« Life of Chuck », un monde en soi

« Life of Chuck », un monde en soi

« Life of Chuck », un monde en soi

« Life of Chuck », un monde en soi

Au cinéma le 11 juin 2025

Alors que la planète est la proie des pires calamités, des publicités omniprésentes remercient un mystérieux Chuck. Adaptation d'une nouvelle de Stephen King, Life of Chuck raconte dans le désordre la vie de Charles Krantz à travers trois chapitres débutant par la fin (du monde). Poétique et énigmatique, ce kaléidoscope existentiel joue avec les notions du temps et de la finalité d'une vie. Un séduisant rappel de la capacité du maître de l'horreur à nous toucher en plein cœur en maniant le vernis du fantastique.

Incendies, séismes, inondations… La planète entière est la proie de catastrophes naturelles d’une ampleur inégalée qui se déchaînent sur l’ensemble du globe entraînant le chaos et une vague de suicides sans précédent. Alors que la fin du monde semble imminente, Marty Anderson (Chiwetel Ejiofor), professeur d’école, rejoint son ex petite amie Felicia Gordon (Karen Gillan), infirmière, pour affronter ensemble l’inéluctable.

Dans cette ambiance apocalyptique, une publicité est omniprésente sur des affiches dans la rue et à la télévision. Elle met en avant un dénommé Charles Krantz (Tom Hiddleston). L’homme en costume assis derrière un bureau est remercié par un slogan qui célèbre « 39 belles années ». Marty imagine qu’il s’agit d’un départ en retraite mais l’homme n’a pas l’air si vieux, quelque chose ne colle pas.

Life of Chuck © DANCE ANYWAY, LLC. ALL RIGHTS RESERVED Intrepid Pictures - Red Room Pictures - Nour Films

Le Roi des adaptations

Le toujours prolifique Stephen King – plus de cinquante ouvrages publiés à ce jour comptabilisant 350 millions d’exemplaires vendus – reste une inspiration rémunératrice pour l’industrie cinématographique. Avec des dizaines d’adaptations sur grand ou petit écran – pour le meilleur et pour le pire, l’apport du célèbre auteur au 7ème art est impressionnant. Preuve de ce lien avec l’industrie cinématographique, le court roman Life of Chuck publié dans le recueil Si ça saigne a été envoyé dès avril 2020 à plusieurs réalisateurs avant sa publication aux États-Unis.

La vie de ce mystérieux Chuck a tout de suite plu à Mike Flanagan qui s’est déjà confronté aux œuvres de Stephen King pour les adapter à l’écran. Le créateur des séries The Haunting of Hill House (2018), The Haunting of Bly Manor (2020) et The Midnight Club (2022) pour le petit écran a en effet des liens étroits avec son « héros littéraire ». Mike Flanagan a réalisé Jessie (2017), histoire d’un fantasme sexuel qui tourne très mal, et Doctor Sleep (2019), la suite du mythique Shining. Il a également pour projet d’adapter La Tour Sombre et Carrie en série.

Signé du maître de l’horreur, Life of Chuck possède un aspect fantastique mais se rapproche plus de ses œuvres que l’on pourrait qualifier d’humanistes. Pas de voiture meurtrière, de chien enragé, d’adolescente souffre-douleur avec des pouvoirs dévastateurs ou encore de clown maléfique dans cette histoire… Life of Chuck est à rapprocher d’autres adaptations telles que Stand by Me (1986) de Rob Reiner ou encore Les Évadés (1994) et La Ligne Verte (1999), tous deux signés Frank Darabont. Sans monstres, ce récit d’une vie, à travers souvenirs et espoirs, est marqué par l’intime.

Life of Chuck © DANCE ANYWAY, LLC. ALL RIGHTS RESERVED Intrepid Pictures - Red Room Pictures - Nour Films

Commencer par la fin

Si vous arrivez avec un peu de retard à votre séance et que vous voyez s’afficher Acte 3 à l’écran, pas de panique, vous n’avez rien raté. Life Of Chuck débute en effet par la fin, et pas n’importe laquelle, la fin du monde ! Après cet acte 3 apocalyptique qui annihile tout dans une ambiance pesante, l’acte 2 puis finalement l’acte 1 permettent d’en savoir plus sur ce mystérieux Chuck omniprésent mais insaisissable. Même si ce bouleversement des temporalités fidèlement hérité de la nouvelle peut être perturbant, Mike Flanagan n’a jamais envisagé de remettre l’histoire dans l’ordre chronologique.

En commençant par la fin puis en racontant la vie de Charles Krantz dans le désordre, Life of Chuck appuie l’idée que le bilan d’une existence doit se faire à la fin d’une vie. Le procédé est déroutant, d’autant plus lorsqu’il faut déchiffrer à rebours après la séance le sens de ces publicités remerciant Chuck – de quoi exactement ? – dans la première partie. Mais ce grand chamboulement offre une certaine profondeur au film donc les significations continuent à hanter après la projection.

Pour marquer cette temporalité malmenée, chacun des trois actes possède son propre format d’image. Une coquetterie technique qui marque les différentes époques mais renforce aussi l’idée d’une vie composée de moments qui se suivent irrémédiablement, jusqu’à l’inévitable fin. Au spectateur de rassembler ce puzzle temporel qui joue, de part sa structure, avec l’idée du temps qui passe en étirant volontairement certaines scènes clés.

Life of Chuck © DANCE ANYWAY, LLC. ALL RIGHTS RESERVED Intrepid Pictures - Red Room Pictures - Nour Films

Instantanés de vie

Incarné par Tom Hiddleston, aussi à l’aise en musicien vampire déprimé dans Only Lovers Left Alive (2013) de Jim Jarmusch – lire notre critique – que dans l’univers cinématographique Marvel sous le casque de Loki, Charles Krantz se dévoile petit à petit après un premier acte où sa présence reste très mystérieuse. Ce comptable a priori sans histoire est notamment incarné enfant par Benjamin Pajak et adolescent par Jacob Tremblay, remarquables au sein d’un casting de haut niveau qui compte également Mark Hamill, l’incontournable Luke Skywalker de la saga Star Wars, bouleversant dans le rôle d’Albie Krantz, le grand-père de Chuck.

Ce qui rend l’existence de Chuck si particulière ne sera pas dévoilé dans ces lignes pour ceux qui n’ont pas lu la nouvelle ou vu le film. Cela n’aurait d’ailleurs que peu d’intérêt car la structure du film ne fonctionne pas sur un effet de twist traditionnel où une révélation vient bousculer la compréhension de ce qui a été vu avant. Stephen King utilise du fantastique pour expliciter la singularité de Chuck qui s’impose à lui à son corps défendant mais le sens que cela donne, notamment à la première partie du film, renvoie à une perception propre au spectateur.

Life of Chuck © DANCE ANYWAY, LLC. ALL RIGHTS RESERVED Intrepid Pictures - Red Room Pictures - Nour Films

L’art de l’existence

Impossible de ne pas évoquer la danse qui sert de fil rouge dans l’existence de Charles Krantz et permet d’introduire son personnage. Mike Flanagan met particulièrement en avant ces scènes de danse que Chuck réalise avec sa grand-mère, avec une camarade de classe lors d’un bal annuel ou encore une inconnue dans la rue. Cette dernière séquence qui met en scène Tom Hiddleston, Annalise Basso et Pocket Queen à la batterie s’étend sur sept longues et réjouissantes minutes de chorégraphie.

Ce clin œil appuyé à la danse, élément charnière du film, fait écho à d’autres messages disséminés dans le film qui célèbrent le rôle de l’art dans la vie. Une mise en avant qui n’empêche par Albie de freiner les rêves de danseur de son petit-fils pour lui conseiller la voie moins risquée de la comptabilité. Un conseil que jeune garçon suivra sagement. Mais ce choix n’est pas vu comme un échec pour autant, le grand-père prouvant que les maths, essentiels pour tout, sont aussi une forme d’art.

Life of Chuck © DANCE ANYWAY, LLC. ALL RIGHTS RESERVED Intrepid Pictures - Red Room Pictures - Nour Films

Prendre son temps

Si sa structure peut dérouter, Life of Chuck est une invitation à reconsidérer notre conception du temps, intimement liée à nos espoirs et déceptions. Cette temporalité découpée avec des scènes de danse perçues comme hors du temps plaide pour un bilan à la fin du parcours. De quoi dédramatiser les coups durs de la vie à l’instar d’une réflexion scientifique provenant d’une émission de Carl Sagan, spécialiste du cosmos, qui revient au cours du film. Le scientifique met en perspective la présence humaine sur la Terre en la comparant avec l’âge de l’univers.

Cette comparaison cosmique apporte une légèreté inédite dans l’œuvre de Stephen King. Alors que le récit débute par l’apocalypse, la destinée dévoilée de Chuck porte un message étonnamment optimiste. Même lors de sa première partie à l’ambiance angoissante d’effondrement planétaire, le film n’est jamais contaminé par le désespoir. Cette absence de cynisme de la part du maître de l’horreur a particulièrement séduit Mike Flanagan lors de la lecture de la nouvelle.

Life of Chuck © DANCE ANYWAY, LLC. ALL RIGHTS RESERVED Intrepid Pictures - Red Room Pictures - Nour Films

Univers miniature

Le relativisme scientifique de Carl Sagan trouve un écho dans la poésie de Walt Whitman. Le texte de son poème Song of Myself hante également ce récit d’une vie volontairement morcelée pour faire ressentir ce qui fait son unité. La clé de l’existence de Chuck et la fantastique apocalypse du début – qui est par conséquent la fin – est certainement à chercher dans cette formule du poème « je contiens des multitudes ». Chuck, comme chaque individu, est un univers en soi. Comme lui explique sa professeure, il est composé de tout ce qu’il voit, entend et pense. Par conséquent, sa disparition est celle d’un monde entier, métaphorique.

Dans le chaos ambiant, Life of Chuck plaide pour l’instant présent, débarrassé de l’angoisse d’un but à atteindre. Prendre le temps, en profiter. Comme en comptabilité, le bilan doit se faire à la fin. Une leçon de vie touchante de la part de Stephen King, certainement sa plus sincère et intime, mais pas si étonnante pour qui (re)connaît l’humanité présente entre les lignes du maître de l’horreur.

> Life of Chuck (The Life of Chuck) réalisé par Mike Flanagan, États-Unis, 2024 (1h50)

Life of Chuck (The Life of Chuck)

Date de sortie
11 juin 2025
Durée
1h50
Réalisé par
Mike Flanagan
Avec
Tom Hiddleston, Chiwetel Ejiofor, Karen Gillan, Jacob Tremblay, Mark Hamill, Benjamin Pajak, Annalise Basso, Pocket Queen
Pays
États-Unis