« Je tremble ô Matador », fol amour

« Je tremble ô Matador », fol amour

« Je tremble ô Matador », fol amour

« Je tremble ô Matador », fol amour

Au cinéma le 15 juin 2022

En 1986, pendant la dictature de Pinochet, La Loca, un vieux travesti accepte par amour d'aider un révolutionnaire qu'il vient de rencontrer. En équilibre entre thriller politique et romance contrariée, Je tremble, ô Matador est une adaptation touchante du roman éponyme de l'activiste Pedro Lemebel. Une œuvre parcourue de combats politiques parallèles sublimée par Alfredo Castro, d'une justesse folle.

Dans le Chili du milieu des années 80, la population vit au quotidien sous la dictature du général Pinochet. Lors d’une violente descente de police dans un bar gay, Carlos (Leonardo Ortizgris), révolutionnaire idéaliste, croise la route d’un travesti vieillissant répondant au nom de La Loca del Frente (Alfredo Castro).

Alors qu’une relation ambiguë se noue entre eux, La Loca accepte que Carlos cache chez elle des cartons censés contenir des documents secrets pour faire tomber le pouvoir en place. Ensemble, ils s’engagent dans une opération clandestine à haut risque.

Je tremble, ô Matador © Outplay Films

Romance fiction

Au Chili, Je tremble ô MatadorTengo miedo Torero dans son titre original – est un roman très populaire. Cette romance sur fond de combat politique est l’unique fiction écrite par Pedro Lemebel, activiste gay engagé dans la lutte pour les droits des LGBTQI.

Beaucoup ont voulu reconnaitre dans le personnage de « la folle », ce vieux travesti qui tombe sous le charme d’un guérillero qui prépare un attentat contre la dictature, l’auteur lui-même. Pourtant, même si Lemebel a pu s’inspirer de sa propre expérience et de ses amies travesties, La Loca del Frente est bien un personnage de pure fiction que Rodrigo Sepúlveda transpose à l’écran.

Je tremble, ô Matador © Outplay Films

Dissidents

Habile, le réalisateur trouve le bon équilibre pour cette histoire politico sentimentale. Ces deux aspects se mêlent dans cette romance étonnante où l’amour pousse un vieux travesti sur le déclin à mettre à disposition son appartement comme planque pour un guérillero.

Une relation saugrenue qui fonctionne pourtant, les deux protagonistes étant réunis par un double secret. Pour Carlos celui de fomenter un attentat contre le pouvoir en place – en cachant en partie ses intentions – et pour La Loca d’être homosexuel dans un pays où cet amour est illégal.

Je tremble ô Matador est parcouru par ce double interdit, intime et politique, qui les rapproche mais les maintient également chacun dans une solitude bien particulière. D’un côté le guérillero doit faire profil bas pour cacher son engagement révolutionnaire et de l’autre le travesti ne pouvant vivre sa sexualité au grand jour. Cet enfermement symbolique est incarné par l’appartement miteux dans lequel vit La Loca, épicentre de cette relation trouble.

Je tremble, ô Matador © Outplay Films

Combats parallèles

À l’instar des autres personnages qu’il a pu incarner, Alfredo Castro considère La Loca comme un « corps politique » qui porte en lui tout un environnement. Une vision sociologique du jeu d’acteur qui place le curseur sur le plan politique et fait écho avec le combat porté par le roman.

Ou plutôt les combats. Avec ces deux personnages très différents, Je tremble ô Matador n’hésite pas à confronter deux batailles bien distinctes qui ont du mal à cohabiter. Pour illustrer cette idée, Alfredo Castro a demandé à intégrer dans le film des éléments provenant d’autres écrits de Pedro Lemebel.

Ainsi La Loca reproche à l’élu de son cœur que le combat qu’il mène pour renverser Pinochet n’inclut évidemment pas sa communauté de « folles ». Un peu tôt dans les années 80 pour parler d’intersectionnalité, chacun luttant en parallèle pour ses droits. Une mise au point qui renvoie au vécu de l’écrivain logiquement malmené par la droite chilienne mais aussi par la gauche qui ne l’a pas soutenu comme il l’aurait souhaité.

Je tremble, ô Matador © Outplay Films

À la folie

Sur le papier, le roman de Pedro Lemebel semble compliqué à adapter à l’écran pour son statut double de thriller et romance et ce personnage haut en couleurs de La Loca qui peut facilement basculer dans le cliché. Il n’en est rien grâce à la prestation saisissante de Alfredo Castro qui porte le film sur ses épaules.

Figure du théâtre chilien, l’acteur est aussi à l’aise en talons aiguilles que dans les autres rôles complexes de sa carrière. Castro est aussi crédible dans la robe de La Loca que dans la peau du meurtrier Tony Manero (2008) ou du prêtre pédophile de El Club (2015), deux performances captées par la caméra de Pablo Larraín.

Je tremble, ô Matador © Outplay Films

Attentat tout en pudeur

Le vieux travesti est d’autant plus touchant qu’il possède une détermination infaillible mais reste fragile lorsqu’il est question de son amour pour Carlos. Comme lui prédit une de ses amies, Carlos lui brisera le cœur. Et cette prédiction semble acceptée par La loca avec une résignation qui ne la rend pas moins cruelle.

Je tremble ô Matador raconte également avec beaucoup de pudeur cette histoire éternelle d’un amour déséquilibré et ambigu, peu importe le genre du couple concerné. Avec, au cœur de ce récit, une solitude plus dévastatrice que n’importe quel coup d’État.

Adaptation du roman éponyme de l’activiste chilien Pedro Lemebel, Je tremble ô Matador navigue en équilibre fragile entre romance et thriller, réunis ici de façon assez efficace. Un drame politique d’une sincérité touchante mené par un acteur en état de grâce aussi bouleversant dans la  folle démesure que dans la sobre expression d’une solitude universelle.

> Je tremble ô Matador (Tengo Miedo Torero), réalisé par Rodrigo Sepúlveda, Chili – Argentine – Mexique, 2020 (1h33)

Je tremble ô Matador (Tengo Miedo Torero)

Date de sortie
15 juin 2022
Durée
1h33
Réalisé par
Rodrigo Sepúlveda
Avec
Alfredo Castro, Leonardo Ortizgris, Julieta Zylberberg
Pays
Chili - Argentine - Mexique