Et si les sols de notre planète étaient LA solution pour lutter contre le réchauffement climatique ? Mission régénération l’affirme, une meilleure gestion des terres cultivables permettrait d’inverser le processus mortifère qui nous mène vers une nouvelle extinction de masse – humains compris. Le documentaire du couple d’écologistes Josh et Rebecca Tickell explore cette solution qui semble relativement simple à mettre en œuvre.

Woody Harrelson qui prête sa voix au projet en est convaincu : en régénérant les sols, il est possible de stabiliser le climat de la Terre tout en créant des réserves alimentaires abondantes. La solution résiderait donc dans ce que nous mangeons. Au lieu de nous rendre malade et détruire les écosystèmes, notre alimentation pourrait nous guérir et au passage sauver notre monde. Présentée ainsi, cette révolution miraculeuse semble appétissante.

No future

Marqué par le sceau de l’espérance, Mission régénération débute cependant comme tout documentaire honnête sur le climat : très mal ! Basé sur le livre Kiss The Ground: How the food you eat can reverse climate change, heal your body & ultimately save our world publié en 2017 par le coréalisateur Josh Tickell. Le film ne cache pas l’ampleur du désastre en cours. Famine, événements météo extrêmes, migrations climatiques… autant de catastrophes qui ont déjà débuté et vont s’accélérer dans le futur.

À l’instar du récent documentaire Une fois que tu sais (2021) – lire notre critique -, le constat est alarmant. Mais, tandis que l’aréopage de membres du GIEC dans Une fois que tu sais se demande s’il n’est pas déjà trop tard pour inverser la tendance, Mission régénération se veut rassurant.

Car selon le couple de cinéastes il est encore possible d’éviter la disparition de l’humanité. Un optimisme probablement inspiré par les deux enfants du couple. Difficile de baisser les bras en admettant que la vie de sa progéniture va être infernale. Mission régénération est bâti sur cet espoir qu’ils tentent de transmettre en assurant que sa solution est la seule viable pour sauver l’humanité.

À Terre !

Alertés par des amis sur la capacité des sols à capter le carbone émis dans l’atmosphère par l’humanité, le couple Tickell commence à s’intéresser au concept de régénération dès 2013. Mais à l’époque la communauté scientifique est divisée sur les impacts réels de la méthode.

Depuis, le « mouvement régénérateur » a pris de l’ampleur. Il rassemble plus de 100 ONG, des organismes gouvernementaux et certaines marques qui s’accordent sur les bénéfices de la régénération des sols. Mission régénération explore les concepts derrière cette solution incarnée à l’écran par Woody Harrelson qui prête sa voix pour l’occasion.

L’acteur et activiste qui a déjà travaillé avec les cinéastes sur Fuel (2008), un documentaire inédit en France qui étudie le remplacement possible des combustibles fossiles par des énergies renouvelables. Woody Harrelson se présente comme un pessimiste repenti. Avec l’efficacité d’un argumentaire publicitaire, il soutient que la solution de captation du carbone par les sols l’a convaincu. Et si la star a réussi à retrouver l’espoir, pourquoi pas vous ?

Dense, avec des stars

Riche en interviews, Mission régénération donne la parole à de nombreux intervenants : propriétaires de ranch, agronomes, « éleveurs régénérateurs », responsables d’associations de d’instituts dédiés au climat… Chacun développe les avantages de la méthode prônée pour capter le carbone problématique. Une molécule que le documentaire défend au passage. En effet, le carbone est essentiel à la vie. Ce n’est pas sa faute si l’inconscience des humains ont fait de lui l’ennemi public numéro 1 du climat.

Parmi les intervenants, des stars qui s’engagent dans des projets en lien avec la thématique de la régénération des sols. Patricia et David Arquette défendent ainsi l’organisation GiveLove créée après le tremblement de terre à Haïti en 2010 pour aider à l’assainissement écologique et au compostage. Gisele Bündchen et son désormais ex-mari Tom Brady, Rosario Dawson, Jason Mraz et Ian Somerhalder complètent ce cercle de personnalités engagées.

Avec ses nombreuses animations de vulgarisation scientifique, le documentaire joue la carte de l’explication didactique, quitte parfois à se répéter parfois sur certaines notions. À l’instar d’un C’est pas Sorcier avec des célébrités en bonus, Mission régénération défend sa cause en explorant tous les aspects de cette régénération des sols. Alimentation, impact sur le climat et notre santé… les arguments sont séduisants pour passer le pas de cette révolution.

Résurrection des sols

La façon de produire la nourriture que nous consommons chaque jour est au cœur de cette régénération. Une rapide leçon d’histoire revient sur l’évolution des pratiques qui ont mené à une agriculture productiviste dépendante des produits chimiques et à un élevage intensif synonyme de pollution et de souffrance animale. Pour nourrir une population grandissante, l’humain s’est lancé dans une fuite en avant qui a littéralement tué la terre cultivée.

Un phénomène contre lequel lutte Ray Archuleta. Agronome de conservation, il a travaillé au sein du  Natural Resources Conservation Service (NRCS) et a cofondé  la Soil Health Academy. Il parcourt le pays pour enseigner aux producteurs comment améliorer la santé des sols grâce à l’agriculture régénératrice.

Et les résultats présentés dans le documentaire sont impressionnants. Des experts démontrent qu’il est possible de faire revivre des sols réduits à l’état de poussière à force d’un labourage intensif. L’idée est de revenir à un terrain sain en restaurant un écosystème productif qui n’a alors plus besoin de produits chimiques. Un cercle vertueux qui profite à tout le monde.

Le cycle du carbone

En présentant cette méthode, Mission régénération dynamite au passage certaines idées reçues. Par exemple, les flatulences des vaches tant décriées que la Nouvelle-Zélande envisage de taxer. Certes, les animaux libèrent des gaz à effet de serre mais l’expérience démontre que cela est vrai uniquement dans le cadre d’élevages intensifs. Au sein d’un écosystème basé sur la régénération, un pré où un cheptel de bovins paissent en liberté capte au contraire du carbone.

Et ce n’est pas tout. Par leurs déjections, les vaches peuvent faire renaître un champ devenu poussière et inverser la désertification des sols. Que ça soit pour les toilettes au compost ou l’engrais naturel du bétail, le documentaire invite à briser le tabou d’un caca décidément aussi vital que le carbone dont nous sommes constitués.

Cet exemple est un symbole du concept derrière l’agriculture régénératrice. L’idée est de revenir à une exploitation censée de la terre, plus proche de la nature. En labourant moins ou pas les sols et sans utiliser de pesticides pour ne pas détruire les organismes qui permettent de piéger dans le sol. Préserver le cycle de l’eau au niveau local est également essentiel dans ce combat en train d’être perdu.

Diversifier

Mission régénération invite à une révolution agricole où les terres cultivées seraient de nouveau vivantes. Un pari qui pourrait profiter à tous en termes de santé et de réchauffement climatique en diversifiant les cultures sur un même terrain. Le mouvement étant né en Amérique, le documentaire met en avant de nombreux exemples dans ce pays où l’État subventionne certaines cultures en dépit du bon sens.

Avec un regard très pédagogique, Mission régénération démontre à quel point le système actuel est devenu aberrant et surtout dangereux pour notre santé et le futur. La solution de revenir à une agriculture respectant les cycles naturels s’impose d’elle- même.

Et les convertis l’affirment : ces exploitations sont beaucoup plus rentables que celles qui survivent grâce aux subventions de l’État américain. Un argument qui a de quoi convaincre même les Républicains peu préoccupés par l’effondrement du vivant en cours.

Tous ensemble

Reste à savoir si cette mission régénératrice peut réellement sauver l’humanité comme le clame le documentaire. Plein d’espoir, Mission régénération le promet : en appliquant cette méthode à travers le monde, il est possible de capter chaque année toutes les émissions carbone émises par l’humanité. Évidemment, il faudrait pour cela que tout le monde s’y mette. Difficile d’être si optimiste alors que les États-Unis, la Chine et l’Inde, les trois plus gros pollueurs au niveau mondial, ne jouent pas leur rôle.

La France, récemment condamnée pour inaction, peut également faire profil bas sur le sujet. Dans l’hexagone 25 000 agriculteurs, soit seulement 5%, ont des pratiques régénératrices. Une méthode qu’il ne faut pas confondre avec l’agriculture bio qui peut également détruire les sols.

Plein de bon sens, le film invite à une impulsion citoyenne pour contrer l’inaction alarmante des dirigeants politiques. Mais dans nos démocraties les hommes et femmes politiques sont élu.e.s par le peuple. De là à dire que nous méritons la catastrophe en cours…

Vraiment suffisant ?

Et si tout le monde s’y mettait, cette solution serait-elle vraiment aussi miraculeuse ? Alors que les scientifiques alertent sur un point de non retour, capter la production annuelle ne serait probablement pas suffisant. En mettant en avant sa solution miracle, le documentaire semble pécher par excès de confiance en assurant que son application serait suffisante pour tous nous sauver.

La question du bétail est sur ce point intéressante dans le documentaire. Le film insiste sur le fait que la viande produite avec un système plus respectueux de l’écosystème serait meilleure pour la santé. Certes, mais la question sensible de la très forte baisse de notre consommation de viande nécessaire pour réduire notre impact écologique est à peine évoquée. Si mettre un troupeau de vaches sur un terrain permet de le régénérer, est-on obligé de le manger ? La logique économique répondra évidemment oui mais c’est elle qui nous projette actuellement contre un mur.

Porté par un optimisme contagieux, Mission régénération met en avant sa méthode pleine de bon sens pour sauver les sols et par ricochet l’humanité. La solution est-elle vraiment la seule viable et surtout est-elle suffisante pour sauver l’humanité ? Cela reste à voir. Mais l’espoir étant une denrée rare de nos jours, rien n’empêche d’y croire pour apaiser une éco-anxiété terrassante.

> Mission régénération (Kiss the Ground), réalisé par Josh Tickell et Rebecca Harrell Tickell, États-Unis, 2020 (1h25)