« Left-Handed Girl », reprise en main familiale

« Left-Handed Girl », reprise en main familiale

« Left-Handed Girl », reprise en main familiale

« Left-Handed Girl », reprise en main familiale

Au cinéma le 17 septembre 2025

Mère célibataire, Shu-Fen s'installe avec ses deux filles dans la capitale taïwanaise pour ouvrir une cantine de rue. Alors que l'unité familiale vacille, chacune tente de s'adapter à cette nouvelle vie. Co-écrit par Sean Baker (The Florida Project, Anora…), Left-Handed Girl fait écho à son intérêt pour les personnages en marge. La réalisatrice Shih-Ching Tsou y apporte son regard personnel sur la culture chinoise avec un rebondissement final qui redéfinit tendrement la notion de famille, à rebours des pressions sociétales.

Nouvelle vie pour Shu-Fen (Janel Tsai) et ses deux filles, I-Ann (Shi-Yuan Ma) et la cadette I-Jing (Nina Ye), qu’elle élève seule depuis que le père de I-Ann les a abandonnées. De retour à Taipei, le trio s’affaire dans une petite cantine située dans le cœur animé d’un marché nocturne de la capitale taïwanaise.

Si Shu-Fen continue à rendre visite à l’hôpital à son ex mari gravement malade, I-Ann refuse tout contact avec ce père démissionnaire. Lorsqu’elle n’aide pas sa mère à la cantine, la jeune femme possède un autre travail et rêve de prendre son indépendance. Au cœur des tensions entre sa mère et sa sœur, la jeune I-Jing fait du marché nocturne son terrain de jeu. D’échoppes en échoppes, la jeune fille erre sans surveillance et tente elle aussi de trouver sa place.

Left-Handed Girl © Left-handed Girl Film Production - Lhg Films Limited - Good Chaos - Le Pacte - Taipei Film Commission

Main dans la main

Réalisatrice et actrice taïwanaise-américaine, Shih-Ching Tsou a produit de nombreux films de Sean Baker : Starlet (2012), Tangerine (2015) – lire notre critique, The Florida Project (2017) et Red Rocket (2021). Elle joue également dans Tangerine et Red Rocket. Mais le lien entre les deux cinéastes remonte à 2004 lorsqu’ils co-écrivent et co-réalisent Take Out dans lequel un immigré illégal chinois a jusqu’à la fin de la journée pour honorer ses dettes. À l’époque, l’idée de ce qui deviendra Left-Handed Girl germe déjà dans leurs esprits mais le projet semble alors trop ambitieux et l’énergie du duo se focalise sur Take Out.

La production reprend en 2010 avec une première version du scénario mais de nouveau il est remis à plus tard devant les difficultés rencontrées pour financer un film en mandarin depuis les États-Unis. C’est finalement lors d’une projection de Red Rocket – lire notre critique – au Festival de Cannes que le projet débute enfin, après 21 ans d’une gestation intermittente, grâce à l’intérêt du producteur Le Pacte.

Prenant du recul lors du tournage pour laisser s’exprimer Shih-Ching Tsou, Sean Baker, dont le dernier film en date Anora (2024) – lire notre critique – a reçu 5 Oscars dont celui du meilleur film, est également intervenu sur le projet comme monteur. Une présence à l’écriture et dans la dernière ligne droite qui vient boucler une nouvelle collaboration du duo sur ce joli film qui fait écho aux productions signées Sean Baker en solo.

Left-Handed Girl © Left-handed Girl Film Production - Lhg Films Limited - Good Chaos - Le Pacte - Taipei Film Commission

Lignes parallèles

Avec son point de vue épousant successivement la trajectoire de Shu-Fen et de ses deux filles, Left-Handed Girl donne l’impression d’un mini film choral qui prend soin de donner autant d’importance à chaque membre de cette famille mono parentale. Le film suit les trajectoires parallèles des trois héroïnes au fil des tensions qui parcourent cette nouvelle vie à Taipei.

De fait, Left-Handed Girl est très féminin : le père absent est confiné à l’hôpital tandis que Johnny (Teng-Hui Huang), vendeur sur le marché et prétendant de Shu-Fen, ne s’impose pas véritablement malgré sa bienveillance. Le drame familial n’est pourtant pas marqué par une franche solidarité féminine. La relation se tend peu à peu entre Shu-Fen et I-Ann, la jeune femme rêve d’indépendance alors que sa mère tente de maintenir une cohésion familiale qui lui échappe.

Un surprenant retournement de situation à la fin du film viendra d’ailleurs expliciter à rebours cette tension palpable qui va au-delà d’une prise d’indépendance. En attendant que l’abcès soit crevé, chacune tente de survivre à son environnement. Filmées à hauteur d’enfant, les déambulations de I-Jing dans le marché nocturne mettent en avant cette cellule familiale qui la laisse avec une étonnante autonomie malgré son jeune âge.

Left-Handed Girl © Left-handed Girl Film Production - Lhg Films Limited - Good Chaos - Le Pacte - Taipei Film Commission

Lieu commun

Comme souvent dans les films de Sean Baker et Shih-Ching Tsou, le lieu n’a rien d’anodin. Avec ce marché nocturne, ironiquement lumineux avec ses lumières artificielles attirant les consommateurs, la réalisatrice met en scène un lieu incontournable de son enfance. Alors que le film dévoile peu à peu les secrets de ses protagonistes, l’environnement plein de vie est le pendant clinquant d’une histoire familiale pleine d’ombres où les secrets restent enfouis.

Cette opposition entre le lieu et le quotidien des protagonistes fait notamment écho au magnifique The Florida Project  – lire notre critique – dans lequel Halley, une autre mère célibataire, tente d’élever Moonee, son espiègle fille de six ans, en marge de la société et dans l’ombre du parc Disney World situé à côté de leur motel. Left-Handed Girl est parcouru par ce même courant qui s’agite en profondeur sous une surface qui ne doit pas faire de vague aux yeux de la société.

La main du diable

Le titre du film fait référence au fait que la jeune I-Jing est gauchère, une particularité héritée d’une histoire très personnelle vécue par la réalisatrice. Le grand-père de Shih-Ching Tsou lui a demandé un jour de ne pas utiliser sa main gauche car il la considérait comme la main du diable. Impressionnée par cette révélation, I-Jing décide dans le film de ne plus utiliser sa main gauche qu’elle accuse d’un malencontreux accident domestique, preuve que le grand-père dit vrai selon elle.

Left-Handed Girl © Left-handed Girl Film Production - Lhg Films Limited - Good Chaos - Le Pacte - Taipei Film Commission

Cette diabolisation d’un autre temps de la main gauche de la jeune fille est à mettre en parallèle avec la peur du jugement et du rejet social qui plane sur la cellule familiale. Sur ce point, le film rejoint, avec des thématiques différentes, la peur du « qu’en dira-t-on » social qui traverse également Chronique d’Haïfa (2025) – lire notre critique. Cette idée de sauver la face, particulièrement ancrée dans la culture chinoise où l’identité personnelle doit s’effacer devant les attentes sociétales, prend de l’ampleur tout au long de ce récit doux-amer, jusqu’au point de rupture.

Co-écrit par Sean Baker, Left-Handed Girl s’inscrit dans son univers en mettant en avant sa talentueuse comparse Shih-Ching Tsou qui signe là son premier film en solo comme réalisatrice. Regard tendre et personnel sur l’émancipation face aux attentes de la société chinoise, ce drame familial est mené de main de maître avec des personnages très attachants à la résilience salvatrice et inspirante.

> Left-Handed Girl, réalisé par Shih-Ching Tsou, Taïwan, 2025 (1h26)

Left-Handed Girl

Date de sortie
17 septembre 2025
Durée
1h26
Réalisé par
Shih-Ching Tsou
Avec
Shih-Yuan Ma, Janel Tsai, Nina Ye, Teng-Hui Huang
Pays
États-Unis - Royaume-Uni - Taïwan - France