« Le Lac aux oies sauvages », gangster chevalier en cavale

« Le Lac aux oies sauvages », gangster chevalier en cavale

« Le Lac aux oies sauvages », gangster chevalier en cavale

« Le Lac aux oies sauvages », gangster chevalier en cavale

Au cinéma le 25 décembre 2019

Au cœur d'une chasse à l'homme effrénée, un chef de gang en quête de rédemption s'associe à une prostituée prête à tout pour recouvrer sa liberté. Polar fébrile à l'esthétique soignée, Le lac aux oies sauvages fait surgir une certaine idée de la chevalerie dans les recoins sombres de la Chine moderne.

Après une réunion de malfrats qui dégénère, Zhou Zenong (Hu Ge) ouvre le feu sur des policiers qu’il confond avec des membres d’un clan ennemi. Pris en tenaille entre la police et les gangsters qu’il s’est mis à dos, le chef de gang tente de se faire oublier dans la région de Wuhan connue pour ses nombreux lacs. Lors de cette cavale endiablée, Zhou s’allie avec Liu Ai’ai (Gwei Lun Mei), une prostituée qui souhaite changer de vie. Réaliste, le malfrat sait que sa situation est sans issue mais il a un plan pour ne pas être capturé en vain.

Le lac aux oies sauvages © Green Ray Films - Memento Films

Fiction réalisée

Imaginé avant son film précédent Black Coal (2014) – lire notre chronique –, ce polar se déroulant à Wuhan sur les rives du Fleuve bleu a longtemps été jugé comme insuffisamment abouti par Diao Yi’nan. Mis de côté, le projet a finalement été rattrapé par la réalité. En 2012, une « Assemblée nationale des voleurs » telle que l’a imaginée le réalisateur s’est réellement déroulée à Wuhan. Composée de délégués provenant de tout le pays, cette réunion insolite avait pour but de partager le territoire de la cité entre différents gangs. Cette réunion étonnante est la source de tous les malheurs de Zhou, poussé à l’exil. L’activité de « baigneuse » exercée par celle qui devient son alliée lors de sa fuite existe également. Le cinéaste avait remarqué ces « assistantes de baignade » dans un ville balnéaire avant de découvrir plus tard que cette forme de prostitution bon marché existait également dans les villes en bordure du Fleuve bleu où se déroule l’intrigue. Inspiré par la réalité, Le lac aux oies sauvages ne possède pourtant pas des eaux limpides. Diao Yi’nan se plaît à troubler son récit avec une temporalité et une conception des lieux bien spécifiques.

Le lac aux oies sauvages © Green Ray Films - Memento Films

Wuhan reconstituée

Premier port fluvial de Chine, Wuhan est situé à 700 km à l’ouest de Shanghai, sur les rives du Fleuve bleu. Le cinéaste en dresse un portrait abstrait, recomposé à partir de décors trouvés dans un périmètre de 200 km autour de la ville. En piochant dans l’incroyable variété des paysages de « la ville aux cent lacs », Diao Yi’nan propose un univers lui aussi « en marge » dans lequel évolue nos deux anti-héros aux abois. L’évolution du son, de moins en moins réaliste, renforce le décalage de cette fuite en avant tragique. Le lac aux oies sauvages prouve une nouvelle fois la maîtrise du cinéaste à proposer un polar à l’esthétique sublime qui se teinte ici d’un voile abstrait, jouant avec le temps et l’espace.

Le lac aux oies sauvages © Green Ray Films - Memento Films

Ô temps, suspends ton vol

La rencontre d’un homme et d’une femme, dans une petite gare de banlieue, un soir de pluie. Cette première image s’est imposée au réalisateur dès le départ. Le film s’ouvre sur ce rendez-vous énigmatique pour ensuite revenir sur le parcours des deux inconnus unis par les circonstances. Peu à peu, les flashbacks dévoilent une situation à l’issue incertaine en parallèle d’une cavale de plus en plus désespérée. Plus fébrile que Black Coal, le nouveau film de Diao Yi’nan joue habilement sur les temps morts. Au coeur de la traque, le réalisateur excelle à filmer ces moments hors du temps, où tout peut basculer. Lors de ces pauses quasi surréalistes, le destin semble jouer à la roulette russe. Cette conception du temps, revécu à travers des flashbacks et suspendu par moment, renforce l’aspect intemporel de cette cavalcade à l’issue qui semble jouée d’avance.

Le lac aux oies sauvages © Green Ray Films - Memento Films

Chevalier gangster

Avec ce nouveau polar, Diao Yi’nan plonge le spectateur au coeur du jianghu, terme désignant en Chine le monde de la pègre et de façon plus générale tout ce qui est « en marge » des normes sociales. Le mot englobe les chanteurs de rues, les gangsters et les chevaliers errants de la Chine ancienne. Un rapprochement qui peut paraître incongru sur lequel joue le cinéaste. Poursuivi par un impressionnant dispositif policier et les gangs rivaux, les choses s’annoncent très mal pour le chef de gang. Mais peu importe, sa fuite n’a pas pour but d’échapper à ses ennemis. Perdu pour perdu, Zhou n’a qu’un objectif : être capturé selon ses conditions pour une raison très personnelle.

Cette chasse à l’homme étonnante insuffle une certaine idée de la « droiture chevaleresque » dans le monde marginal des gangs. Le malfrat en fuite incarne paradoxalement une certaine noblesse d’âme qui s’est perdue dans la Chine moderne selon Diao Yi’nan. Face à la modernisation et l’angoisse d’une société en mutation, Le lac des oies sauvages remet au goût du jour l’idée intemporelle de la chevalerie. L’association entre jianghu et chevalerie peut paraître étrange mais seuls ceux qui ont tout à perdre peuvent réellement démontrer cette qualité. Ce polar prenant est là pour nous en convaincre.

Course poursuite nerveuse sur les rives du Fleuve bleu, Le lac des oies sauvages évolue en eaux troubles, manipulant le temps et l’espace pour mieux étourdir le spectateur. La mise en lumière paradoxale du sacrifice du gangster, sublimée par une réalisation très maîtrisée, est la clé de ce polar captivant.

> Le lac aux oies sauvages (Nan Fang Che Zhan De Ju Hui), réalisé par Diao Yi’nan, Chine – France, 2019 (1h53)

Affiche du film "Le lac aux oies sauvages (Nan Fang Che Zhan De Ju Hui)"

Le lac aux oies sauvages (Nan Fang Che Zhan De Ju Hui)

Date de sortie
25 décembre 2019
Durée
1h53
Réalisé par
Diao Yi'nan
Avec
Hu Ge, Gwei Lun Mei
Pays
Chine - France