Réunies au sein d’un foyer d’accueil, Novinha (Kassia Da Costa), Alison (Amélie Tonsi), Audrey (Anaïs Uldry), Tamra (Sara Tulu) et les autres résidentes considèrent qu’elles font partie de la même « mif ». Une famille d’adoption recomposée qui, malgré les embrouilles, fait front face à l’adversité avec l’aide des éducateurs.

Mais, lorsque Audrey a une relation sexuelle avec un autre jeune du foyer âgé de quelques mois de moins qu’elle, c’est tout le système éducatif qui est soumis à rude épreuve. En faisant remonter l’information à la police comme l’exige la loi, la direction et les éducateurs se mettent à dos les jeunes se sentant trahis. La tension qui s’installe dévoile alors un système sclérosé et rétrograde malgré la bonne volonté de l’encadrement.

Du docu à la fiction

Basketteur, DJ, éducateur puis documentariste… le parcours éclectique de Fred Baillif l’a naturellement amené vers ce projet prenant le pouls d’un foyer d’accueil pour jeunes en difficulté. Tout a débuté avec la réalisation d’une série documentaire destinée à la télévision suisse pour laquelle le cinéaste flirtait déjà avec la limite entre documentaire et fiction.

Fred Baillif est à l’époque sollicité par un éducateur qui travaille avec des jeunes issus d’un quartier des Hauts de Lausanne qui souhaitent faire un film. Inspiré par le film Entre les murs (2008) de Laurent Cantet, Fred Baillif adopte sa méthode. Il en résulte Tapis rouge (2014), son premier long métrage de fiction. Ce premier pas dans la fiction se prolonge aujourd’hui avec La Mif, toujours avec cette exigence de réalisme.

Casting réaliste

Avec l’intention de traiter des situations de maltraitance, le réalisateur s’est naturellement tourné vers Claudia Grob, travailleuse sociale qui incarne Lora, la directrice du foyer. Des retrouvailles plus de 20 ans après avoir travaillé avec elle en tant que stagiaire lors de ses études.

Le scénario s’est nourri de la frustration de Claudia Grob, alors sur le point de prendre sa retraite, envers le système de protection de la jeunesse. Pour entourer ce rôle central taillé sur mesure, le cinéaste a guidé son casting avec une volonté de réalisme.

Chacune des jeunes actrices – livrant des performances très fortes – a apporté un peu de soi à son rôle. Au point que le personnage de Justine (Charlie Areddy) s’est créé sur le tournage. À la base simple silhouette, la fille du chef opérateur a retenu l’attention du cinéaste qui lui a demandé de créer une histoire pour son personnage.

Film chorale

Cette méthode a laissé la liberté aux actrices d’insuffler une part d’elles-mêmes aux personnages. Une façon de renforcer le réalisme de ce drame proche d’un regard documentaire.

Basé sur des témoignages, La Mif y a intégré le vécu émotionnel des comédiennes. Un parti pris qui a permis d’enrichir le film et lui procure une énergie portée par une sincérité désarmante.

Découpé en chapitres portant chacun le nom d’une jeune fille du foyer, le drame dévoile peu à peu leurs situations personnelles. Abandon, violences sexuelles, drame de l’immigration… autant de traumatismes et d’abus qui trouvent un réconfort dans le fantasme d’une famille soudée que symbolise le foyer.

Let’s Talk About Sex

Mais l’esprit de communion qui unit les résidentes du foyer et leur encadrement est mis à rude épreuve par la relation sexuelle entre Audrey et un garçon plus jeune qu’elle. Ce n’est pas un hasard si le sexe est l’élément déclencheur qui va semer le trouble au sein du foyer.

En évoquant avec réalisme la sexualité adolescente, Fred Baillif met en lumière ce qui reste encore un tabou. Cette relation entre deux résidents dans le foyer est la première fissure qui va venir ébranler l’édifice.

Il y a évidemment la question juridique de la répression ou non d’une relation entre deux adolescents si elle est consentie. Mais, au-delà, c’est bien la libido de la jeune fille qui crée le malaise et met l’institution face à son hypocrisie.

Alors que ce qui devient une affaire est révélé dans la presse, Lora est obligée d’accepter une petite révolution au sein du foyer qui ne sera plus mixte. Une façon d’évacuer le problème sans l’affronter directement.

Cette décision radicale est d’ailleurs rendue absurde par la présence de jeunes filles bi et lesbiennes au sein du foyer. Une façon de moquer la vision très hétérosexuelle de la résolution du problème prise par les dirigeants.

Foyer aux rayons X

Au-delà des blessures des résidentes évoquées avec réalisme mais beaucoup de tact, La Mif propose une autopsie cinglante d’un système qui repose sur la confiance. Cette notion est au cœur de la révolution qui fait trembler les murs du foyer. Trahies par l’encadrement, les jeunes se rebellent. Meurtries de se sentir abandonnées, une seconde fois.

Ce sentiment d’abandon renvoie à la définition même du rôle d’un travailleur social et la distance émotionnelle nécessaire pour mener à bien sa mission. Comme le drame oscille entre fiction et réalisme, les règles parfois contradictoires du foyer sont subtilement questionnées.

Plus qu’un simple catalogue de traumas adolescents, La Mif propose une réflexion sur des procédures en décalage avec un besoin impérieux de pouvoir faire confiance. Le regard usé de la directrice du foyer, tiraillée comme son personnel entre affection et distance protectrice, sur les failles du système rend le constat particulièrement saisissant.

Fébrile comme une dispute adolescente, La Mif met en lumière avec tact des existences cabossées face à une institution aux fondations fragiles. Un constat d’une honnêteté brutale pour que cette nouvelle famille ne soit pas, elle aussi, dysfonctionnelle.

> La Mif, réalisé par Fred Baillif, Suisse, 2019 (1h52)