Du vendredi 22 mars jusqu'au dimanche 24, le tatouage tient salon à Paris. A la manoeuvre Tin-Tin, tatoueur incontournable de la scène parisienne. Et mondiale. Voici plus d'un an, Citazine l'avait rencontré au premier étage de son studio de tatouage à Pigalle. Il avait lâché : « Fin 2012, début 2013, j’organise une convention internationale de tatouage. Il y a en déjà une mais Paris mérite mieux que ça. » Voilà. C'est le grand week-end pour Tin-Tin et son compère Piero, tenancier de la Cour des miracles à Toulouse et autre incontournable à la française.
Pour l'événement, ils ont invité au CentQuatre plus de 270 tatoueurs, la crème de la crème, venus du monde entier. Pointillisme, tribal, celtique, old school, polynésien… tous les styles, toutes les pratiques seront présentes ce week-end à Paris. L'occasion de découvrir cette multiplicité d'univers graphiques.
Phénomène de mode dans les années 2000, le tatouage s'est aujourd'hui durablement installé, et popularisé. Les jeunes filles et les stars veulent des petites étoiles sur les doigts et des fleurs sur la nuque. En 2010, une enquête menée par l'Ifop nous apprenait qu'un français sur dix était tatoué. La star des podiums, Rick Genest est tatoué de la tête aux pieds. Et en début d'année, lors de la présidentielle tchèque, c'est un candidat entièrement tatoué, Vladimir Franz, qui a attiré l'oeil des médias. Les taoutés ne sont plus les bagnards et les bikers.
Depuis le début des années 2000 et le dernier événement de ce type qu'il a organisé, Tin-Tin rêvait de son mondial, à Paris en 2013, alors que la pratique explose. C'est fait. C'est aujourd'hui et jusqu'à dimanche, au CentQuatre.
——————————————————–
> Portrait de Tin-Tin, publié dans Citazine en novembre 2011.
Tin-Tin et le secret de Concarneau
Avec les années 2000, le tatouage est sorti des ruelles sombres pour devenir un véritable phénomène de mode. Qui dure. Tin-Tin, l’un des tatoueurs les plus influents et réputés de la place parisienne et mondiale, a largement contribué à cette popularisation. Citazine a voulu rencontrer le personnage. Personnage, c’est le mot.
« Comment ça, vous n’êtes pas né à Concarneau ? » Réponse de l’intéressé farceur : « C’est une connerie que j’ai racontée un jour sur un site Internet. J’ai écrit que j’étais né au Chili à Concarneau, Chili con carne, et on m’a cru. Depuis, pour les Américains, je suis né au Chili. Et en France, sur la page Wikipédia, je suis né à Concarneau. »
Lui, c’est Tin-Tin le tatoueur, la légende vivante du tatouage. Un grand type chauve, 46 ans, corpulent, jovial et tatoué. Le rendez-vous est pris dans son studio de Pigalle, qu’il occupe depuis 1999. On nous apprend que nous le trouverons en haut de l’escalier. En bas des marches, résonne déjà le rire tonitruant de celui qui est né à Vanves, comme nous l’apprendrons plus tard. Il est assis à sa table de travail où il dessine un dermographe. Autour de lui, plusieurs personnes l’écoutent et rient. Des copains, des tatoués, des clients.
Un entretien en tête-à-tête, à l’écart ? Surtout pas ! L’entrevue aura lieu avec les copains et si on ose demander une chaise, on l’obtient. Il est seigneur Tin-Tin ! Il continue à dessiner, guitare saturée d’Hendrix à fond dans le studio. Le dermographe, c’est pour le mollet d’un de ses potes tatoueurs qui fait partie de l’assemblée. Il ne lâchera pas son crayon. Tin-Tin, loin d’être monotâche, affirme : « Je peux vraiment faire beaucoup de choses en même temps. » Sourire en coin de rigueur…
« Je picore ce qui m’intéresse »
Ce grand vanneur est l’un des tatoueurs les plus réputés de France, du monde. Les stars se pressent sous son dermographe. Son carnet de rendez-vous est plein jusqu’en janvier. Attente qui paraît assez courte pour ce tatoueur qu’on s’arrache, plébiscité sur le Net, à l’heure où même les jeunes filles de bonnes familles se tatouent de mignonnes petites formes sur le corps. « Je préfère ne pas trop en prendre. Certains ont un an d’attente. Selon moi, ça ne sert à rien d’avoir trop d’avance. Je picore ce qui m’intéresse et ne fais que ce que j’ai envie de faire. »
Tin-Tin est un homme sélectif. Il faut jouer des coudes, faire bonne figure et demander un dessin qui l’intéresse vraiment si vous voulez qu’il creuse votre épiderme. « Un mec con avec une super idée, je lui dis non. Même un type génial qui se pointe avec un tribal ou un polynésien, j’ai du mal à le faire. Je préfère le diriger vers l’un de mes employés. » Ses employés ? La maison Tin-Tin Tatouages est une sorte d’écurie Tin-Tin où officient cinq autres tatoueurs. Il en a formés trois. La transmission est-elle importante pour lui ? « Oui ». Pourquoi ? « Parce que. »
Il faut creuser, s’accrocher, insister et enfin : « J’ai envie de transmettre. C’est toujours enrichissant d’apprendre aux autres et de transmettre son savoir. Sinon, tu meurs tout seul comme un con, en gardant les petits secrets que tu as jalousement gardé, sans le dire à personne. Mais ce ne sont que des gens qui le méritent. » On l’imagine assez dur avec ces "gens", mais aussi envers lui-même.
Il s’est piqué de tatouage pendant son service militaire, à 18 ans, « en tant que trouffion hein, pas militaire de carrière ! ». Ça va sans dire mais visiblement, ça va mieux en le disant. A l’époque, le plus difficile c’était de trouver la machine. Pas d’Internet et pas de dermographe en France. « Il fallait vraiment vouloir être tatoueur ! » Et avant ça, passait-il son temps à dessiner ? « Oui, un peu. Non. En fait, c’est quand on sait ce qu’on a vraiment envie de faire qu’on se met réellement au travail. » Les paroles d’un sage.
Un sage respecté et écouté dans le milieu car très impliqué dans cette profession qu’il adore et qu’il veut défendre. En 2003, il cofonde le Syndicat national des artistes tatoueurs, le SNAT. Une association qui défend les tatoueurs et les informe.
La rançon de la gloire
Activiste, il s’est battu quand « un ministre qui n’aimait ni les tatoués, ni les tatoueurs, ni les tatouages » voulait transformer les studios de tatouage en « salles d’opérations à cœur ouvert ». D’autant plus que l’hygiène est une chose très importante pour lui, de même que pour le syndicat. En témoigne sa charte. Tin-Tin ne baigne d’ailleurs pas dans l’angélisme et reconnaît que tous ne sont pas dans les clous. « On s’est battu pour rendre le tatouage populaire. Maintenant qu’il l’est, on voit des trucs qu’on n’aimerait pas voir. C’est la rançon de la gloire. »
Dans les publicités, sur les podiums, les vrais ou faux tatouages font désormais recette. Et se sont extirpés de la catégorie "mauvais genre". Les autorités commencent à appliquer des normes et le syndicat de Tin-Tin est sur le pont : « Ils emmerdent ceux qui sont installés et pas les clandestins. C’est comme s’ils poussaient les tatoueurs à retomber dans l’illégalité ! ». Militant, engagé. Sa renommée lui permet pourtant de s’en ficher. Mais non.
Depuis, "le ministre qui n’aimait pas les tatoueurs" est allé se rhabiller. Mais le syndicat mène d’autres combats. L’un des plus importants est de faire reconnaître, auprès des impôts, les tatoueurs créateurs en tant qu’artistes. Ironique, il lance : « Wim Delvoye est reconnu artiste parce qu’il tatoue des cochons qu’ils empaillent ensuite et nous, non ! C’est vrai, nous, on intervient sur des gens qui l’ont demandé. Les cochons non. » Tin-Tin, même s’il ne prendra pas la peine de bien vouloir l’expliquer, a une idée précise de l’art. « Pour certains, Matisse, c’est le plus coté. Pour moi, c’est de la tapisserie toute moche. » Soit. Mais c’est quoi l’art ? « Mais j’en sais rien, c’est du domaine du ressenti et c’est purement esthétique ! »
Aujourd’hui, il est toujours président du SNAT et ne va pas tarder à enfiler le costume d’organisateur d’événements. « Fin 2012, début 2013, j’organise une convention internationale de tatouage. Il y a en déjà une mais Paris mérite mieux que ça. » Una affaire à suivre…
« Sale gueule, belles gonzesses »
Une jolie jeune femme tatouée attendait depuis un moment. Bientôt, Tin-Tin lui tatouera dans le dos une grande Geisha, au moins quinze heures de travail. Aujourd’hui, il appose le dessin papier sur sa peau pour se rendre compte du rendu et de la meilleure manière de positionner cette grande dame. L’œil goguenard, il déclare peu après, qu’il ne tatoue que les « fifilles ». D’ailleurs, il ne fait ce métier que pour charmer ces dames. « Ça marche avec les filles. J’ai un physique pas facile. Sale gueule mais belles gonzesses, comme Gainsbourg. »
Vient l’heure de tirer le portrait du tatoueur. Tantôt bourru, tantôt charmant et même charmeur, difficile de ne pas craindre la photo d’un crâne volontairement penché vers un dermographe. Mais voici Tin-Tin, roi du studio de tatouage, qui se transforme en reine des studios de photos. Et puis si, en fait, c’est logique. Souvenez-vous, ces deux brutes transformées en doux agneaux dans une publicité signée Carambar.
C’est bien lui, Tin-Tin. Le cinéma, la pub, la télé, il aime bien. « C’est bien payé, ça change du quotidien. Ça ne me déplaît pas, c’est rigolo. » On le verra d’ailleurs l’année prochaine dans le film d’Arnaud Lemort, avec Fred Testot.
Sur la bibliothèque, des crânes. « Les fifilles », lancent-ils dans un éclat de rire. Dans la bibliothèque, de nombreux livres sur la culture asiatique, japonaise en particulier. L’Asie est-elle une source d’inspiration pour lui ? Nouvelle réponse-pirouette. « Oui, j’ai toujours fait du cheval. Petit, j’étais déjà poney (parce que japonais, NDLR). »
Amoureux de la boutade, du jeu de mots plus ou moins heureux, Tin-Tin se planque derrière ses vannes. Il n’aime pas parler de lui. Au risque de se rouler honteusement dans la psychologie de bas étage, affirmons-le : Tin-Tin, impressionnant, bruyant et rieur est un être pudique. Sympathique aussi.
Alors que la pluie commence à tomber, il est temps de quitter le studio de Pigalle, tandis que Jimi Hendrix et Tin-Tin hurlent Purple Haze.