune gouverne par l’affiche : les décisions sont placardées. C’est la manière que la Commune a choisi pour informer les citoyens de ses décisions. On assiste à une montée en puissance de l’affiche sous la Commune qui est tout à fait remarquable.
Si l’utilisation de l’affiche est paroxystique durant la Commune, elle est aussi largement utilisée durant la Révolution française ?
En partant de la Commune, on a voulu comprendre, dans les époques précédentes, à quel moment cet usage de l’affiche a commencé. Et la Révolution française, semble être un point de départ. L’affiche fut beaucoup utilisée, mais à la différence de la Commune, par des particuliers. Au début de l’exposition, on met en avant le cas d’Olympe de Gouges qui nous a paru exemplaire. Elle est très impliquée dans la lutte politique et est guillotinée à cause d’affiches qu’elle ose placarder dans la rue.
Ce recours à l’affiche a-t-il modifié les comportements dans la rue ?
On comprend, quand on regarde les illustrations des époques concernées, que lorsqu’il y a des événements politiques importants, l’affiche est un point de rassemblement dans la rue. On attend les affiches, comme un journal. Tout le monde les lit, se réunit, commente, éventuellement se bagarre. C’est véritablement une culture de la ville qui est centrée sur le journal et les affiches qui ont une importance énorme.
Existe-t-il un lien entre les textes des affiches et la manière dont parlent les décideurs ?
J’ai effectivement regardé de plus près, durant la Commune, la relation qui existe entre ce qui se passe dans les grandes assemblées des élus, ces réunions qui ont lieu tous les jours qui peuvent durer toute la nuit et les affiches. Ces élus discutent de toutes sortes de choses, tout ce qui se dit est écrit. On fait ensuite des affiches en reprenant les textes issus des débats ou présentés et discutés durant les débats. Ces comptes rendus sont envoyés à l’imprimerie nationale, on en fait des affiches et on les publie au journal officiel. Il existe une circulation systématique entre l’oral, le journal et les affiches.
On se rend compte en visitant l’exposition que durant la Seconde Guerre mondiale naissent de nouvelles pratiques concernant l’affichage.
Oui, durant la seconde guerre mondiale apparaît un phénomène différent. C’est la propagande contre la résistance. Celle-ci se manifeste par toute une série de pratiques qui consiste à lacérer, arracher et détourner les affiches de propagande officielle, ou de répandre des petites étiquettes que l’on colle où on peut, un outil adapté à la clandestinité qui permet de réagir à la propagande.
Et ensuite, on se dirige davantage vers des revendications plus sociales que politiques ?
Après cette période, on le voit avec Mai 68 et surtout avec les luttes féministes. Les grandes manifestations de cette époque, les banderoles, les pancartes, les affiches sont assez classiques. Mais les nouveautés sont du côté des affiches de l’atelier populaire des beaux arts et les arts décoratifs qui produisent les fameuses affiches de Mai 68. Elles ont eu un succès énorme en France, et à l’étranger. La sérigraphie s’impose, les slogans et les couleurs évoluent. Par ailleurs, le mouvement féministe, peu après 68, inaugure des nouvelles formes d’expressions politiques. Les manifestations sont tout à fait différentes de ce qu’on à l’habitude de voir, plus festives et plus inventives. On voit apparaître des affiches, proches de certains courants artistiques. C’est un vrai tournant : l’expression politique, via les affiches, devient aussi une expression artistique. C’est pour ça qu’on a voulu montrer le travail de Vincent Perrotet et Pierre Di Sciullo dans notre dernière salle. Ce sont des graphistes engagés, critiques concernant les formes habituelles de la contestation politique, notamment les slogans. Ils sont toujours à la recherche de nouvelles formes d’expression.
A partir de Mai 68, on assiste à une réappropriation de l’affiche politique par l’artiste ?
Il y a évidemment une tradition de l’affiche chez les artistes, moins pour les affiches politiques et notamment des affiches portant du texte. Mais ces dernières années, on voit apparaître à la fois des images différentes, des textes différents, et des manières de concevoir et de distribuer des affiches différemment. Vincent Perrotet réalise par exemple des petites affiches et les distribuent aux manifestants, qui les brandissent, les font circuler. C’est une vraie innovation dans la diffusion.
Et aujourd’hui que nous reste-t-il de ces affiches typographiques ?
On a voulu terminer par des artistes qui travaillent sur le texte pour montrer que ce type d’affiche n’a pas disparu et est toujours très présent dans la ville, avec des artistes vraiment engagés. C’est un nouveau souffle. Vincent Perrotet, Pierre Di Sciullo ou encore Malte Martin qui met à l’honneur la parole de ceux qu’on entend très peu. Ses actions font passer des paroles par l’écrit affiché, dans un contexte d’actions pas tout à fait politiques mais qui ont vraiment une portée politique.
Vous pensez qu’une telle expo très politique, très historique, peut aussi avoir un fort retentissement pour les artistes, notamment les street artistes qui collent dans la rue ?
Ce que je peux dire, c’est que beaucoup de graphistes et d’artistes viennent voir l’exposition. Beaucoup d’entre eux sont très émus de voir ces documents authentiques de la Commune qui les ont toujours inspirés. Cette expo touche les artistes parce qu’elle leur donne à voir de près des documents dont ils se sentent proches. Dès qu’on parle de rue, d’engagement dans la rue, la Commune est un symbole, elle est toujours très présente.
Les nombreuses périodes que vous montrez dans l’exposition montrent une appropriation de la rue par les citoyens. Aujourd’hui, à qui appartient la rue ?
A l’époque de la Commune beaucoup de choses se passent dans la rue, la société est chamboulée, on a beaucoup d’actions dans la ville de Paris, dans les quartiers. Tout est véritablement urbain. J’ai personnellement l’impression que la question de la rue est redevenue très importante : qu’est-ce qu’on fait de nos rues, comment on y vit, à qui appartient-elle, comment s’y exprime-t-on, qui a le droit de s’exprimer, comment habiter une ville, est-ce qu’on accepte que la rue soit essentiellement réservée à la publicité, est-ce que le droit d’affichage doit être si mesuré et encadré ? Cela correspond à toute une série de nouveaux questionnements, liée à l’urbanisme. Aujourd’hui grandit la volonté de récupérer la rue pour en faire un espace d’expression. Notre exposition accompagne ce type de questions.
Selon vous, ces dernières années, l’expression dans la rue a-t-elle reculé ?
Dès qu’on est dans des grandes périodes de ruptures, la rue est reconquise, les murs aussi. Peu importe les règlements dans ces moments-là. Aujourd’hui, même si nous ne sommes pas dans une période de grande révolution, on voit une volonté de reprendre une partie de la rue. Un sentiment est présent chez beaucoup de jeunes graphistes, souvent militants : on leur a confisqué l’espace urbain au profit de la pub et des marques. Il faut trouver des moyens de reconquérir la rue, la faire sienne, y faire circuler d’autres idées que la consommation. Je crois qu’il y a un souci de la vie dans la rue qui est nouveau et ne se dément pas. On s’enflamme pour la place Tahrir et la Puerta Del Sol parce qu’on se rend compte que c’est là que ça se passe. Et Internet est venu s’y ajouter, la rue et Internet se renforcent l’un l’autre et s’entraînent. Je fais une hypothèse : tout ça nous dit quelque chose de ce que sera la ville demain. Parce qu’on a besoin d’une ville ou circulent des idées et pas seulement des logos.
« Affiche – action, quand la politique s’écrit dans la rue », du 14 novembre 2012 au 24 février 2013 à la BDIC, bibliothèque de documentation internationale contemporaine, Hôtel des Invalides, Paris.