Une nuit, Leo (Masataka Kubota) rencontre Monica (Sakurako Konishi) après un match de boxe à Tokyo. Le coup de foudre est instantané. Hypnotisé par ce « premier amour », le jeune boxeur est loin de se douter des conséquences de son élan romantique. Escort toxicomane, l’élue de son cœur est en effet impliquée malgré elle dans une sombre histoire de trafic de drogue. Très vite, les évènements dégénèrent pour le jeune couple.
En quelques heures, Leo et Monica se retrouvent traqués à travers Tokyo par un policier corrompu, un yakuza, l’ennemi juré de Leo et une tueuse envoyée par les triades chinoises. Cernés de toutes parts, les amoureux vont vivre la plus longue nuit de leur vie, entre effusion de sang et balles perdues.
Prolifique
Avec désormais plus de cent films au compteur — les premiers réalisés au format vidéo, plus faciles à financer pour un débutant —, Takashi Miike s’est imposé comme un cinéaste aussi déconcertant que prolifique. Si First Love, le dernier Yakuza est une façon de revenir à des « thèmes familiers » — notamment l’univers mafieux — selon l’aveu du réalisateur, son impressionnante filmographie étonne par la variété des styles explorés. Ses films ont parfois de quoi laisser perplexe mais impossible d’accuser le cinéaste qui fonce vers ses 60 ans de creuser un sillon confortable en réalisant toujours le même film.
Avec une moyenne de 4 films par an au cours des 25 dernières années, Takashi Miike a effectué un large tour d’horizon des styles cinématographiques : film d’action burlesque (Yatterman – 2009), drame intimiste (Visitor Q – 2001), western (Sukiyaki Western Django – 2007), adaptation de manga (Ichi The Killer – 2001) film d’horreur (Audition – 1999) ou encore aventures de super-héros à la japonaise avec l’excentrique Zebraman (2004). La liste des excursions stylistiques de Takashi Miike semble interminable.
Et pourtant, malgré ces genres disparates, il y a toujours une « touche Miike » que l’on retrouve avec bonheur dans ce Yakusa Eiga (film de mafieux) mêlant joyeusement romance sentimentale et violence débridée.
Légèrement à côté de la plaque
Match de boxe, fusillades, course poursuite en voiture et combats au sabre… Difficile de s’ennuyer devant le programme délirant. À défaut d’être totalement crédible — ou alors Leo et Monica sont définitivement les personnes les plus malchanceuses au monde —, cette folle cavale nocturne tokyoïte est drôlement jubilatoire. Takashi Miike ne se soucie guère du réalisme, il est parfaitement à l’aise dans la zone grise entre naturel et emphase. First Love, le dernier Yakuza possède ce regard légèrement surréaliste qui rend l’univers cinématographique de Miike si particulier et attachant.
Kiss Kiss Bang Bang
Tout n’est pour autant pas si déconnecté de la réalité dans ce polar frénétique. Le coup de foudre de Leo pour Monica, contrarié par l’irruption soudaine d’une violence déchaînée, insuffle une excitante fébrilité au film. Takashi Miike joue évidemment avec cette tension née de l’impossibilité de jouir de cette romance naissante. Pris dans la folie de cette chasse à l’homme aux multiples acteurs, le couple n’a plus grand chose à perdre… à part l’autre.
Cette idée que tout peut s’arrêter subitement dans une mare de sang vient renforcer les sentiments des jeunes amants en devenir et le souhait du spectateur que le jeune couple voit le soleil se lever sur cette nuit de tous les dangers. Loin du train-train quotidien, l’amour est sublimé par ce risque d’être tragiquement séparé à tout instant. La menace de la mort et la promesse d’une romance s’alimentent l’un et l’autre, se renforçant dans un tragique paradoxe.
Droit dans le mur
Romance ensanglantée, First Love, le dernier Yakuza est un joyeux chaos qui décrit également un Japon — et par extension un monde — en mutation. Milice autoproclamée historique, les yakuzas sont ici menacés par des hors-la-loi divers et notamment des gangsters chinois. Les poursuivants de Leo et Monica se retrouvent ainsi en compétition entre eux pour les retrouver. Une situation burlesque qui renforce l’impression chaotique de cette incroyable cavale.
Avec autant de protagonistes se tirant dans les pattes, la confusion permanente n’est pas sans rappeler l’état du monde. En dynamitant le film de mafieux, Takashi Miike semble nous tendre un miroir dans lequel se reflète une société toujours plus incertaine. Magie du cinéma, ce nouveau délire de Miike permet d’exorciser cette désagréable impression que l’humanité se dirige droit dans le mur. Le cinéaste lui n’hésite pas : il appuie malicieusement sur l’accélérateur, le sourire aux lèvres.
Réjouissant film de gangster sentimental, le nouveau Takashi Miike prouve que le cinéaste peut encore étonner après une centaine d’histoires à son actif. En flirtant astucieusement avec l’excès, First Love, le dernier Yakuza renvoie amour et violence dos à dos dans un combat à mort, furieusement divertissant.
> First Love, le dernier Yakuza (Hatsukoi), réalisé par Takashi Miike, Japon, 2019 (1h48)