Jeromeuh, tendrement viril

Jeromeuh, tendrement viril

Jeromeuh, tendrement viril

Jeromeuh, tendrement viril

5 septembre 2011

Après une naissance en fanfare sur le net, le personnage de Jeromeuh s'est s'installé dans les librairies. Cet homosexuel urbain, trentenaire, mélancolique, bougon mais très attachant est le héros d'une bande dessinée qui raconte ses petites histoires viriles. Rencontre avec l'auteur de ce récit incisif et plein d'autodérision.

Jeromeuh, c’est l’histoire d’un mec d’une trentaine d’années, citadin, à moitié bien dans ses baskets et qui recherche le grand amour. Un type gay, ordinaire et sensible. Sincère mais maladroit dans ses gestes comme dans ses paroles. Jeromeuh, c’est un mec attachant, héros d’un "viril blog" devenu un petit phénomène sur internet. Et depuis quelques mois, Jeromeuh s’est aussi installé confortablement dans les rayons des librairies, avec ses Petites histoires viriles.

Derrière Jeromeuh, Mehdi-Jérôme pour l’état civil, Jérôme dans la vie. 30 ans, originaire de Cherbourg (Basse-Normandie), le jeune homme est aujourd’hui illustrateur professionnel à Paris. Et lorsqu’il affirme que « le blog a complètement changé sa vie », l’expression n’est pas excessive. Tout commence fin 2007. A cette époque, Jérôme vit de petits boulots depuis huit ans. Serveur, vendeur de légumes à Rungis, etc., il n’a pas trouvé sa voie… Mais depuis tout petit, il dessine, sans vraiment imaginer qu’il pourra en faire un jour son métier. Il décide alors d’ouvrir un blog – « un journal de bord » – pour partager ses dessins. Rien d’original, les blogs BD commencent à envahir la Toile. « Je n’étais pas précurseur, j’ai suivi le mouvement ». Jeromeuh est né. D’abord autobiographiques, les histoires deviennent rapidement des fictions. « Ce n’était pas mon truc de raconter mon quotidien, ma vie au premier degré. Mon truc, c’est plutôt de faire le petit malin, raconter des blagues, faire mon intéressant devant la galerie ». Jérôme se camoufle donc derrière Jeromeuh.

Les petites scènes de la vie quotidienne de cet homosexuel qui n’a pas la langue dans sa poche, torturé mais attachant, rencontrent un rapide succès. Elles attirent aujourd’hui plus de 20 000 visiteurs à chaque nouvelle publication sur le blog. Inespéré pour cet autodidacte, pas vraiment intéressé par l’école, mais qui a le crayon qui le démange. « J’avais envie de raconter des histoires d’amour, la recherche du bonheur. Finalement, ce sont des histoires ordinaires, le quotidien de M. Toutlemonde ». Le style de Jérôme ? Le format court, l’envie de saisir un instantané. Une ou deux cases, rarement plus. Sa référence ? Voutch et ses dessins humoristiques, et Gary Larson pour ses histoires en une seule vignette. « Ça correspond aussi à ma façon de réfléchir. Je fonctionne un peu de manière hachée. Je prends souvent l’image du stroboscope pour expliquer mes envies. Et puis, c’est aussi l’occasion de faire des gags puisque j’aime beaucoup le stand up américain. »

Un rêve ? Etre édité chez Delcourt

Ces délicieuses aventures de Jeromeuh le gringalet, gay émotif et parano, acariâtre et un peu gaffeur, tendre et plein d’autodérision, Jérôme envisage de les transposer sur papier. Passer du blog au livre. Là encore, ce n’est pas nouveau. Pénélope Bagieu et Margaux Motin ont ouvert la voie des blogs illustrés couchés sur papier. Des albums qui sont des succès de librairie. Jérôme, lui, affirme qu’il a voulu répondre à une envie. Une motivation qui était déjà la raison d’être du blog. Pas de travestissement donc, ni la recherche d’un succès assuré. D’autant que convaincre un éditeur n’a pas été de tout repos. Son projet sous le bras – les dessins du blog imprimés sur papier – il se rend à un speed booking, le speed dating de l’édition, lors du Salon du livre à Paris.

Il doit persuader les directeurs de collection du bien-fondé d’un tel album. Et qu’il a sa place sur un marché de la BD déjà bien garni en nouveautés. Lui qui n’a pas encore sorti un seul album, qui n’est pas illustrateur de profession, espère secrètement être édité chez Delcourt. Vœu exaucé. Ses arguments ont fait mouche. « C’est peut-être prétentieux, mais j’avais l’impression qu’éditer mon travail était une bonne chose, que ça pouvait apporter du neuf à ce qui se fait dans l’édition gay actuellement. J’ai eu envie qu’il y ait ce type de récits dans le paysage, pour ne pas que l’on parle uniquement des homosexuels avec des trucs porno, ou tristes, ou en assimilant les gays à des folles. Ces choses-là ont le mérite d’exister, mais je ne me reconnais pas forcément dedans. »

Et avant même de lui demander si ce n’est pas qu’un coup marketing de la part de son éditeur – surfer sur la réussite de son blog et l’adapter sous forme d’album, un classique désormais – le jeune homme devance les éventuelles suspicions. Avec conviction et lucidité. « Ceux qui imaginent cela, sont mal informés et naïfs. Je ne suis pas assez lu sur mon blog pour que ce soit un coup marketing de Delcourt. Et contrairement à ce que pensent certains, je ne suis pas dans un segment de population – les gays – facile à marketer ».

Pas de militantisme mais des dialogues acerbes

Pour son premier album, les critiques sont globalement positives à l’égard de Jeromeuh. Un style frais, des dialogues acerbes – parfois crus mais jamais racoleurs – des récits réalistes dans lesquels tout le monde peut se reconnaître. Jeromeuh ou les Petites histoires viriles d’un homosexuel « furieusement urbain ». Jérôme a su exprimer ses idées, laisser courir son imagination sans caricature, tout en plaisant au grand public. Dans cette album, aucun militantisme ni volonté de faire passer un message. « Je ne suis pas militant gay, mais je me sens forcément très concerné, lâche-t-il. Pas uniquement pour la cause homosexuelle, mais par toutes les discriminations, les minorités quelles qu’elles soient. Plus le temps passe et plus je me rends compte que la société est intolérante»

Le fait de compter de nombreuses mères de familles et des hommes hétérosexuels – « souvent, ils ont découvert le livre par leur petite amie ou leur femme » – parmi ses lecteurs, lui fait dire que les choses sont en train de changer dans la société française. « Ce qui me plaît, c’est que ceux qui ont aimé le livre se fichent complètement que ce soient les histoires d’un homosexuel. Ce n’est pas pour ça qu’ils le lisent. Il n’y a pas de côté voyeur ni de choses exotiques dans l’album ». Le tome 2 est d’ailleurs largement réclamé par ses fans.

Depuis la création du blog et surtout depuis la sortie du livre fin mai, Jérôme a donc fait de sa passion, son métier. Il est aujourd’hui illustrateur indépendant pour la télévision et la presse. Dès le mois prochain, il débute une collaboration avec le magazine Têtu pour qui il réalisera une planche mensuelle. Quant au deuxième album, il est en cours… Le scénario est écrit depuis déjà quelques mois, mais l’auteur a eu un peu de mal à retrouver l’inspiration depuis la sortie des Petites histoires viriles. Le pitch ? Jérôme laisse planer le suspense. Seul indice : une jeune femme qui change d’identité. Une histoire longue cette fois-ci.

 

> Les petites histoires viriles, de Jeromeuh, Delcourt, mai 2011.