En 30 ans de métier, Vinsantos DeFonte, surnommé Vince, est devenu une figure incontournable du milieu drag de la Nouvelle-Orléans. Il incarne Lady Vinsantos sur scène depuis 10 ans et a fondé sa propre école, The New-Orleans Drag Workshop, pour passer le flambeau à de nombreuses drag queens. Dans ce lieu, les élèves se frottent à la pratique du drag vécu comme un acte artistique autant que politique. Un divertissement souvent cliquant mais qui fait évoluer derrière l’extravagance affichée les mentalités et les représentations notamment autour de la question du genre.
Son entourage ne le sait pas encore mais Vince est en quête de renouveau. Après une décennie vécue avec Lady Vinsantos, il est fatigué de sa création qui a phagocyté une partie importante de sa vie. Vince envisage sérieusement de dire adieu à Lady Vinsantos mais une telle reine mérite une disparition grandiose, sur scène évidemment. Vince se lance alors dans l’accomplissement de son rêve de toujours : un dernier show à Paris entouré de sa famille drag.
Découverte d’une Lady
Depuis la tragédie de l’ouragan Katrina de l’été 2005, la Nouvelle-Orléans connaît une véritable ébullition artistique. Attirés par un immobilier peu cher, les nouveaux arrivants provenant de la côte Ouest et de New-York ont dynamisé la scène artistique locale. Séduite par l’énergie de la ville, la réalisatrice Coline Abert décide de rester un moment sur place pour la capturer. Et c’est une rencontre fortuite va s’imposer comme le sujet de son premier long-métrage.
Un dimanche passé sur un champ de courses, la cinéaste repère Vince. Elle est intriguée par ce personnage couvert de tatouages, d’un genre qu’elle a du mal à déterminer, de retour d’un spectacle à Cleveland avec des traces de maquillage encore apparentes sur le visage. Les présentations faites par un ami en commun, Coline Abert découvre que Vinsantos est une icône drag queen de la scène underground de La Nouvelle-Orléans et de San Francisco, où il a démarré sa carrière. Ainsi débute un tournage de trois ans rythmé par les confidences de Vinsantos et la préparation d’un grand projet aux répercussions intimes.
Drag factory
The New-Orleans Drag Workshop est au cœur de ce documentaire parcouru par l’idée d’une famille que l’on se choisit. Vinsantos considère d’ailleurs tou.te.s les élèves ayant étudié le drag dans son école comme ses « enfants », à défaut d’en avoir avec son compagnon. Cette idée d’une communauté unie fait particulièrement sens lorsque certains élèves se livrent sur un parcours personnel souvent marqué par le rejet familial.
Au-delà de l’intérêt médiatique pour la pratique du drag, confirmé en France par la popularité d’un programme comme Drag Race France, Last Dance explore un versant underground plus politique défendu par Vinsantos auprès de ses élèves. Au sein de son workshop, il est évidemment question de maquillage, de faux seins et de posture mais l’identité est au cœur du personnage créé.
Derrière le spectacle, le drag s’impose comme une affirmation de soi qui transparaît dans le discours des apprenties drag queens qui se confient sur ce qui les amènent à vouloir se produire sur scène. Pour Vinsantos, l’intime, que l’on veuille ou non, est politique et les drags qui l’entourent portent toutes une identité et un point de vue sur la question, chacune à sa manière. Un propos qui vient bousculer la représentation du genre, sujet d’actualité s’il en est.
Paillettes soi même
Ces questions de l’identité et du genre qui titillent les élèves poussant la porte du New-Orleans Drag Workshop, Vinsantos y replonge lui-même la tête la première après 30 ans de carrière. Alors qu’il fête ses 50 ans lors du tournage, Vinsantos s’interroge sur son rapport à la scène et à ce personnage de femme qui le suit depuis 10 ans. Après une décennie de vie partagée avec Lady Vinsantos, Vince estime qu’il est peut-être temps de passer à autre chose. Quitter sa création, créature exigeante, pour se recentrer sur soi.
Et cette éventualité de tuer Lady Vinsantos le renvoie logiquement à son passé. À travers des archives familiales, Last Dance plonge dans les origines italiennes de Vince et sa jeunesse autodestructrice marquée par un monstre nommé SIDA dévorant les siens. Ce passé parfois chaotique dont il s’est extrait pour se réinventer fait écho avec la décision radicale qu’il s’apprête à prendre.
En parallèle de la performance scénique, le documentaire de Coline Abert offre un angle inédit et touchant sur une drag queen vieillissante qui fait le bilan mélancolique de sa carrière et envisage sa disparition d’un personnage devenu trop envahissant. Empruntant des chemins de traverse – jusqu’au bout, VinSantos ne semble pas certain de vouloir « tuer » sa Lady ni l’annoncer à ses proches -, les états d’âme de l’artiste nous guident jusqu’à ce dernier spectacle, forcément très personnel.
Le Paris d’une vie
Si Lady Vinsantos doit périr, il faut évidemment que ça soit sur scène. Sa dernière apparition se doit d’être mémorable, à la hauteur de son tempérament. L’organisation de cet ultime spectacle, à Paris comme l’a toujours rêvé Vinsantos, sert de fil rouge au documentaire et met en valeur le statut d’artistes des drags.
Pour cette représentation exceptionnelle, Vinsantos regroupe autour de lui des drags queens qui démontrent la variété et la vitalité d’un spectacle qui a résolument des choses à dire. Constituée d’artistes aux noms aussi chatoyants que Fauxnique, Franky Canga, Kitten on the Keys, Neon Burgundy ou encore Tarah Cards, la troupe bouscule joyeusement les normes établies dictées par une société un peu trop patriarcale pour être honnête.
Organisé dans un certain chaos, la marque de fabrique de Vinsantos, ce spectacle au cœur de la ville lumière est l’aboutissement d’un rêve de gosse pour Vince. Et le point de départ d’une nouvelle vie, sans Lady Vinsantos. La dernière irrévérence sur scène d’une lady qui a inspiré de nombreux « enfants » et qui leur laisse en héritage une certaine idée du spectacle et de la subversion.
Prenant le contrepied du cliché d’un spectacle de drags queens uniquement récréatif, Last Dance interroge l’impact politique de cet art sur la libération des mentalités sur les questions de genre et d’identité. Une exploration underground, certain.e.s diront plus sincère, d’un phénomène devenu médiatique porté par l’introspection touchante d’un artiste sur le temps qui passe et craquelle irrémédiablement même le fond de teint le plus résistant.
> Last Dance, réalisé par Coline Abert, États-Unis – France, 2022 (1h41)