« Everything Everywhere All at Once », victoire par chaos

« Everything Everywhere All at Once », victoire par chaos

« Everything Everywhere All at Once », victoire par chaos

« Everything Everywhere All at Once », victoire par chaos

Au cinéma le 31 août 2022

Mère de famille au bout du rouleau, Evelyn Wang est embarquée dans une aventure complètement folle. Elle doit sauver le monde en explorant le multivers, projetée dans toutes les vies qu’elle aurait pu mener. Comédie totalement déjantée, Everything Everywhere All at Once offre une vision du multivers aussi hilarante que survoltée. Une tornade irrésistible qui joue avec les références cinématographiques et nous invite à partager les sérieuses et universelles questions existentielles d'une mère de famille noyée dans un océan de possibilités.

Immigrée chinoise à deux doigts du burn out, Evelyn Wang (Michelle Yeoh) ne comprend plus sa famille et se perd dans la paperasse de sa laverie automatique. Lors d’un rendez-vous avec Deirdre Beaubeirdre (Jamie Lee Curtis), une coriace agente des impôts relevant toutes ses erreurs de comptabilité, la journée de la mère de famille prend une tournure surréaliste.

En une fraction de seconde, l’esprit d’Evelyn se retrouve dédoublé. En face d’elle, Waymond (Ke Huy Quan), son mari. Ou plutôt son sosie qui lui annonce venir d’un univers parallèle. Ce mari d’une autre dimension apprend à Evelyn l’existence de mondes parallèles où elle mène une multitude de vies, très différentes de sa routine actuelle. Autant d’existences qu’elle aurait pu mener, si elle avait fait d’autres choix dans sa vie…

Et comme si la charge mentale n’était pas déjà assez pesante pour la mère de famille, Evelyn doit affronter des forces obscures mettant en péril l’univers. Dans cet entrelacs infini d’existences, elle seule peut sauver le monde. Et tenter en parallèle de préserver sa famille.

Everything Everywhere All at Once © Leonine - A24

Tout fou et touffu

Comme son titre l’indique Everything Everywhere All at Once est un film qui part littéralement dans tous les sens. Et sa vitalité déchaînée fait un bien fou. Comédie familiale percutée de plein fouet par la science-fiction, la nouvelle folie de Dan Kwan et Daniel Scheinert assume avec délectation son excentricité.

Résolument original, le résultat pourrait aisément être qualifié d’épisode de La Quatrième Dimension sous stéroïdes. Co-écrit et réalisé par le duo se faisant appeler « les Daniels », l’histoire détonante de cette mère de famille chinoise projetée dans le multivers pousse à son paroxysme l’état d’esprit loufoque déjà présent dans Swiss Army Man (2016).

Dans cet autre OVNI cinématographique, premier long métrage des Daniels, l’excellent Paul Dano, échoué sur une île déserte, se lie d’amitié avec un cadavre pétomane. Un rôle de composition pour Daniel Radcliffe, très loin de l’univers de Harry Potter dans ce rôle de mort-vivant en quête de compagnie. L’esprit décalé de cette étrange histoire se retrouve dans cette folle histoire de multivers.

Everything Everywhere All at Once © Leonine - A24

Et si ?

Totalement étourdissant, le nouveau trip des Daniels part dans toutes les directions mais repose sur un concept imparable qui sert de lien. Au cœur du récit, les choix qui forgent notre destin. Car chaque version d’elle-même avec laquelle Evelyn va pouvoir se connecter est une possibilité qui lui a été offerte. Autant de bifurcations dans sa destinée qu’elle n’a pas voulu – ou plutôt su – saisir au vol.

En se projetant dans les mondes parallèles, Evelyn découvre une infinité de possibilités : maîtriser les arts martiaux, vivre une romance intense ou encore fouler les tapis rouges du monde entier en tant que star de cinéma. Autant de vies qui la renvoient à une triste réalité : elle est Evelyn Wang, une mère de famille dépassée par les événements.

Et le sort s’acharne sur Evelyn. Rien ne semble aller dans son existence. Sa laverie automatique bat de l’aile, son mari souhaite divorcer et elle a beaucoup de mal à communiquer avec sa fille adolescente. Devant ce qui semble une infinité d’alternatives, sa vie semble en effet la pire de toutes. Et son mari provenant d’un autre univers va confirmer cette impression.

Everything Everywhere All at Once © Leonine - A24

Vie de merde

Sous le vernis complètement loufoque, Everything Everywhere All at Once possède une part de cruauté totalement assumée. Lorsque Evelyn demande à son mari alternatif pourquoi elle a été choisie pour sauver l’univers, la réponse est cinglante. Elle est l’élue – Matrix n’est pas loin évidemment – car elle est la pire de toutes ses incarnations vivant dans l’ensemble des mondes parallèles.

Une révélation qui a de quoi mettre un petit coup au moral même pour une personne a priori satisfaite de sa vie. Chaque choix dans la vie aboutit à une autre version de soi dans le multivers. Et Evelyn aurait fait tous les mauvais choix. En étant la pire version d’elle-même, elle ne peut pas tomber plus bas. Bonne nouvelle, non ?

Et en bonus elle se retrouve avec le poids du destin du monde sur les épaules. Évidemment, la validation de cette version pessimiste de l’histoire est l’un des moteurs du film. Les Daniels titillent habilement cette idée des regrets face à des actes manqués qui auraient pu tout changer. Une réflexion qui parle à tout le monde et oblige Evelyn à se recentrer sur sa famille en péril alors que tout l’univers vacille.

Everything Everywhere All at Once © Leonine - A24

Double combat

De façon ingénieuse, Evelyn n’est jamais totalement abandonnée dans les univers parallèles. Complètement schizophrène, Everything Everywhere All at Once est une succession d’allers-retours constants dans ces vies a priori plus enviables mais la mère de famille est toujours connectée avec ses proches.

Evelyn est ainsi constamment scindée en deux. Super héroïne engagée dans un combat à mort, elle se retrouve la seconde d’après en train de discuter avec son vrai mari des conditions d’un éventuel divorce. Un stratagème qui offre une vitalité folle au film, impossible de s’ennuyer ne serait-ce qu’une seconde. Mais loin d’être seulement esthétique, cette construction sert également le propos du film.

De façon très habile, l’aspect complètement fou des univers parallèles ne fait que renforcer l’aspect à la fois tragique et futile d’une vie jugée la moins satisfaisante. L’incroyable aventure d’Evelyn ne fait que la rapprocher des siens avec une sensation ambiguë, entre rejet d’une existence trop sage et confort d’une famille aimante.

Everything Everywhere All at Once © Leonine - A24

Crazy Stupid Lives

Ces vies alternatives sont autant de possibilités de pousser le délire assez loin. Et les Daniels ne se privent pas pour le faire. Ainsi, pour qu’une personne puisse se projeter dans l’un de ses alter égos du multivers – et récupérer au passage ses compétences -, il faut faire une chose totalement improbable.

Cette règle loufoque totalement gratuite permet aux cinéastes d’ajouter une touche de folie à un film qui est par son sujet déjà bien perché. Ne vous étonnez donc pas de voir trôner sur le bureau de Deirdre, incarnée par Jamie Lee Curtis tout ventre dehors pour l’occasion, des récompenses qui ressemblent étrangement à des plugs sexuels. Dites vous bien que rien n’est le fruit du hasard et qu’il y a une raison. Lorsqu’il s’agit d’aller au fond des choses, les Daniels n’hésitent pas une seconde.

Emporté par la folie du film, bientôt plus rien ne choque. Dans un univers parallèle, Evelyn vit justement en couple avec Deirdre. Pourquoi pas… Et elles ont des mains en forme de saucisses. Parce que… pourquoi pas !? Cette vie alternative permet d’aborder discrètement un non-dit dans la relation entre Evelyn et Joy (Stephanie Hsu), sa fille lesbienne. Car si le sujet de la sexualité de l’adolescente n’est pas évoqué directement, la mère de famille ne semble pas totalement à l’aise avec cette situation. Et ce n’est pas un hasard si elle se retrouve confrontée à un double de sa propre fille qui menace d’anéantir l’univers.

Everything Everywhere All at Once © Leonine - A24

Réalisation caméléon

Fourmillant d’idées de réalisation séduisantes, Everything Everywhere All at Once charme pour sa folie décomplexée mais aussi pour ses très nombreux clins d’œil au cinéma en multipliant les styles et les références. La réalité des mains en saucisses ne serait probablement pas reniée par Michel Gondry ou Quentin Dupieux. Les Daniels invoquent également des références iconiques tout au long du périple de leur héroïne.

Evelyn pratique ainsi les arts martiaux dans une séquence qui rappelle Tigre et dragon (2000) de Ang Lee. Un clin d’œil comme un retour en arrière pour Michelle Yeoh qui jouait dans le film. Et la référence prend un aspect meta assumé quand Evelyn est une star de cinéma dans l’un des mondes parallèles. L’actrice joue ainsi son propre rôle.

Dans ce grand jeu des références cinématographiques, la rencontre entre Evelyn et un amant potentiel, baignée dans une lumière verte tamisée, évoque malicieusement les plans feutrés de Wong Kar-Wai. Là aussi, au-delà de son aspect ludique, cette belle séquence possède une utilité dans la (re)définition du couple Evelyn/Waymond. Un bel exemple de la façon dont les deux réalisateurs avancent méthodiquement les pions d’une histoire qui semble partir dans tous les sens mais revient obstinément à l’essentiel.

Everything Everywhere All at Once © Leonine - A24

Cœurs de pierre

Car aussi loufoque qu’il soit, Everything Everywhere All at Once possède un petit cœur sensible – et un cerveau – soigneusement cachés dans les méandres de ce chaos multidimensionnel. Plus Evelyn est confrontée à ce multivers littéralement surréaliste, plus elle est ramenée à une question existentialiste primaire.

Mine de rien, son périple lui impose de réfléchir à des questions existentielles sur ce que signifie réussir sa vie ou encore aimer ses proches pour ce qu’ils sont. Décrétée la pire Evelyn de l’univers, la mère de famille revient de loin. Mais toutes ses décisions ont-elles été si catastrophiques ? Et si tel est le cas, est-ce si grave ?

Le combat contre sa fille d’une autre réalité pose en tout cas une véritable question : tous ces univers méritent-ils d’être sauvés ? Au nom de quoi ? Une réflexion développée dans une charmante séquence onirique. Evelyn et sa fille sont deux pierres affublées de « googly eyes » et discutent du sens de la vie. Un moment suspendu audacieux, à la fois drôle et touchant, qui donne à cette comédie complètement dingue un supplément d’âme bienvenu.

Everything Everywhere All at Once © Leonine - A24

Comédie jonglant avec les questions existentielles, Everything Everywhere All at Once est un manège à sensations qui étourdit autant qu’il ravit. Servi par des acteurs remarquables, ce périple surréaliste charme autant pour sa virtuosité que pour sa réflexion intimiste sur le sens de la vie délicatement camouflée au sein d’un chaos décomplexé.

> Everything Everywhere All at Once, réalisé par Dan Kwan et Daniel Scheinert, États-Unis, 2022 (2h19)

Everything Everywhere All at Once

Date de sortie
31 août 2022
Durée
2h19
Réalisé par
Dan Kwan et Daniel Scheinert
Avec
Michelle Yeoh, Stephanie Hsu, Ke Huy Quan, James Hong, Jamie Lee Curtis, Jenny Slate, Harry Shum Jr.
Pays
États-Unis