« El reino », corrompu à l’exercice

« El reino », corrompu à l’exercice

« El reino », corrompu à l’exercice

« El reino », corrompu à l’exercice

Au cinéma le 16 avril 2019

Homme politique influent dans sa région, Manuel López-Vidal se retrouve empêtré dans une dangereuse affaire de corruption. Cerné de toute part, il va tout tenter pour échapper à la condamnation. Thriller politique sous tension, El reino bouleverse les codes du genre en jouant sur l'aspect humain de l'affaire pour déstabiliser le spectateur. Et c'est diablement réussi.

Manuel López-Vidal (Antonio de la Torre), homme politique en pleine ascension, s’apprête à entrer à la direction nationale de son parti lorsqu’il se retrouve impliqué dans une affaire de corruption menaçant un de ses amis les plus proches. La rumeur prend de l’ampleur et il se retrouve directement visé par les soupçons de fraude.

Acculé, le politicien plonge alors dans un engrenage infernal : il n’a pas l’intention d’être le seul à mordre la poussière. Prêt à tout pour ne surtout pas aller en prison, il en vient à menacer ses amis du parti déclenchant une spirale infernale qui pourrait lui faire tout perdre.

El Reino © Julio Verne

Après moi, le chaos

Après Que Dios nos perdone (2016) [lire notre chronique], enquête policière entraînant deux inspecteurs jusqu’au point de rupture, Rodrigo Sorogoyen est de retour avec un nouveau thriller explorant cette fois-ci la corruption politique en Espagne. On y retrouve au casting Antonio de la Torre, déjà présent dans Que dios nos perdone et très actif actuellement sur les écrans car il incarne José Mujica dans le magnifique Compañeros (2019) [lire notre chronique] sorti en salles récemment. Pour évoquer les affaires de corruption qui se sont multipliées depuis une dizaine d’années dans le monde politique espagnol et l’étonnante impunité de ses leaders, le cinéaste a pris le parti surprenant de faire vivre au spectateur les faits du point de vue d’un coupable.

Contrairement à un thriller conventionnel, le spectateur ne suit pas la police ou un journaliste qui tente de débusquer un homme politique qui magouille mais est invité à être cet homme aux abois, prêt à tout pour sauver sa peau. En collant sa caméra au plus près de ce politicien pourri, Rodrigo Sorogoyen invite le spectateur à entrer dans sa tête pour tenter de comprendre ses actions, de plus en plus désespérées. Un choix qui met délibérément dans une position inconfortable, entre empathie naturelle pour cet homme désespéré à l’idée d’aller en prison et la répulsion envers ses actes crapuleux.

Bien résolu à ne pas se retrouver derrière les barreaux, Manuel López-Vidal se lance dans une fuite en avant dont l’issue semble incertaine. Incapable de prendre ses responsabilités, le politicien choisit de saborder le navire de son parti pour ne pas être le seul à disparaître, englouti dans les vagues tumultueuses de l’opprobre. Ce combat qui semble perdu d’avance vient renforcer de façon subtile la sympathie pour cet homme qui ne l’est absolument pas. Mais, après tout, pourquoi serait-il le seul à sombrer ?

El Reino © Tornasol Films SA

L’ambiance paranoïaque monte crescendo grâce notamment à l’utilisation d’une musique électro se faisant de plus en plus menaçante. Thriller à suspense, El reino entraîne le spectateur dans les magouilles d’un parti politique et des tentatives de l’un de ses éléments pour sauver sa peau alors que l’étau se sert autour de lui, invitant — bien malgré lui — le spectateur à une certaine empathie. À travers les yeux de Manuel López-Vidal, le cinéaste dévoile les rouages d’un parti où tous les membres se tiennent en menaçant de dévoiler leurs petits arrangements avec la légalité de leurs camarades.

Une peinture bien sombre du pouvoir politique mais également de l’âme humaine faisant de ce thriller une réflexion sur la trahison de ses pairs. El reino invite également à réfléchir sur ce qui pousse le politique corrompu à mentir effrontément jusqu’à son dernier souffle. Les faits se déroulent en Espagne mais ils font écho notamment à l’affaire Cahuzac qui a éclaté sous le quinquennat Hollande et à la folie qui s’empare de ceux qui pensent pouvoir échapper indéfiniment à la vérité.

Le mensonge déteint

Basé sur la corruption en Espagne, le thriller politique de Rodrigo Sorogoyen se veut une réflexion universelle sur les agissements illicites parfois permis par le pouvoir et la sensation d’impunité. Les faits se déroulent en 2007, à l’époque, le monde politique espagnol était composé de deux partis prédominants mais aucun des deux n’est particulièrement visé dans le film. Le parti de Manuel López-Vidal emprunte des caractéristiques des deux partis pour en faire une dénonciation globale de la corruption et d’un système d’impunité qui dépasse les clivages politiques.

La ville où se déroulent les faits n’est jamais citée non plus pour éviter tout rapprochement avec un scandale en particulier. Ces précautions viennent renforcer l’aspect humain du thriller qui prend le dessus sur le propos politique. Le scandale prêt à éclater devient secondaire, Manuel López-Vidal doit trouver de quoi contrecarrer la révélation de ses méfaits et il doit le faire vite. Le rythme effréné de ce thriller sous adrénaline est constant, il se retrouve dans les échanges entre les politiciens qui enchainent les mots à une vitesse folle, comme pour les vider de leur substance et les réduire à de simples artifices pour convaincre. Sans plus aucun lien avec les convictions réelles ?

El Reino © Julio Verne

Toute cette tension aboutit à un face à face entre l’homme politique en mauvaise posture et la journaliste Amaia Marín (Bárbara Lennie) qui le reçoit en direct à la télévision. Cette confrontation est l’aboutissement de la quête de  Manuel López-Vidal qui cherche à entraîner ses semblables dans sa chute en révélant l’ensemble de l’affaire. Mais la journaliste ne compte pas le laisser s’en tirer aussi facilement. Cette scène qui interroge l’impunité des politiques vient également titiller le rôle des médias : Manuel López-Vidal accuse ainsi la journaliste de l’enfoncer pour protéger les intérêts de la direction de sa chaîne.

Avec cette exécution médiatique en direct, Rodrigo Sorogoyen offre à son thriller politique une conclusion habile mais qui peut également frustrer tant on aimerait assister à la suite des évènements. Après la frénésie d’un thriller mené tambour battant, la conclusion tombe comme un couperet et laisse de nombreux développements possibles en suspens. Le cinéaste décide de laisser le spectateur dans la même position que son antihéros peu fréquentable, étourdi par un dénouement qui ne va pas dans son sens.

Thriller politique flirtant avec le drame humain, El reino prend le risque d’invoquer l’empathie pour un politicien véreux afin de mieux comprendre ses mécanismes de défense. Un pari réussi qui nous plonge dans une fuite en avant fébrile, parsemée de mensonges pour tenter de sauver les meubles d’une maison assaillie par les flammes d’un incendie purificateur.

> El reino réalisé par Rodrigo Sorogoyen, Espagne – France, 2018 (2h11)

El reino

Date de sortie
16 avril 2019
Durée
2h11
Réalisé par
Rodrigo Sorogoyen
Avec
Antonio de la Torre, Mónica López, Bárbara Lennie
Pays
Espagne - France