« Tengo sueños eléctricos », la rage en héritage

« Tengo sueños eléctricos », la rage en héritage

« Tengo sueños eléctricos », la rage en héritage

« Tengo sueños eléctricos », la rage en héritage

Au cinéma le 8 mars 2023

Alors que ses parents se séparent, Eva décide de vivre avec son père… malgré sa violence. Œuvre fébrile, Tengo sueños eléctricos observe la violence intrafamiliale d'un œil distant, captant sa rage destructrice et la fascination qu'elle peut exercer. Un premier film électrique parcouru d'ambiguïté, aussi stimulant que dérangeant, qui se refuse à dénoncer explicitement les excès qu'elle éclaire d'une lumière crue.

Dans un climat de violence intrafamiliale devenue intenable, les parents d’Eva (Daniela Marín Navarro), 16 ans, se séparent. Plutôt que de rester avec sa mère et sa petite sœur, l’adolescente préfère partir vivre avec son père Martin (Reinaldo Amien), un artiste bohème. Débute alors la recherche d’un appartement dans la ville de San José. Une tentative pour Eva de garder le lien avec son père à travers une relation complice ambiguë sur laquelle plane l’ombre d’une violence latente.

Tengo sueños eléctricos © Geko Distribution, Wrong Men, Geko Films et Tres Tigres Films - distribution Heretic

Pas exotique

Réalisatrice franco-costaricienne, Valentina Maurel signe avec Tengo sueños eléctricos un premier long-métrage qui se démarque de la plupart des films latino américains. Alors que le cinéma qui nous parvient de ces pays explore souvent la violence des gangs, le cinéaste met en lumière la plus discrète violence domestique.

Ce sujet familial permet d’échapper à une sorte d’exotisme pour cette histoire qui se situe dans la ville de San José, loin des décors de carte postale d’un Costa Rica balnéaire. Centré sur la vie citadine et un cocon familial explosé, Tengo sueños eléctricos met à jour une violence aussi terrible que tristement banale. Impossible de la mettre à distance d’aucune façon, d’autant plus que Valentina Maurel appuie là où ça fait mal en jouant de l’ambiguïté des sentiments de l’adolescente face à cette rage paternelle.

Pour incarner ce père violent, la cinéaste a fait appel à Reinaldo Amien qu’elle a déjà dirigé dans son court-métrage Lucia en el limbo (2019). Afin d’endosser le rôle complexe de l’adolescente, son choix s’est porté sur une novice. Daniela Marín Navarro a en effet répondu à l’annonce du casting car elle s’ennuyait chez elle pendant la pandémie. Un pari risqué qui s’avère gagnant car la jeune amatrice s’impose devant la caméra. Sa prestation d’un naturel confondant a d’ailleurs été récompensée, notamment au Locarno Film Festival en 2022.

Tengo sueños eléctricos © Geko Distribution, Wrong Men, Geko Films et Tres Tigres Films - distribution Heretic

Violent lyrisme

S’il fallait à tout prix chercher une touche d’exotisme détonant avec notre regard européen, elle serait poétique. Dans cette atmosphère étouffante de violence latente, Tengo sueños eléctricos fait une place qui peut paraître étonnante à la poésie. Le nom du film provient d’ailleurs d’un poème écrit par Martin.

Une juxtaposition entre lyrisme et violence qui peut paraître incongrue mais que la cinéaste a souhaité mettre en avant comme une spécificité nationale. Alors qu’elle regrette le « respect funèbre » des européens pour la poésie, Valentina Maurel l’impose dans son film comme une activité bien vivante à travers le club de poésie auquel participe Martin.

Avec ce rapport plus direct et décomplexé à l’art, le père écrit de la poésie pour exprimer son amour mais aussi sa souffrance. Des vers griffonnés sur un bout de papier où il proclame que l’on peut s’aimer jusqu’à se porter des coups. Un amour très vache qu’il revendique pour se dédouaner de sa responsabilité de père et de bourreau. Ce rapport dérangeant entre lyrisme et violence donne l’ambiance d’un périple qui débute sous tension et s’enfonce progressivement dans l’ambiguïté.

Tengo sueños eléctricos © Geko Distribution, Wrong Men, Geko Films et Tres Tigres Films - distribution Heretic

Tel père, telle fille ?

Cette violence paternelle, Tengo sueños eléctricos l’impose dès sa scène d’ouverture décrivant l’arrivée en voiture de la petite famille à la nouvelle demeure maternelle. Pris d’un soudain accès de violence, Martin s’en prend à la porte du garage. Eva sort de la voiture pour le raisonner, contre l’avis de sa mère, tandis que sa petite sœur d’Eva se fait pipi dessus de peur. En quelques minutes tout est dit. Cette introduction maline place au cœur du film une menace qui ne le quittera plus.

À travers l’attachement inconditionnel d’Eva à ce père violent, Tengo sueños eléctricos interroge la puissance de l’emprise paternelle subie par l’adolescente. Malgré le danger que représente son père, elle fait le choix de le suivre pour le soutenir dans sa dérive. Par amour, elle se laisse entraîner dans ce cercle vicieux de la violence intrafamiliale.

Avec cette condescendance face aux excès de son père, Eva prend le risque d’intérioriser cette violence et de la reproduire elle-même. À moins que cette banalisation de l’inacceptable fasse écho à une rage qu’elle porte également en elle. Le père et la fille sont unis par ce sentiment de tendresse mêlé à une tension omniprésente. Un sentiment d’urgence complexe que la cinéaste expose sans chercher à en dénouer les fils intimement mêlés.

Tengo sueños eléctricos © Geko Distribution, Wrong Men, Geko Films et Tres Tigres Films - distribution Heretic

Land of confusion

Il ne faut en effet pas attendre de Valentina Maurel les clés pour décrypter ce mystère émotionnel. Au contraire, la cinéaste assume de jouer du sentiment de confusion pour faire écho à la découverte par Eva d’un nouveau monde. Un univers auprès de son père qui la confronte à une violence pouvant exploser à tout moment mais aussi à la découverte de sa sexualité sans garde-fou.

Au-delà de la menace violente, l’expérimentation de ses désirs par Eva crée un certain malaise au sein du film. Attirée par le colocataire de son père bien plus âgé qu’elle, l’adolescente décide qu’il sera son premier amant. Une relation dont la cinéaste montre les ébats sans trop se soucier de la pudeur et surtout, chose assez inhabituelle, sans la condamner explicitement.

Comme pour le rapport ambigu de l’adolescente et son père, la cinéaste assume de ne pas porter de jugement moral sur cette relation. Elle s’efface totalement pour laisser le soin aux spectateurs.trices de tracer la frontière entre le consentement et l’abus et juger de la responsabilité de chacun. Avec son regard neutre sur les expériences d’Eva, Tengo sueños eléctricos expose crûment une ambivalence que le film se refuse à trancher. Ni héroïne, ni victime, la cinéaste espère ainsi délivrer son héroïne des pressions patriarcales, aussi bien abusives que protectrices.

Tengo sueños eléctricos © Geko Distribution, Wrong Men, Geko Films et Tres Tigres Films - distribution Heretic

Avec son parti pris radical de ne pas juger les élans sentimentaux de sa jeune héroïne ni ceux qui en sont les cibles, Tengo sueños eléctricos est volontairement équivoque sur les notions de soumission à la violence et interroge frontalement le consentement. Eva est un personnage féminin – féministe ? – en équilibre sur un fil dont les contradictions sont livrées telles quelles au spectateur qui doit assumer sa propre analyse de la situation. Une responsabilité aussi saisissante que déroutante.

> Tengo sueños eléctricos, réalisé par Valentina Maurel, Belgique – France – Costa Rica, 2022 (1h42)

Tengo sueños eléctricos

Date de sortie
8 mars 2023
Durée
1h42
Réalisé par
Valentina Maurel
Avec
Daniela Marín Navarro, Reinaldo Amien Gutiérrez, Vivian Rodríguez Barquero, Adriana Castro García, José Pablo Segreda Johanning, Mayté Ortega Floris, Jeniffer Fernández
Pays
Belgique - France - Costa Rica