« Madeleine Collins », si maman sciée

« Madeleine Collins », si maman sciée

« Madeleine Collins », si maman sciée

« Madeleine Collins », si maman sciée

Au cinéma le 22 décembre 2021

Aidée par un travail nomade, Judith mène une double vie entre la Suisse et la France. Mais la déstabilisation de ce numéro d'équilibriste entraîne Judith dans une étourdissante fuite en avant. Thriller psychologique efficace, Madeleine Collins interroge habilement les notions d'identité et de liberté qui planent sur cette vie scindée en deux. Remarquable manipulatrice aux pieds d'argile, Virginie Efira porte avec grâce ce drame schizophrène qui livre, sous son intensité, une vision touchante de la maternité.

Judith (Virginie Efira) utilise le prétexte des voyages imposés par son travail de traductrice pour mener deux vies parallèles. Protégée par ses mensonges, elle partage son temps entre deux foyers : l’un en France, l’autre en Suisse. D’un côté Abdel (Quim Gutiérrez), avec qui elle élève une petite fille, de l’autre Melvil (Bruno Salomone), avec qui elle a deux garçons plus âgés.

Mais l’édifice, basé sur des fondations mensongères, se fissure peu à peu. Prise au piège de ses contradictions, Judith opte pour une fuite en avant vertigineuse.

Madeleine Collins © Paname Distribution / UFO

Les vies d’une femme

Maintes fois traitée au cinéma, la thématique de la double vie met rarement en scène une femme partagée entre deux existences. Antoine Barraud s’empare de cette dualité féminine explorée notamment dans Sueurs froides (1958) en habillant son drame avec les atours du thriller.

Difficile pour une femme de manipuler à sa guise son entourage, d’autant plus lorsque la maternité est en jeu. À la charge mentale des tâches domestiques s’ajoute la question de la grossesse, impossible à cacher. Madeleine Collins relève intelligemment ce défi en montrant Judith partagée entre deux foyers, chacun avec des enfants.

La pression de la société patriarcale étant ce qu’elle est, cette incarnation féminine du mensonge est forcément plus sulfureuse que son équivalent masculin. Un constat qui ne dérange pas le cinéaste, bien au contraire, ravi d’avoir l’occasion de « défendre l’indéfendable ». Et le pari est réussi.

Madeleine Collins © Paname Distribution / UFO

Puzzle mensonger

Construit comme un labyrinthe dont les méandres se dévoilent petit à petit, Madeleine Collins assume de semer ses indices avec parcimonie. Symbole de ce jeu de chat et la souris, l’énigmatique scène d’ouverture du film – une jeune femme prise d’un malaise dans un grand magasin – invite à la patience. Sa signification sera dévoilée bien plus tard dans le film, à l’instar de l’ampleur des mensonges de Judith.

Jeu de piste paradoxal, le film lève progressivement le voile sur la situation ambiguë de cette femme partagée entre la France et la Suisse. Au fur et à mesure, la complexité de cette double vie est révélée dans toute sa confusion.

Le tableau qui prend forme sous nos yeux est vertigineux et devient rapidement oppressant pour celle qui perd peu à peu le contrôle de son univers. Une tension que l’on partage aisément.

Madeleine Collins © Paname Distribution / UFO

Labeur menteur

Sans jamais se perdre dans le tourbillon des mensonges, Madeleine Collins nous tient en haleine jusqu’à un dénouement qui s’annonce chaotique. Cette construction par paliers permet de ressentir l’étau qui se resserre sur Judith.

En évacuant toute lecture psychiatrique, Antoine Barraud joue sur l’empathie ressentie pour cette femme tiraillée entre deux vies inconciliables, prisonnière de son propre système. Une approche qui laisse la porte ouverte pour une certaine admiration car mentir n’est pas à la portée de tout le monde.

La double identité de Judith lui demande en effet une attention constante, qu’on nous invite à partager. Sur ses gardes en permanence, Judith ne doit jamais trahir la fiction qu’elle a créée au risque de voir le château de cartes s’effondrer. Une situation éprouvante qui crée de la tension dramatique et, de façon plus perverse, une certaine compassion pour cette femme qui manipule son monde.

Madeleine Collins © Paname Distribution / UFO

My name is

La subtile prestation de Virginie Efira impose sans peine ce personnage à la fois manipulateur et fragile. Alors que tout semble s’écrouler autour d’elle, les difficultés mettent en lumière ces identités multiples qui la définissent selon son interlocuteur. Dans ces moments de flottement, Judith est confrontée à un dilemme insoluble interrogeant son identité. Peut-elle être ces deux femmes ?

Cette interrogation renvoie à la notion plus générale de liberté et ce qui rend impossible la revendication de cette double vie. Lorsque Judith rencontre le faussaire Kurt, interprété par Navad Lapid, réalisateur de Le genou d’Ahed (2001) – lire notre critique -, elle est confrontée à un monde de faux semblants, paradoxalement synonyme de liberté.

Malgré la pression constante d’un mensonge crédible et la peur d’être démasquée, il est difficile de ne pas admirer – voire jalouser – la liberté dont Judith fait preuve. Une ambiguïté excusant la mystification qui est renforcée par une vérité absolue dans cet océan de mensonges : l’intégrité de sa fibre maternelle.

Madeleine Collins © Paname Distribution / UFO

Voir la mère

Au-delà du suspense intrinsèque à cette folle fuite en avant, Madeleine Collins place au cœur du récit l’instinct maternel. Cette pulsion primaire pousse Judith vers une déraison difficilement condamnable. Menteuse et manipulatrice déterminée, Judith est avant tout une mère qui, malgré les circonstances, se dévoue avec la même passion pour les deux foyers qu’elle a choisi.

Au détour d’un ultime secret dévoilé, l’accent est mis sur la complexité de cet instinct maternel. Une évidence bouleversante que même une menteuse méthodique ne peut nier.

Thriller bien ficelé, Madeleine Collins joue la carte du jeu de piste dévoilant progressivement un système de double vie qui se referme lentement mais sûrement sur son instigatrice. Un drame où la liberté passe par la multiplicité des identités admirablement servi par Viriginie Efira, solide incarnation d’une fragile duplicité.

> Madeleine Collins, réalisé par Antoine Barraud, France, 2021 (1h42)

Madeleine Collins

Date de sortie
22 décembre 2021
Durée
1h42
Réalisé par
Antoine Barraud
Avec
Virginie Efira, Bruno Salomone, Quim Gutiérrez, Jacqueline Bisset, Navad Lapid
Pays
France