Rahim (Amir Jadidi) purge une peine de prison en raison d’une dette qu’il n’a pas pu honorer. Lors d’une permission de sortie de deux jours, il espère convaincre Bahram (Mohsen Tanabandeh), son créancier, de retirer sa plainte contre le versement d’une partie de la somme.
Pour avoir ramené un sac contenant des objets de valeur abandonné, Rahim se retrouve subitement le héros local de la ville de Shiraz. Une reconnaissance qui s’affiche dans les journaux et devrait arranger ses affaires mais Bahram reste inflexible sur le paiement intégral de la dette. Et la situation est sur le point de devenir plus complexe…
Holding Out for a Hero
Pour son nouveau film récompensé du Grand Prix au dernier festival de Cannes, le réalisateur de Une séparation (2011), Le passé (2013) et Le client (2016) a délaissé Téhéran pour la ville plus tranquille de Shiraz. Une délocalisation qui ne modifie pas le style du cinéaste marqué par des drames à rebondissements.
Inspiré par des histoires d’inconnus qui se retrouvent dans les journaux pour un acte altruiste, Un héros détourne malicieusement ce quart d’heure de gloire warholien. L’acte apparemment désintéressé de Rahim permet à Asghar Farhadi d’explorer la représentation du héros et notre besoin en tant que société de se rassembler autour d’une telle figure. Un procédé d’autant plus actuel à l’heure des réseaux sociaux, faiseurs de rois et de reines en une fraction de seconde qu’ils peuvent détruire tout aussi vite.
Un héros nous invite à partager tout naturellement cet engouement autour de l’acte de Rahim. Une initiative d’autant plus généreuse que sa situation aurait pu le pousser à convertir sa trouvaille en argent sonnant et trébuchant pour régler sa dette et recouvrer sa liberté. Ce premier dilemme auquel est exposé le prisonnier n’est qu’un aperçu de ce qui l’attend.
L’auteur a ses raisons
L’état de grâce n’étant jamais une fin en soi dans l’œuvre d’Asghar Farhadi, Rahim ne tarde pas à sentir le piédestal sur lequel il a été hissé trembler sous ses pieds. Le héros démontre une fois de plus le goût du cinéaste pour l’ambiguïté et les personnages qu’il qualifie de « gris ».
Dans cette histoire de dette à rembourser, chacun a ses raisons et la morale devient alors à géométrie variable. Symbole de cette ambivalence qui s’installe insidieusement, Bahram, l’homme à qui Rahim doit de l’argent. Assurément, il est le méchant de l’histoire car il incarne tous les obstacles que doit affronter Rahim.
Mais tout comme Rahim, Bahram a ses raisons pour agir comme il le fait. Son intransigeance s’expose sous un nouveau jour. Un héros nous renvoie à notre propre jugement des raisons de chacun avec le défi de départager les parties en présence.
Imbroglios en série
La complexité de la situation s’installe peu à peu avec des révélations qui se referment sur Rahim. Cette construction du récit est héritée de la méthode de travail du cinéaste qui confie ne jamais avoir l’histoire complète du début à la fin lorsqu’il travaille sur un projet.
Par petites touches, le tableau devient plus confus posant la question de l’éthique de chacun. Dans ce dédale qui prend le risque de perdre le spectateur en cours de route, le thème d’une morale toute personnelle s’impose progressivement.
Au milieu de toute cette confusion, les enfants de Rahim sont des observateurs périphériques du chaos qui s’invite dans leur quotidien. On en vient à jalouser leur sidération, une position au cœur de la tornade qui a l’avantage de ne pas avoir à trancher pour un camp plutôt qu’un autre.
Dans la lignée des films du cinéaste, Un héros détourne une histoire banale pour interroger l’appétence de la société pour la figure héroïque ici cruellement confrontée aux contradictions personnelles. Asghar Farhadi prend un malin plaisir à former un tourbillon infernal qui emporte avec lui la notion même d’éthique.
> Un héros (Ghahreman), réalisé par Asghar Farhadi, Iran – France, 2021 (2h08)