« Quién te cantará », identités désenchantées

« Quién te cantará », identités désenchantées

« Quién te cantará », identités désenchantées

« Quién te cantará », identités désenchantées

Au cinéma le

Alors qu'elle prépare son grand retour sur scène, Lila Cassen, ancienne star de la chanson des années 90, devient amnésique suite à un accident. Aidée par Violeta, sa plus grande fan, la chanteuse à la mémoire qui flanche va devoir se réapproprier son personnage. En confrontant l'idole et son double, Carlos Vermut interroge les multiplicités de l'identité : qu'elle soit perdue, fantasmée ou créée de toutes pièces. Un drame musical dont le miroir onirique trouble autant qu'il séduit.

Adulée dans les années 90, la chanteuse Lila Cassen (Najwa Nimri) a subitement mis un terme à sa carrière il y a une dizaine d’années pour une raison mystérieuse. Menacée par une situation financière qui se dégrade, elle se résout à revenir sur scène pour une tournée de concerts inédits avec le soutien de son amie Blanca (Carme Elias). Mais alors qu’elle prépare son grand retour, un accident lui fait oublier qui elle est. Pour lui rafraîchir la mémoire et l’aider à maîtriser de nouveau son répertoire, Blanca embauche Violeta (Eva Llorach). Gérante d’un karaoké, Violeta est la plus grande admiratrice de Lila et l’imite à la perfection. Alors que la star retrouve petit à petit son identité, la chanteuse et sa fan rapprochent au point de brouiller dangereusement les limites de leurs vies respectives.

Quién te cantará

Duo de fantômes

Dans une chambre d’hôpital, une femme amnésique apprend qu’elle est Lila, une ancienne vedette de la chanson. La découverte d’une identité qui se conjugue au passé et qu’il va falloir se réapproprier, tel est le point de départ de ce nouveau film de Carlos Vermut qu’il a lui même écrit. Pour l’aider à redevenir Lila, le fantôme de star va être soutenu par un autre spectre : une admiratrice qui vit par procuration à travers son idole. Pour incarner l’ancienne gloire de la musique, le cinéaste a choisi Najwa Nimri. Chanteuse et actrice très célèbre en Espagne, elle a notamment joué dans Ouvre les yeux (1997) d’Alejandro Amenabar, Lucia et le sexe (2001) de Julio Medem et plus récemment Route Irish (2010) de Ken Loach. Pour son reflet quasi parfait, le cinéaste retrouve Eva Llorach qui a déjà joué dans ses films précédents dont La niña de fuego (2014), thriller salué par Pedro Almodóvar comme « la révélation espagnole de ce siècle ».

Comme dans un rêve éveillé — pouvant basculer à tout moment en cauchemar —, Carlos Vermut entraîne le spectateur dans une quête d’identités multiples, fortement contrariées. Dans ce jeu de miroir permanent entre la célébrité qui ne se reconnaît plus et l’admiratrice qui continue à se projeter dans celle qui est devenue une coquille vide, la dualité est constante. Si la ressemblance physique n’est pas parfaite entre les deux actrices, le mimétisme fonctionne parfaitement. Eva Llorach épouse à la perfection l’attitude de la chanteuse au point de se semer le doute sur le fait que les deux rôles sont peut être joués par la même actrice, avant de les voir réunies à l’écran. En jouant sur cette confusion entre les deux femmes, le réalisateur — également scénariste — de Quién te cantará invite le spectateur dans un dédale d’identités où le trouble est permanent. Les trajectoires de Lila et Violeta se croisent : la première rejette une identité dans laquelle elle ne se reconnaît plus alors que la seconde rêve de cette célébrité laissée momentanément vacante. Carlos Vermut joue tout au long du film sur ce point de rupture où les deux destinées — tels deux ascenseurs, l’un montant vers la reconnaissance, l’autre descendant vers l’anonymat — vont se croiser… ou se percuter.

Quién te cantará

La disparition du caméléon

Alors que Violeta investit peu à peu l’identité de celle qu’elle admire, elle va découvrir la raison qui a poussé son idole à arrêter de chanter dix ans auparavant. Une révélation qui va renforcer l’effet de miroir troublant qui existe entre les deux femmes, chacune partagée entre deux destinées. En endossant de nouveau le costume de scène de Lila, la chanteuse amnésique est confrontée à ses propres démons qui reviennent aussi sûrement que sa mémoire. Sans forcément sans rendre compte, les deux femmes, reflets d’un même fantasme de gloire, sont engagées dans une fuite en avant à l’issue incertaine. En parfait caméléon, Violeta se perd dans l’incarnation de Lila pour fuir son quotidien et notamment sa relation toxique avec sa fille Marta — interprétée par la magnétique Natalia de Molina. Rêve devenu réalité pour Violeta, sa rencontre avec Lila va l’aveugler, inconsciente du danger à vouloir refléter l’image d’un fantôme sur le point de disparaître.

D’un onirisme troublant, le nouveau film de Carlos Vermut se joue des apparences passées et fantasmées. Réflexion sur le sens de l’identité aussi bien personnelle que diluée dans la sphère publique, Quién te cantará est hanté par des fantômes bien réels qui laissent une impression curieuse, à la fois tenace et évanescente.

> Quién te cantará, réalisé par Carlos Vermut, Espagne – France, 2018 (2h02)

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