Peur sur les cinémas indépendants

Peur sur les cinémas indépendants

Peur sur les cinémas indépendants

Peur sur les cinémas indépendants

Au cinéma le

C'est l'histoire de David contre Goliath, l'histoire des cinémas d'art et d'essai qui ne parviennent plus à exploiter les films qui leur étaient avant réservés. Les grands circuits les accaparent, privant les cinémas indépendants de leur gagne-pain. Cas concret avec le Balzac, cinéma mythique, et indépendant, des Champs-Elysées.

Intouchables, La guerre est déclarée, Polisse, The Artist… Cette année, plus de vingt films français ont dépassé la barre du million d’entrées. Cette année encore, plus de 210 millions de places ont été vendues, près de sept millions de plus qu’en 2010 : du jamais vu depuis 1966, année de la Grande Vadrouille et des 234 millions d’entrées en salle cette année-là. Pourtant, à la fin de l’année 2011, deux cinémas indépendants d’Art et Essai ont fermé leurs portes une semaine, en signe de protestation. Le Balzac et le Lincoln, jouxtant l’avenue des Champs-Elysées. Ces cinémas sont menacés car ils ne parviennent plus à avoir les films art et essai "en vue", ces derniers partent dans les grands circuits tels qu’UGC et Gaumont. Ne leur reste que les "petits" films, qui malheureusement, ne nourrissent pas leur homme. La fermeture de ces deux cinémas réputés de la capitale est un symbole. La crise qu’ils traversent touche aujourd’hui toutes les salles indépendantes. Citazine a joint Jean-Jacques Schpolianski, directeur passionné du Balzac depuis 38 ans.

Vous avez fermé votre cinéma la semaine du 21 au 28 décembre. Pourquoi ?

Pour protester contre le fait que je ne puisse plus avoir les films que je désirais. Cette semaine-là, deux films sortaient que je n’avais pas eu, Le Havre de Aki Kaurismäki et A dangerous method de David Cronenberg.

On vous les refuse ?

On ne me les refuse pas mais les circuits se les accaparent. Les circuits veulent maintenant avoir les films qui me correspondent. Je suis le crémier face au supermarché !

Des films que vous étiez seul à programmer  ?

Jusqu’à présent, le Balzac a toujours défendu seul les films. Mais je vais devoir accepter, prochainement, de défendre des films avec une salle de circuit. Jusqu’à présent je me suffisais à moi-même. J’ai obtenu Une Séparation, d’Asghar Farhadi, avec le médiateur précédent, qui a pu imposer que le film sorte seul au Balzac. J’ai gardé le film très longtemps et j’ai terminé troisième résultat de France.

Début de crise avec la carte illimitée

Et aujourd’hui, les circuits veulent les films qui vous étaient réservés  ?

Depuis qu’il existe les cartes illimitées, les circuits veulent que les spectateurs puissent voir tous les films chez eux. Moi aussi d’ailleurs, j’ai mis en place la carte. J’avais perdu tellement de public… Mais bon, forcément, elle a fait beaucoup baisser ma moyenne puisque le prix n’est pas le même.

Concrètement, on vous a refusé le Kaurismaki et le Cronenberg ?

Puisque je n’avais pas pu avoir le Kaurismaki, mon programmateur a essayé d’avoir A dangerous method, et est allé jusqu’au médiateur (le médiateur du cinéma règle les litiges entre les exploitants et les distributeurs, NDLR). On nous l’a refusé. Le Balzac ne prend, depuis toujours, que des films le jour de leur sortie ! Là, le plan de sortie est déjà fait et nous ne sommes pas dedans.

Comment pouvez-vous vous en sortir si vous n’avez plus les films ?

Jusqu’à présent, j’avais les films seul au Champs-Elysées. Maintenant, je m’aperçois que pour des raisons de rendement, les circuits veulent absolument avoir tous les films un peu porteurs, même les films Art et Essai. Je vais donc me mettre sur les rangs, prendre une copie même si un circuit en prend une autre. Et en imaginant, dans ma tête, que compte tenu du travail du Balzac, le public sera au rendez-vous.
Je suis présent à toutes les séances pour présenter les films, je fais des soirées opéra, ciné-concert, projections pour enfants, soirées gastronomiques, j’ai un club de 1000 personnes et une newsletter de 22 000 lecteurs. J’essaie de lever le niveau et le public le sait. Le jour où je serai en concurrence avec une salle de circuit, le public qui me connaît viendra au Balzac, par démarche volontariste.

C’est comme ça que vous pourrez vous en sortir, en ayant une manière bien à vous de montrer des films ?

A mon avis, chaque cinéma Art et Essai doit avoir une personnalité. On ne peut pas travailler sans cette personnalité. Et puis, l’avenue des Champs-Elysées, c’est une question de société. Si on ferme encore un cinéma, c’est la vie du quartier qui est menacée.

Voir les films autrement

Mais la question est de savoir si vous, cinéma indépendant, pourrez cohabiter avec les cinémas des grands circuits ?

Les circuits font un travail, nous, nous faisons un autre travail. Ce n’est pas parce qu’il y a un McDonald’s sur les Champs qu’il n’y a pas à côté Pierre Gagnaire, trois étoiles Michelin. Sur les Champs, il y a des cinémas pour les touristes et des cinémas pour ceux qui veulent voir les films autrement.
En fermant, je voulais éclairer la presse, les pouvoirs publics, mes concitoyens, de la difficulté, dans cette mondialisation, d’avoir des endroits identifiés qui ont un sens et qui sont utiles. Et je crois avoir réussi, vu le nombre d’articles qu’il y a eu sur le sujet.

Si le public vous est fidèle, êtes-vous vraiment en danger ?

Je suis en danger parce que je ne peux plus avoir les films, mais oui, le public est fidèle. Le mois de janvier va être consacré à ça. J’ai lancé mon filet et je vais voir ce que je vais pouvoir en retirer. Je vais voir avec mes partenaires des Champs-Elysées comment nous pouvons cohabiter ensemble.

Vous espérez récupérer ces films que les circuits tendent à s’accaparer ?

Exactement, quitte à partager avec les circuits.

Parce qu’aujourd’hui, il ne vous reste plus que des plus petits films d’Art et d’Essai, qui font moins d’entrées ?

Oui, de quoi nourrir mes salles 2 et 3, de 45 et 56 places. J’ai de quoi nourrir ces deux salles mais je n’ai plus de quoi nourrir ma grande salle de 385 places.
Vous savez, au-dessus de mon bureau est écrit : « Tout ce qui dégrade la culture raccourcit les chemins qui mènent à la servitude. » C’est une phrase d’Albert Camus qui me guide depuis 30 ans. Il est très important d’avoir une morale et ma morale est de ne pas perdre le style que je souhaite communiquer à mes spectateurs.

Les grands circuits sont immoraux, selon vous ?

Non, ils font leur travail. Personne n’est tout blanc ou tout noir. Chacun cherche à rentabiliser au plus vite ses investissements. Je pense qu’il y a un code de bonne conduite à trouver. La France est le pays au monde où il y a le plus de cinémas proportionnellement à ses habitants et la plus grande variété cinématographique au monde. Il ne s’agit pas d’exception culturelle mais de diversité culturelle. Nous, les cinémas d’Art et d’Essai et de recherche participons à cette diversité.
 

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