Quartier de la Goutte d’or dans le XVIIIe arrondissement de Paris, populaire, dense et exotique. Bière, breuvage issu de la tradition brassicole. Mais que peuvent bien avoir à faire ensemble ce lieu parisien au caractère bien trempé et la boisson fermentée. Les deux ont en commun un homme, Thierry Roche, passionné de bière autant que du quartier métissé. Après des années passées dans la com’, bientôt quadragénaire, il a décidé de changer de vie. S’il mène son projet à terme, il devrait cette année devenir le premier brasseur parisien et donner naissance à "la Brasserie de la Goutte d’or". Il brasse depuis longtemps dans sa cuisine. D’abord apprenti chimiste, il s’est ensuite formé et a beaucoup appris auprès de brasseurs artisanaux. Et puis, « la brasserie a pris une place tellement importante dans mon quotidien que j’ai voulu en faire ma vie. »
En 2010 débute l’étude de marché. Il découvre avec surprise qu’aucune brasserie n’est installée à Paris. « C’est une spécificité puisque des brasseries sont installées dans toutes les grandes villes du monde. » Il n’est visiblement pas le seul à être chatouillé par la bière puisque, ces dernières années, le nombre de brasseries s’est multiplié en France. « On assiste au retour de ce métier dans les villes, depuis 25 ans. Dans les années 80, on comptait vingt brasseries en France, il y en a aujourd’hui plus de quatre-cent. Le phénomène a explosé dans les années 2000. » Malgré l’essor, Paris ne brasse pas. Parfait ! « Moi, je veux rester à Paris et combiner mon projet à une logique de terroir que je veux défendre. Ce terroir, c’est le lieu où je vis, où j’ai atterri en 2003. C’est la Goutte d’or. »
Terroir et produits d’ailleurs
L’agitation continuelle et intense de ce quartier à l’identité forte, il en a fait une source d’inspiration. Il a décidé d’utiliser le brassage culturel de la Goutte d’or pour brasser sa bière comme personne. « Les lieux sans ce genre d’extrêmes sont pour moi insipides. Je voulais raconter une histoire et l’histoire la plus sincère c’est la mienne. Je me suis demandé quelles étaient les caractéristiques de cet endroit. »
Produits d’ailleurs, épices, senteurs d’Afrique. « Piments, noix de cola, gingembre, ibiscus, datte, cardamome, épices, aromates. Tous ces produits sont concentrés dans ce petit quartier, pas très grand mais clairement identifié. Et ils viennent tous d’ailleurs ! C’est une zone de flux incroyables, d’entrées, de sorties. Avec des gens qui viennent du monde entier, comme de l’autre côté de la Seine. C’est un vrai métissage, un vrai lieu de croisement. Dans ces croisements, on trouve les gens, leur culture, leur nourriture, leurs épices. C’est ce que j’essaie de raconter avec mes bières. »
Et si vous osez lui demander à quoi sont "aromatisées" ses bières, « je fais un produit qui est un croisement entre la culture de la bière, tradition brassicole standard, dans lequel j’incorpore des ingrédients frais, propres au terroir de la Goutte d’or. Ce ne sont pas des bières aromatisées à… ! » Il compte aujourd’hui cinq bières sur sa carte, qui portent toutes le nom d’une rue du quartier. Château Rouge, Myrha, Léon, Charbonnière, et Poissonnières : voici les noms de l’écurie Roche. Une rousse au gingembre et piments, une blonde à la datte, une brune au gingembre, une ambrée, moins épicée mais plus forte en alcool et une blanche aux épices d’Orient.
Une clientèle de proximité
Les jeunes filles, conditionnées en bouteille de 50cl, ne sont pas des bières de soif, mais à destination des amateurs et des curieux qui voudraient découvrir un goût neuf et marqué. « Moi, je ne veux pas me bagarrer avec Heineken dans les rayons du Monoprix. Je compte passer par des circuits courts et être présent dans les commerces de proximité. Cavistes, épiceries fines, restaurants qui cherchent à vendre des produits qui sortent un peu de l’ordinaire et de la carte stéréotypée des brasseurs que de plus en plus d’établissements fuient. » Les bières de la Goutte d’or partiront à la conquête du XVIIIe arrondissement, puis de Paris. Et ensuite ? « Non, juste Paris. Ma clientèle sera une clientèle de proximité. Vendre plus loin multiplie les coûts, les intermédiaires, l’indice de pollution, ça n’a aucun sens. C’est vraiment comme ça que je le vois. »
Et si tout va bien, il devrait d’ici peu signer le bail d’un local de près de 200 m² en plein cœur du quartier. Ancrer son activité dans la Goutte d’or, c’est aussi aider au développement d’un quartier qui a bien du mal à s’en sortir et qui n’a pas toujours bonne presse. « Trois rues à droite, trois rues à gauche, c’est l’effervescence et là, rien. Moi j’ai envie qu’il se passe des choses ! »
Le passionné de bière de la Goutte d’or est confiant. « Tous les signaux sont au vert. » La banque devrait suivre. Le bailleur aussi. Et si vous y croyez, si vous voulez goûter la brune Léon, tremper vos lèvres dans la blanche Poissonnières et boire à pleines gorgées la blonde Myrha, il est possible de soutenir ce projet sur la plateforme de financements Ulule. Pour la Goutte d’or. Mais aussi pour la bière !