C’est le passage obligé de chaque été, Violeta (Dreya Castillo) et Eva (Luciana Quiñonez) se rendent chez leur père Vicente (René Pérez Joglar) pour tenter de conserver un lien mis à mal par la distance. Un périple estival fait de moments de complicité mais aussi de doutes face au comportement de ce père dévoué mais impulsif.
Si Eva est encore trop jeune pour ressentir le danger, Violeta prend ses distances avec Vicente qui, derrière une façade enjouée, lutte contre une addiction dévastatrice. Et si ce père aimant fait tout pour tenter de réparer les erreurs du passé, les plaies ne sont pas faciles à refermer.
Personnel
Pour son premier long-métrage, Alessandra Lacorazza puise dans son histoire familiale en transposant à l’écran son propre père qu’elle décrit comme brillant et admirable mais enclin à la colère. Elle se souvient de ses sautes d’humeur liées à une consommation non contrôlée d’alcool et probablement de drogues. Un homme ambigu dont elle n’a compris les différentes facettes qu’après sa mort.
In the Summers explore ce lien entre enfant et parent, ici un père dépendant, à travers le temps qui passe et modifie irrémédiablement leur relation. Symbole de ce lien complexe entre amour et défiance, la cinéaste a transposé dans son film un accident de voiture qui aurait pu être dramatique. De cet accident qui l’a grièvement blessée, Alessandra Lacorazza avait le souvenir d’une ambulance arrivant sur les lieux rapidement pour la secourir ainsi que son père et sa sœur. En réalité, elle a appris après sa mort que son père les avait lui-même sorties des décombres et a dû marcher pour trouver du secours.
Cette dissonance entre souvenir traumatique et réalité fait écho au décalage présent dans le film avec ce regard posé sur la figure paternelle par ses enfants en conflit avec la réalité de ses failles. In the Summers explore avec habileté l’ambiguïté d’une perception enfantine qui évolue au fil d’une prise de conscience venant avec une certaine maturité.
Collection d’étés
Découpé en plusieurs épisodes, In the Summers se déroule sur quatre étés au fil desquels on assiste au passage à l’âge adulte par étapes de Victoria et de sa petite sœur Eva. L’ellipse entre chaque été est volontaire, à part quelques indices dans les discussions entre Vicente et ses filles, on ne sait pas grand-chose de ce qui se déroule dans leurs vies loin de leur père. Un parti pris qui peut créer de la frustration au niveau de l’attachement aux personnages mais qui est totalement assumé pour se concentrer sur la relation entre les deux sœurs et leur père.
Cette succession d’étés séparés de plusieurs années permet de voir évoluer les deux sœurs, chacune étant interprétée par trois actrices. Violeta et Eva enfant (Dreya Castillo et Luciana Quiñonez) laissent leurs places à leurs équivalentes adolescentes (Kimaya Thais Limon et Allison Salinas) et enfin adultes (Lío Mehiel et Sasha Calle). Un casting crédible complété par un choix audacieux de la part de la réalisatrice pour la figure du père de famille.
Rappeur, écrivain, cinéaste et militant portoricain, René Pérez Joglar est connu sous le nom de Residente comme fondateur du groupe de rap Calle 13. Pour son premier rôle au cinéma, il incarne avec brio un père stéréotype de l’homme latino macho qui se révèle touchant par sa volonté d’êre un père « normal » malgré ses adictions. La confrontation entre un père à la dérive et sa progéniture n’est pas sans rappeler le magnifique Aftersun (2022) de Charlotte Wells – lire notre critique.
Portrait croisé
En étalant le récit sur quatre étés, In the Summers joue le temps long et met en avant la question du pardon. Vicente n’est-il pas condamné pour toujours dans les yeux de ses filles pour ses erreurs passées, malgré tout l’amour, parfois maladroit, qu’il leur porte ? Cette question est posée habilement à travers un jeu de regards croisés. Le film adopte dans un premier temps le point de vue du père pour mieux faire ressentir son anxiété puis vient la perception de ses filles.
Alors que sa petite sœur Eva s’amuse du comportement dangereux de son père qui ignore les feux rouges au volant pour jouer, Victoria pressent déjà le danger qui se concrétisera par un accident. L’alternance de points de vue fait ressentir l’ambiguïté de perception d’un parent considéré à la fois comme protecteur naturel et potentiel danger.
Victoria et Eva incarnent deux perceptions, l’une pleine d’espoir et l’autre plus réservée sur la possibilité que Vicente reprenne sa vie en main. La question se pose notamment lorsque Vicente rencontre une nouvelle femme et devient une nouvelle fois papa. L’impression d’un retour à la case départ, potentiellement avec les mêmes erreurs, plane alors sur le film.
Survivor
In the Summers raconte également en parallèle l’évolution d’un personnage queer – et latino-américain – avec une justesse remarquable. Interprétée par l’acteur.trice Lío Mehiel à l’âge adulte, Violeta s’épanouit à travers son identité queer à la faveur des ellipses temporelles sans que le sujet soit une matière à débat. Lorsque Violeta se coupe les cheveux très courts en prélude à son coming out, son identité n’est jamais contestée par ses proches.
Cette acceptation toute naturelle de l’affirmation du personnage en fait un non évènement qui recentre d’autant plus l’attention vers cette relation père-filles mouvante et émouvante. Au-delà de la perception changeante de deux sœurs sur leur père, In the Summers est décrit par le cinéaste comme un récit de survie. L’évolution de Victoria et Eva explore cette capacité de survie à un parent défaillant pour devenir soi-même, malgré tout.
La conclusion émancipatrice qui s’impose dans In the Summers en fait une œuvre intime à la portée universelle, à la fois douce et amère. Un bel hommage à l’amour sincère d’un père sans nier ses défaillances et une ode à cette indépendance aussi inévitable que vitale pour une progéniture qui doit tracer son propre chemin, en dehors des retrouvailles estivales.
> In the Summers, réalisé par Alessandra Lacorazza, États-Unis, 2023 (1h38)