Séparés pendant des années par une guerre qui a divisé le pays, Basilio (Claudio Cataño) et sa mère Inès (Paulina García) se retrouvent enfin. Une réunion à la saveur particulière car tous deux sont désormais morts. Réunis dans un au-delà aux contours flous, ils partent ensemble sur les routes, à la recherche du père disparu.
Pour Basilio, cette quête se double d’une autre mission : retrouver les victimes de son passé de criminel de guerre pour implorer leur pardon. Une rémission de ses péchés qui, espère-t-il, lui permettra de renouer avec sa mère, horrifiée par ce qu’est devenu son fils.
Insensibles
Lauréat de la Caméra d’Or au Festival de Cannes pour son premier film La terre et l’ombre (2015) – premier film colombien à remporter cette distinction -, le cinéaste César Augusto Acevedo explore avec Horizonte les stigmates d’un pays dévasté par une guerre fraternelle. Le réalisateur y exprime avec son étonnante histoire de fantômes son désarroi face à la folie meurtrière.
Une interrogation qui peut paraître naïve, après tout les hommes (et très peu les femmes) ont toujours trouvé de très bonnes excuses pour s’entretuer. Mais César Augusto Acevedo lie cette violence particulièrement à l’histoire de la Colombie. Il pense que son peuple s’est d’une certaine façon habitué à la mort. Au point d’en oublier la valeur de la vie et d’avoir un manque total d’empathie face à la douleur d’autrui.
Cette idée d’un peuple bloqué dans une logique de violence est renforcée pour le cinéaste par les résultats du Plebiscito por la Paz de 2016. Appelée à se prononcer sur un accord de paix entre le gouvernement et les Forces Armées Révolutionnaires de Colombie après 50 ans de conflit, la population a répondu non. Un résultat incompréhensible pour César Augusto Acevedo.
La haine qui entraîne la guerre, puis l’impossibilité d’une résilience pour panser les plaies à travers le pardon sont les deux sujets qui planent sur ce drame si particulier. Pour conjurer cette perte d’humanité, Horizonte envoie son antihéros Basilio sur les routes, entre réel et fantastique, avec à ses côtés une mère qui tente de reconnecter avec ce fils transformé en criminel de guerre par le conflit.
Intemporel
Pour prendre du recul face au cynisme et au désespoir de cette tragédie humaine, Horizonte fait un étonnant pas de côté en mettant en scène deux fantômes qui errent dans un espace-temps difficile à définir. Un « espace spirituel » selon les mots du cinéaste qui permet aux morts de communiquer entre eux et avec les vivants. La mère avec le fils, le bourreau avec ses victimes.
Ce périple mère-fils se déroule à travers des décors souvent embrumés dans une temporalité parallèle où le présent et le passé existent de façon simultanée. Si le procédé est déroutant, on s’habitue assez rapidement à cette déambulation poétique hors du temps en quête d’absolution où les actions du passé cohabitent étonnamment avec un présent. César Augusto Acevedo réinvente ainsi les limbes qui ne sont plus l’antichambre entre la vie et la mort mais un dialogue entre ces deux états.
Vrai surnaturel
Cet univers si particulier, Horizonte lui offre un écrin visuel en lien avec cette temporalité abstraite, recomposée. Car, malgré son idée de mettre en scène des spectres, le film se veut « extrêmement réaliste » selon les mots du cinéaste. Une intention qui peut paraître contradictoire avec son côté surnaturel mais qui prend sens à travers son esthétique.
Horizonte revient sur le lieux des crimes de Basilio à travers un pèlerinage mortifère qui (re)donne corps aux victimes. Ces fantômes expiatoires évoluent dans des décors aux influences picturales célèbres : les Peintures noires de Goya ou encore Le Voyageur contemplant une mer de nuages de Caspar David Friedrich. Le cinéaste reconnaît également une influence d’auteurs comme Dante ou l’écrivain mexicain Juan Rulfo.
Enfin, ces environnement où la mère et le fils traversent une brume persistante évoque la référence la plus évidente au cinéma d’Andreï Tarkovski. Cette somme d’influences fusionnées crée un espace fantastique palpable qui s’attache aux traces de la violence. Un parcours qui captive même lorsque la perception est réduite à un stimuli auditif à travers un massacre évoqué uniquement par le son.
Voyage à deux
Au-delà des raisons de la violence et d’un difficile pardon, Horizonte suscite l’intérêt pour cette réunion de famille improbable entre deux fantômes qui ont des comptes à régler. Lorsqu’il revient vers elle après tant d’années, Inès ne reconnaît pas son fils. Alors qu’ils partent à la recherche du père sur une route semée de victimes, cette incapacité à identifier son propre fils marque une relation sous le signe d’une reconnaissance douloureuse.
Basilio cherche autant l’absolution de ses victimes que le pardon de sa mère. Dans cette quête pour « refaire famille », ils doivent se reconnaître mutuellement en tant que bourreau et victime, leur relation faisant écho à un pardon national plus grand. Qu’ils le veulent ou non, la mère et le fils sont liés et ne peuvent évoluer l’un sans l’autre. Horizonte rejoue au niveau intime le drame national en plaidant pour une résilience difficile mais nécessaire pour avancer.
Périple au cœur d’une tragédie nationale, Horizonte plonge une mère et un fils dans une quête intime faisant écho à un grand pardon national. Sans minimiser l’épreuve que cela nécessite, César Augusto Acevedo se veut porteur d’espoir dans cette fable captivante se déroulant dans un temps parallèle pour espérer reconstruire un avenir radieux, sans brume à l’horizon.
> Horizonte réalisé par César Augusto Acevedo, Colombie – France – Luxembourg – Chili – Allemagne, 2024 (2h05)