À moins d’être d’une mauvaise foi sans limite, difficile de nier la réalité du dérèglement climatique et de l’épuisement des ressources dûs à l’activité humaine. Au croisement de ces deux tendances, l’effondrement de notre mode de vie actuel semble inévitable. Pour éclairer ce sombre bilan, Emmanuel Cappellin donne la parole à des spécialistes de la question.
Porté par la thématique de la collapsologie, Une fois que tu sais donne la parole à des scientifiques et experts tels que Pablo Servigne, Jean-Marc Jancovici ou Susanne Moser pour mieux comprendre pourquoi et comment le système fonce actuellement dans le mur à toute vitesse. Sans que personne n’appuie véritablement sur le frein.
Mais, au-delà du constat implacable, le documentaire cherche également à savoir s’il est possible de continuer à vivre avec la crainte que l’humanité court vers sa perte. Est-il encore possible d’envisager une action collective pour préparer la nécessaire transition écologique quand tout semble déjà perdu ?
Derrière cette question militante se pose une interrogation plus intime et philosophique sur le sens d’une humanité incapable de changer malgré une menace annoncée depuis des décennies.
Tour du monde chaotique
Projet débuté 8 ans auparavant, Une fois que tu sais est le premier long métrage documentaire d’Emmanuel Cappellin. Il se nourrit de son expérience en tant que chef opérateur régulier de Yann Arthus-Bertrand. Au fil des années, il a accumulé des témoignages aux quatre coins du monde des premières victimes des conséquences directes du changement climatique : des immenses feux de forêt aux États-Unis aux sécheresses en Australie…
De plus en plus fréquemment, la nature semble se rebeller à travers des phénomènes toujours plus extrêmes qui commencent à toucher également les pays riches. Au point que des climato-sceptiques acharnés sont désormais obligés de reconnaître la réalité d’un dérèglement mondial du climat. La prise de conscience – trop tardive ? – est enfin là, reste à savoir comment assimiler ce bilan alarmant.
Symbole d’un profond désarroi face à la situation, Emmanuel Cappellin a rencontré en Australie un spécialiste des coraux qui disparaissent à cause de l’acidification des océans. Loin du discours scientifique attendu, l’homme a surtout confié son angoisse face à l’effondrement à venir. Une anxiété partagée par son fils de 10 ans et sa fille de 15 ans qui a décidé d’abandonner l’école, persuadée qu’elle n’aura pas d’avenir.
Éco-anxiété mondialisé
Le cinéaste le reconnaît, le documentaire a également une fonction cathartique. Pour lier les paroles des spécialistes, Emmanuel Cappellin se confie sur sa situation de père inquiet pour l’avenir de sa petite fille. Ce fil rouge dans le documentaire n’est pas forcément la partie la plus réussie mais a l’avantage de replacer les questions écologiques sur un plan très intime.
Le combat est en effet à plusieurs échelles : être en paix avec sa conscience, protéger ses proches ou plus globalement assurer un avenir à l’humanité. Au vu de l’urgence de la situation, la question écologique côtoie la philosophie. Une fois que tu sais tente de répondre à l’anxiété du scientifique australien et du réalisateur de plus en plus partagée à travers le monde.
Face à l’immensité de la tâche, le documentaire tente de comprendre comment faire cohabiter des sentiments aussi contradictoires que la peur, la colère, l’espoir et l’impuissance. De façon assez ironique, Une fois que tu sais souhaite répondre à cette anxiété mais pourrait bien angoisser de nombreuses personnes, sonnées par un constat accablant.
Limitless
Pourtant, personne ne pourra dire que l’humanité n’a pas été prévenue. Au cœur du documentaire, Les Limites à la croissance (dans un monde fini), un rapport connu sous le nom du « Rapport Meadows ». Publié en 1972, ce document référence pointe du doigt les conséquences écologiques de la croissance économique dans un monde aux ressources limitées et à la démographie galopante.
Et pourtant, quatre décennies et de nombreux raports du GIEC de plus en plus alarmistes plus tard, rien ne semble avoir été fait. Ou si peu. C’est la conclusion des divers intervenants. En préambule, l’ingénieur Jean-Marc Jancovici fait le lien, objectif et indéniable, entre l’effondrement en cours, la question des énergies fossiles et le climat. Les chiffres sont indiscutables. Dangereusement liée à l’énergie fossile à bas prix, la croissance économique plongera en même temps qu’elle.
Écrivain américain et fondateur du Post Carbon Institute, Richard Heinberg plaide pour une relocalisation pour relever les défis économiques et climatiques à venir. Il confie pourtant avec émotion devant la caméra du cinéaste que la situation l’a poussé à faire un sacrifice radical. Avec sa femme, ils ont en effet décidé de ne pas avoir d’enfant. Une résolution qui interroge le sens de la parentalité dans un monde en déclin.
Apocalypse Now
Alors que les courbes présentées dans le « Rapport Meadows » commencent à se croiser dangereusement, certains goûtent déjà à cette apocalypse climatique à venir. Saleemul Huq, expert du GIEC (Groupe d’Experts Intergouvernemental sur l’Évolution du Climat), est bien placé pour le savoir. Son pays, le Bangladesh, fait déjà face à l’injustice environnementale provoquée par le changement climatique.
Entre moussons destructrices, fonte de l’Himalaya et montée du niveau des mers, son pays est déjà pris dans l’étau d’un climat qui s’emballe. Un phénomène illustré par une école montée sur pilori. Depuis 25 ans, Saleemul Huq représente les pays les plus pauvres à chaque conférence pour le climat (COP) et tente de faire jouer la solidarité internationale.
À la joie provoquée par la signature du traité de la cop à Paris s’oppose la douche froide du retrait annoncé par Donald Trump quelque temps plus tard. Pourtant, le risque est réel. En complément de déplacements de population inédits pour raison climatique, la menace d’un nouveau type de terrorisme est possible. Avec, à la place de l’idéologie politique ou religieuse, la vengeance face à une inaction coupable des plus gros pollueurs.
Le combat des espérants
Pablo Servigne, co-inventeur du terme « collapsologie », est probablement le plus connu des experts présents dans le documentaire. Sa théorie étudie les effets du réchauffement climatique et de la disparition de la biodiversité avec les risques d’effondrement de la civilisation industrielle. Rien de très réjouissant.
Mais justement, comment se motiver lorsque tout semble perdu d’avance ? Pour Pablo Servigne il faut tout de même tout tenter, même s’il a un risque (de plus en plus important vu le retard pris) que cela échoue. Mais ce message en demi-teinte permet-il de mobiliser à grande échelle ?
Écolo philo
Sur ce point, le travail de la géographe allemande Susanne Moser est certainement l’aspect le plus saisissant du documentaire. Spécialiste de la résilience et de la communication sur le climat au sein du GIEC, Susanne Moser n’hésite pas à parler de deuil, celui d’un climat stable et d’une biodiversité abondante, mais également d’un mode de vie dans lequel on rêve encore de se projeter.
L’experte élève le débat climatique sur le plan philosophique. Sommes-nous prêts, sur le plan personnel mais aussi collectif, à faire le deuil d’un confort acquis en pillant des ressources naturelles ?
Pas évident que cette résilience collective soit à portée de main d’autant plus que notre esprit semble incapable de conceptualiser les désastres à venir. Contrairement aux ressources naturelles, notre capacité à mettre notre tête dans le sable semble elle sans limite.
Avec son constat implacable, Une fois que tu sais invite à une prise de conscience dérangeante : le pire n’est plus à venir mais est déjà là. Avec l’espoir que ce tableau désespéré et désespérant donne la motivation pour agir. Séance de thérapie pour écologistes anxieux, le documentaire est un électrochoc qui risque aussi bien de galvaniser de futurs militants que de plonger les spectateurs.trices dans un état de stupeur impuissante. Et vous, vous avez prévu quoi pour la fin du monde ?
> Une fois que tu sais, réalisé par Emmanuel Cappellin en collaboration avec Anne-Marie Sangla, France, 2020 (1h44)