Dans le Haut Atlas marocain, une caravane accompagne tant bien que mal un cheikh mourant dont la dernière volonté est d’être enterré à Sijilmassa, près des siens. Mais la mort n’attend pas et le sage s’éteint pendant le périlleux voyage. Craignant la montagne, les caravaniers profitent de sa mort pour refuser d’aller plus loin. Saïd (Saïd Aagli) et Ahmed (Ahmed Hammoud), deux vauriens voyageant avec la caravane, décident de prendre le relais et d’emmener la dépouille du cheikh à destination, bien qu’ils ne connaissent pas le chemin à travers les montagnes.
Ils sont rejoints par Shakib (Shakib Ben Omar), personnage simple et optimiste, désigné pour aider ces caravaniers de fortune dans cette expédition pleine de dangers.
La conquête de l’oued
Si le film d’Oliver Laxe s’apparente à un western, c’est en partie grâce aux décors majestueux que traversent ces hommes chargés de mener le cheikh vers sa dernière demeure. Les magnifiques paysages de l’Atlas marocain qui accompagnent nos caravaniers restent cependant à leur place de décor. En tenant à distance cette nature hostile, le réalisateur évite la confrontation romantique des hommes avec la nature toute puissante. Les plaines arides, les montagnes et les cascades ne sont que des obstacles physiques dans cette traversée de l’Atlas ; la vraie quête métaphysique se situe entre les hommes, et surtout avec soi-même.
Le côté western moderne est également assuré par les dangers rencontrés par les trois hommes en route pour Sijilmassa, notamment via des embuscades inhérentes au genre. Mais si l’action est bien présente lors du voyage, l’essentiel est invisible à l’écran, caché dans la symbolique de ce corps sans vie, que l’on transporte malgré les dangers pour respecter le vœu formulé alors que le sang coulait encore dans ses veines. Un pur acte de foi.
La foi en quoi ?
Sensible au charme des romans de chevalerie, Oliver Laxe insuffle cet aspect épique propre au genre, qu’il transpose avec brio dans les montagnes marocaines. Le voyage qui unit Saïd, Ahmed et Shakib — offrant tous les trois la fraîcheur de leur inexpérience cinématographique au spectateur — peut faire penser par moments à la quête insensée de Don Quichotte. Quel sens donner à ce périple pour lequel ils risquent leurs vies ? Respect de la parole donnée, défi personnel, acte de foi ? À moins qu’il soit question de rédemption pour Ahmed et Saïd, deux petits voyous qui doivent magouiller pour survivre, trouvant là une occasion de surpasser leur condition. Chaque personnage a sa raison pour entreprendre ce voyage si risqué, une conviction toute personnelle qui fait basculer cette aventure épique dans le récit métaphysique.
Personnage à la fois simple et complexe, Shakib incarne dans le récit cette quête de sens qui ne peut trouver de réponse qu’en s’élevant. Ce chauffeur de taxi occasionnel missionné pour venir en aide à Ahmed vient de la ville, dont la modernité tranche avec la nature éternelle de l’Atlas, et son rôle dans cette aventure est ambigu. Simple d’esprit, ange ou saint ? Malgré sa foi, Shakib n’a aucune réponse toute faite, il s’en remet simplement à Dieu en espérant qu’un miracle pourra toujours arriver et apporter une solution : « Tu dois avoir la foi », une imprécation mystique qui trouve particulièrement écho chez Ahmed. Plus que sa détermination, c’est son innocence qui en touchante lors de ce périple à l’issue incertaine. Alors que l’époque est compliquée pour réaliser des films sur la religion — a fortiori musulmane — et sur la tradition, Oliver Laxe réussit à le faire avec une simplicité et une hauteur de vue qui fait du bien en ces temps troublés.
Et le titre du film dans tout ça ? Pourquoi Mimosas ? Il s’agissait à la base du nom d’un café où devaient se retrouver les personnages. Le projet a évolué mais le nom est resté, l’équipe aimant l’idée de conserver un titre énigmatique n’ayant plus de rapport direct avec le film. Alors que tout doit toujours avoir un sens, Mimosas assume ainsi jusque dans son intitulé son aspect métaphysique. Peu importe le lieu, cette quête se veut universelle et nous emmène bien au-delà des montagnes marocaines.
Lauréat du Grand Prix Semaine de la Critique à Cannes en mai dernier, Mimosas invite le spectateur dans un périple mystique dont la route semée d’embûches renvoient les caravaniers — et les spectateurs — à leurs propres croyances. Un voyage contemplatif captivant.
> Mimosas, la voie de l’Atlas, réalisé par Oliver Laxe, Espagne – Maroc – France, 2016 (1h36)