Après des années de carrière en tant qu’acteur porno à Los Angeles, Mikey Saber (Simon Rex) est de retour dans sa ville natale de Texas City. Sans argent et sans emploi, il s’invite chez son ex-femme Lexi (Bree Elrod) et sa belle-mère qui l’acceptent à contrecœur. Pour payer le loyer, Mikey renoue contact avec d’anciennes connaissances peu fréquentables qui lui permettent de dealer à la sortie de la raffinerie de la ville.
Mikey reprend ses marques lorsqu’une rencontre inattendue va venir bouleverser la routine de ce retour aux sources. Serveuse au restaurant Donut Hole, Strawberry (Suzanna Son), une adolescente de 17 ans, capte immédiatement l’attention de Mikey. Alors qu’ils débutent une relation, l’imagination de Mikey s’emballe. Il envisage un retour en fanfare à Los Angeles avec à son bras la ravissante Strawberry pour une seconde chance dans le milieu du porno.
Le projet d’après
Dans le monde d’avant, le nouveau projet de Sean Baker devait être une romance compliquée se déroulant à Vancouver. Mais la pandémie qui s’est répandue aux quatre coins du monde en 2020 a tout chamboulé. Les frontières fermées, le réalisateur s’est retrouvé bloqué chez lui à Los Angeles. Après un mois de flottement, décision fut prise de passer à un autre projet.
La romance attendra, avec Red Rocket, le cinéaste explore le quotidien beaucoup moins glamour d’un ex acteur porno qui s’est grillé avec le milieu et tente de ne pas sombrer. Pour ce film tourné en pleine pandémie avec une équipe réduite de 10 personnes, Sean Baker et son directeur de la photographie se sont inspirés de Sugarland Express (1974), premier film de Steven Spielberg. L’esthétique de Red Rocket est également fortement imprégnée des films d’exploitation italiens des années 70. Sean Baker cite notamment les réalisateurs Fernando Di Leo et Umberto Lenzi comme influences principales.
Tourné en 16mm, Red Rocket revendique ce grain particulier qui lui confère un aspect nostalgique résonnant avec la quête de Mikey, de retour dans sa ville natale pour renaître de ses cendres. La beauté des couchers de soleil et la luminosité chaleureuse des plans offrent un charme indiscutable à ce film né dans l’urgence pandémique.
Casting sauvage
Comme à son habitude, Sean Baker réunit des acteurs confirmés et de nouvelles recrues devant sa caméra, parfois contactés de façon peu conventionnelle. À l’instar de Bria Vinaite qui incarnait Halley, la jeune mère dépassée par les événements dans The Florida Project (2017) – lire notre critique -, Simon Rex a été contacté par le réalisateur via Instagram. Ancien animateur sur MTV, l’acteur a beaucoup joué dans des comédies, notamment dans trois films de la saga parodique Scary Movie.
Point commun avec celui qu’il incarne, Simon Rex a tourné dans des vidéos porno au début de sa carrière. Musicien, il est également connu pour incarner Dirt Nasty, un rappeur décalé. Devant l’objectif de Sean Baker, Simon Rex livre une performance saisissante. Animé d’une nonchalance séduisante, il transmet un optimisme communicatif qui donne envie de croire à sa résurrection.
Suzanna Son a également été directement contactée par le réalisateur. Repérée à Hollywood dans le hall d’un cinéma, l’actrice novice également chanteuse a attendu deux ans avec d’être recontactée. Pour son premier rôle, sa présence magnétique crève l’écran. Elle incarne à merveille l’enthousiasme naïf d’une adolescente qui succombe logiquement au baratin charmeur de Mikey.
Positive attitude
L’atmosphère légèrement moite de Red Rocket colle parfaitement à l’espoir libidineux de son héros. Après avoir réussi à s’incruster chez son ex-femme, Mikey l’opportuniste semble revivre auprès de la jeune Strawberry. Homme-enfant, l’ex acteur porno ne se pose pas de questions, à commencer par les années qui le sépare de l’adolescente.
Lumineux, le nouveau film de Sean Baker épouse dans la forme l’état d’esprit de cet antihéros venant se réfugier dans sa ville natale comme dans le giron d’une mère protectrice. Pour ne pas perdre la face, Mikey relativise tout, tout le temps. Il peut ainsi rester positif quoi qu’il arrive, la faute étant de toute façon reportée sur quelqu’un d’autre. Jamais responsable, toujours gagnant.
Ce retour au bercail la queue entre les jambes – littéralement – Mikey ne peut l’envisager comme un échec. Il transforme sa mauvaise fortune en quelque chose de positif, question de survie. À chaque problème, sa solution. Pour payer le loyer, il suffit de magouiller en dealant. Cet aspect drôlement foutraque de la personnalité de Mikey crée de l’empathie, jusqu’au moment où son aspect vampirique prend le dessus…
La queue du Mikey
Éminemment sympathique de prime abord, la joyeuse insouciance de Mikey éclipse une contrepartie plus sombre. Comme à son habitude, Sean Baker met en scène des personnes en marge de la société américaine, outsiders magnifiques en prise avec un système qui les laisse au bord de la route.
Fasciné par les travailleurs.ses du sexe, le cinéaste avait notamment traité le sujet dans Starlet (2012) et l’ébouriffant Tangerine (2015) – lire notre critique. Cette fois-ci, Sean Baker explore le milieu du porno. Et pour l’évoquer, le profil de Mikey n’a pas été choisi au hasard. Il représente en effet l’archétype du « proxénète de plateau ».
Dans ce milieu à part, les stars féminines du porno sont plus populaires et gagnent bien mieux leur vie que leurs collègues masculins. Le proxénète de plateau, souvent un mari ou un petit ami, gère ainsi les affaires d’une actrice en vue. Mikey apparaît peu à peu comme ce parasite qui vit de l’exploitation de sa compagne. Son ex-femme Lexi en a fait les frais et il voit en Strawberry la prochaine star du milieu à laquelle se raccrocher pour revenir dans le milieu.
Capitalisme indécent
Derrière son sourire charmeur, Mikey est un profiteur prêt à tout pour assurer son confort personnel. Pour le réalisateur, l’optimisme invétéré de son personnage ne peut se dissocier d’un comportement d’escroc. En ce sens, Sean Baker le considère comme une figure typiquement américaine.
De la pornographie à l’économie, Red Rocket esquisse discrètement le portrait peu flatteur d’une Amérique insouciante, obnubilée par le succès à tout prix. Tel Mikey prêt à sacrifier la jeune Strawberry sous le rouleau compresseur de l’industrie du porno, l’Amérique qui se dessine en filigrane ne se soucie guère des dommages collatéraux – écologiques ou sociaux – dans la course effrénée à un « progrès » générateur de richesses immédiates.
Pour Sean Baker, Mikey n’est, dans l’esprit, pas si éloigné d’autres requins de l’économie ou de la finance. Sa libido et sa soif de succès n’ont rien à envier dans leur égoïsme aux prédateurs à l’œuvre dans There Will Be Blood (2007) ou Le loup de Wall Street (2013) cités en exemple par le cinéaste. Si cette filiation politique de l’opportuniste triomphant n’est jamais clairement explicitée dans le film, Red Rocket est traversé par une ambiance chaotique insidieuse tout aussi sulfureuse.
Donut saveur chaos
Si l’attention est évidemment portée sur le flamboyant Mikey, Red Rocket se déroule lors d’un moment historique très particulier. Hors champ, les actualités dévoilent par bribes que le retour de Mikey au Texas prend place lors de l’été 2016. Une période de bascule qui prépare insidieusement l’arrivée de Donald Trump au pouvoir.
Sean Baker l’assure, le choix de cette période n’a pas été conscient. Elle accompagne pourtant parfaitement la quête de Mikey. Durant cet été 2016, Trump incarne l’obscénité ainsi qu’une culture de l’excès dans des proportions encore inédites. Alors que les États-Unis allaient basculer sans le savoir dans quatre années très particulières de leur histoire, Mikey fait écho à cet excès fébrile résonnant dans les télés et radios.
Tourné en équipe réduite lors d’un bouleversement sanitaire, les conditions de tournage de Red Rocket viennent renforcer cette ambiance d’urgence électrique qui parcourt le film. Une tension qui vient de l’omniscience prédictive des spectateurs.trices au courant de la conclusion de la sinistre élection à laquelle s’ajoute le point de non retour du parcours de Mickey, trompé par un narcissisme aveugle. Le calme terrifiant avant une tempête inéluctable.
Amoral
Loser magnifique à l’optimisme à toute épreuve, Mikey donne envie de croire à sa renaissance. Mais pour jouer au phénix encore faut-il accepter de se remettre en question. Et l’ex star du porno n’est décidément pas prête à renoncer aux oripeaux d’une vanité destructrice. Pire, il préfère entraîner avec lui une nouvelle victime consentante, charmée par son emprise narcissique.
Sur le fil, Sean Baker laisse son antihéros exposer ses arguments pour séduire son entourage mais n’oublie jamais ses motivations aux ressorts plus sombres. Entre empathie et méfiance, le cinéaste rejette habilement toute leçon de morale. Drôle et séducteur, Mickey n’atteint jamais le piédestal qui lui permettrait l’absolution de ses péchés. Il semble piégé à mi-chemin entre paradis et purgatoire.
Cette volonté du cinéaste de refuser tout jugement moral fait écho à l’impossibilité pour le personnage de réaliser une introspection salvatrice. Aveuglé par son narcissisme, Mickey est piégé par son propre système d’injonction à un optimisme dilettante. Et il est cependant difficile de lui jeter la pierre tant nous avons tendance à nous réfugier, en tant qu’individus et sociétés, dans le même aveuglement insouciant face aux désastres à venir.
Avec un casting enthousiasmant, Sean Baker explore une nouvelle fois les contradictions cruelles de l’Amérique en retournant à un point de rupture, dans le silence assourdissant qui précède la tempête. Drôle et lumineux, Red Rocket est également parcouru par une terrible impuissance née d’un optimisme vécu comme une prophétie autoréalisatrice.
> Red Rocket, réalisé par Sean Baker, États-Unis, 2021 (2h10)