« Light of My Life », dystopie éducative

« Light of My Life », dystopie éducative

« Light of My Life », dystopie éducative

« Light of My Life », dystopie éducative

Au cinéma le 12 août 2020

Il y a dix ans, la population féminine a été éradiquée de la planète par une maladie. Depuis, un père tente de protéger Rag, sa fille unique, miraculeusement épargnée par le fléau. Parcours du combattant dans un univers brutal, Light of My Life propose une touchante réflexion sur le rôle de parent entre protection et préparation au monde extérieur. Un périple éducatif anxieux d’autant plus inquiétant que la violence de sa société sans femmes semble évidente.

Dans un futur proche, les femmes ont été totalement éradiquées par une étrange maladie ciblant le sexe féminin. Dans ce monde post-apocalyptique dominé par les instincts primaires, un père (Casey Affleck) tente de protéger Rag (Anna Pniowsky), sa fille unique. Née au début de l’épidémie, elle n’a miraculeusement jamais été contaminée. Depuis plus de 10 ans, elle survit auprès de son père en se faisant passer pour un garçon.

En fuite permanente, le père et sa fille font profil bas dans cette société où la découverte de leur secret entraînerait une séparation définitive et un funeste destin pour Rag. Si le père fait tout pour protéger son enfant, il sait qu’un plus grand défi l’attend. Il ne pourra pas éternellement la préserver du monde tel qu’il est devenu. Son rôle de père est de la préparer au pire pour la rendre autonome face au danger, au risque de briser l’insouciance de l’enfance.

Light of my life © 2017 Black Bear Productions/Elevation Pictures. All Rights Reserved

Raconter le monde

Dans la tente qui leur sert de refuge, un père et sa fille racontent chacun leur version d’une histoire librement inspirée de l’Arche de Noé. Ainsi débute la nouvelle réalisation de Casey Affleck depuis I’m Still Here (2010), documentaire frauduleux sur Joaquin Phoenix en roue libre. Cette longue et atypique scène d’introduction de 12 minutes pose les bases de cette dystopie où les femmes ont disparu : le spectateur est plongé dans ce monde où un père et sa fille ne peuvent compter que sur eux-mêmes.

Mais au-delà du symbole d’un monde hostile réduisant le quotidien du père et sa fille à une tente cachée dans les bois, cette discussion nocturne n’est pas anodine. Avant de situer son histoire dans un monde post-apocalyptique, Casey Affleck a en effet pensé son projet dès le départ comme une célébration des histoires : celles que l’on se raconte, que l’on se transmet.

Dans une société à la dérive, les histoires racontées par le père à sa fille sont une façon de faire exister à nouveau le monde d’avant. L’acteur réalisateur met en avant cette tradition de la transmission orale comme un moyen de recréer un monde et, pourquoi pas, un avenir en commun. Entre souvenirs, contes et conseils parentaux, la parole dans Light of My Life est salvatrice : elle éduque autant qu’elle rassure. Elle fait revivre un passé qui semble désormais lointain et tente de faire surgir l’espoir dans un avenir très sombre.

Light of my life © 2017 Black Bear Productions/Elevation Pictures. All Rights Reserved

Où sont les femmes ?

Le parcours de ce père et de sa fille — présentée à ce qui reste de la société comme un jeune garçon — est émaillé de flashbacks racontant en quelques scènes le monde d’avant l’arrivée de la « peste féminine » qui a décimé la moitié de la population. Elisabeth Moss incarne cette mère qui tombe malade et comprend rapidement que sa fille va devoir survivre sans elle dans un monde sans femmes. Emportée par la terrible maladie, elle confie sa fille à son compagnon qui devra la protéger d’une société devenue hostile envers le sexe féminin.

La présence de l’actrice de The Handmaid’s Tale (2017 – ) au casting du film de Casey Affleck n’a rien d’étonnant. D’une dystopie cauchemardesque à l’autre, la série dont elle est l’héroïne — dans tous les sens du terme — possède un fort lien avec le monde imaginé dans Light of My Life. Si la menace est plus diffuse dans ce film intimiste, c’est le même mépris des femmes qui s’exprime. Parmi ses inspirations, Casey Affleck cite naturellement Les fils de l’homme (2006) du réalisateur Alfonso Cuarón dont l’ombre plane évidemment sur le film.

Toutes ces œuvres partagent le même constat préoccupant sur le traitement des femmes dans une société dont l’équilibre se retrouve bouleversé par un élément déclencheur. Derrière la question de l’éducation, le propos féministe fonctionne parfaitement sans que le cinéaste n’ai besoin d’expliciter la menace qui pèse sur sa fille Rag.

Light of my life © 2017 Black Bear Productions/Elevation Pictures. All Rights Reserved

Par pudeur mais aussi pour tenter de préserver aussi longtemps que possible son innocence, celui qui est désigné tout au long du film par « papa » ne rentre pas dans les détails quand il s’agit d’expliquer à sa fille pourquoi elle doit se faire passer pour un garçon. D’une certaine manière, Rag a de toute façon compris et son instinct la guide vers la prudence. Le spectateur également n’a pas besoin qu’on lui détaille ce que risque Rag : la menace est assez familière pour ne pas avoir besoin d’être explicitée.

C’est probablement ce qui est le plus troublant dans cette dystopie qui reste très discrète sur les risques encourus par la jeune fille. Ce tabou rend cette fuite en avant du père et sa fille d’autant plus terrifiante car le spectateur possède les codes de cette violence latente dans notre société qui explose ici sans limites. Il suffit de regarder en face le monde tel qu’il est pour imaginer comment notre monde pourrait aisément basculer dans le cauchemar décrit par Light of My Life.

Devenir père

Dans ce monde où les femmes n’ont plus leur place, le père incarné par Casey Affleck doit éduquer… une fille. Mission quasi impossible dans ce monde apocalyptique où la féminité — comment la définir ? — n’existe plus. Le film explore cette notion de féminité taboue à réinventer à travers l’éducation. En plongeant ce père et sa fille dans un monde sans loi, c’est l’éducation elle-même qui est mise en question. Que transmet-on dans un monde à la dérive ? Quelles sont les priorités ?

Light of my life © 2017 Black Bear Productions/Elevation Pictures. All Rights Reserved

Cette question de l’éducation qui porte le film est ce qui a donné naissance au projet. Débutée il y a 10 ans, l’écriture du film s’est nourrie de l’expérience de l’acteur en tant que père. Au fil des années, il a découvert l’évolution de son rôle de père : une expérience évidemment chamboulée par son divorce. Le deuil d’une famille soudée, la responsabilité en tant que parent… on retrouve ces problématiques au sein du film, exacerbées par un univers violent. Réflexion intime sur le passage de relais entre parent et enfant, Light of My Life pose la question des valeurs transmises dans un monde qui n’est plus soumis aux règles de la communauté.

Menacée à tout instant, Rag est naturellement surprotégée par son père. Celui-ci sait pourtant qu’il doit la préparer au pire pour qu’elle puisse l’affronter seule, si le cas devait se présenter. Rumeur ou réalité, il y aurait d’autres filles et femmes comme Rag, des survivantes cachées dans des abris. Mais le père est-il prêt à prendre ce risque ? Entre protection et préparation au monde extérieur, la dystopie de Casey Affleck explore les dilemmes de l’accompagnement d’un enfant vers l’âge adulte.

Fable éducative au contexte féministe, Light of My Life touche par son portrait d’un père et sa fille unis face à l’adversité. Si le spectateur peut se rassurer en estimant que l’étrange maladie décimant uniquement les femmes est peu crédible, le monde sans femmes décrit est lui terriblement probable. Et c’est de loin le plus inquiétant.

> Light of my life, réalisé par Casey Affleck, États-Unis, 2019 (1h59)

Affiche du film "Light of my life"

Light of my life

Date de sortie
12 août 2020
Durée
1h59
Réalisé par
Casey Affleck
Avec
Casey Affleck, Elisabeth Moss, Anna Pniowsky
Pays
États-Unis