Derrière les barreaux, les bulles

Derrière les barreaux, les bulles

Derrière les barreaux, les bulles

Derrière les barreaux, les bulles

27 octobre 2011

Pendant ses cinq années de prison, Berthet One a dessiné, caricaturé codétenus et surveillants. Pour vaincre l'ennui et rester dans le droit chemin. Sa manière à lui de s'évader. A sa sortie, en 2010, il concrétise la possibilité de sortir sa première BD. Un album sincère, dur et plein d'humour sur la réalité carcérale. Rencontre avec un discret surdoué, passé de la Courneuve aux galeries parisiennes.

L’histoire est belle. Un solide scenario de cinéma. L’ex-prisonnier black, originaire de la Courneuve (le « 9-3 »), devenu auteur de bande dessinée, exposé dans des galeries parisiennes. C’est pourtant l’histoire sans fiction qu’est en train de vivre Berthet One. Sa première BD, L’Evasion, sortira le 17 novembre, chez Indeez[fn]Une maison d’édition spécialiste de la culture urbaine.[/fn]. Un album consacré à ses cinq années passées en prison. L’univers carcéral, de l’intérieur, glauque, blême, difficile mais raconté avec humour. Pas la franche déconnade. Pas d’apitoiement non plus. Berthet One, dessinateur et auteur, est dans la caricature. Chaque saynète est construite avec un ton juste et précis, sans plomber l’ambiance. Réaliste mais pas prise de tête. « Le thème est suffisamment noir en lui-même. J’ai vraiment travaillé l’humour pour raconter ces petites histoires, avec une langue française… correcte mais qui n’est pas celle du XVIe arrondissement de Paris », lance-t-il, sourire en coin.

Le suicide en cellule, la fouille après le parloir, la nourriture, les cours, la cohabitation avec les autres détenus : Berthet One – son nom d’artiste, composé à partir de son prénom – raconte la vie quotidienne derrière les barreaux. Le récit n’est pas autobiographique et mêle des situations vécues, des choses vues et entendues. Et si Berthet One décrit avec précision cet univers clos, dans un style corrosif et avec un regard sincère, c’est parce que ces histoires ont été écrites en prison. 90 % de ces 48 planches[fn]L’album contient également 24 planches "bonus", soit 72 pages au total.[/fn] ont été imaginés et créés lorsque Berthet purgeait sa peine de dix ans de détention pour braquage. Il en fera la moitié.

S’il a finalement réussi à s’évader à travers la bande dessinée, Berthet a mis du temps à croire en son talent. Bien sûr, entre 10 et 12 ans, il dessinait et caricaturait ses potes. Bien sûr, il recopiait des pleines pages de Fluide Glacial. Ses professeurs lui avait bien dit qu’il avait « un truc, un don » pour le dessin. Mais Berthet n’approfondit pas la chose. Et puis vint l’adolescence. Le jeune homme délaisse alors le crayon et vit sa vie dans la Cité des 4 000, un quartier de la Courneuve. Des années plus tard, le dessin refait surface. Lorsqu’il est sous les verrous. Entre 2006 et 2010. « J’arrive en prison, j’ai dix ans à passer là-bas. Pour ne faire ni conneries ni magouilles et risquer d’y rester encore plus longtemps, je me suis dit qu’il fallait réfléchir pour occuper mon temps et m’enrichir l’esprit. J’ai commencé par retourner à l’école », indique le discret mais robuste dessinateur.

Ses caricatures font mouche auprès des détenus…
et des surveillants

Berthet a le niveau Bac à l’époque (il décrochera son Bac puis un BTS pendant sa détention). C’est en cours, en prison, que ses réflexes réapparaissent. Il griffonne, crayonne dans les coins de ses cahiers. S’amuse à dessiner ses codétenus « avec des dents de cheval et des oreilles de lapin ». Il tourne le dos aux barreaux et à l’ennui, concentré, appliqué sur ses dessins. Ses caricatures plaisent. Les autres prisonniers veulent se faire tirer le portrait. Et puis, un jour, le déclic. Un surveillant remarque son travail, le complimente. Lui conseille d’écrire des histoires plutôt que de se contenter d’une seule scène humoristique. Berthet est flatté, n’en fait pas des tonnes… et ne suit pas les conseils du gardien. Lorsque ce dernier revient à la charge quelques jours après, Berthet s’exécute. « Voyant son intérêt pour mes dessins, je me suis dit que je devais le faire. Je nous ai mis en scène, tous les deux. Lui, me suppliant d’écrire une histoire, et moi, très fier, le faisant patienter. Il a éclaté de rire et a emporté le dessin en souvenir ».

Ce que Berthet ne sait pas, c’est que cette illustration – anodine à ses yeux – va faire le tour des surveillants. Après les détenus, les gardiens apprennent que Berthet manie le crayon avec talent. Son arme, désormais, c’est l’humour. Sur les conseils d’un autre surveillant, il va suivre les ateliers de dessin organisés à l’intérieur de la prison. Tout s’enchaîne. Son professeur le pousse à participer au concours Talents cachés qui permet aux détenus d’exposer leurs œuvres à Issy-les-Moulineaux. Nous sommes en 2006. Lui reste enfermé, ses planches, elles, franchissent les murs d’enceinte de la prison. Pendant trois ans, il va exposer et même vendre ses dessins alors qu’il est encore incarcéré. Berthet remporte en 2009, à sa grande surprise, le concours Transmurailles, organisé pour les détenus, pendant le prestigieux Festival de la Bande Dessinée d’Angoulême. Prudent et en recherche permanente d’encouragements jusqu’ici, Berthet prend de l’assurance.

Un galeriste qui a repéré son travail – et acheté une planche – va même lui faire parvenir un mot en prison lui expliquant qu’il est prêt à l’exposer. « Là, c’était une vraie galerie, du concret ! Un cran supérieur puisqu’un vrai professionnel de l’art aimait mes dessins ». A sa sortie de prison, début 2010, Berthet, l’autodidacte, ne manque pas l’occasion et contacte l’intéressé. Les grands débuts de Berthet One se font à la Galerie 3F, à Montmartre. Puis à la Wild Stylerz Gallery, dans la très huppée rue du Faubourg Saint-Honoré. « Berthet a un vrai talent, ça m’a sauté aux yeux. Il sortait du lot, explique Stéphane Huijbregts, son professeur de français en prison et fournisseur de bandes dessinées, qui l’a côtoyé pendant les douze derniers mois de sa détention, à Val-de-Reuil (Eure). Pourtant, il n’avait pas forcément confiance en lui. Il a fallu l’encourager pour que le projet de BD mûrisse et aboutisse. Il avait besoin d’être reboosté assez souvent. Il ne pensait pas que ses dessins pouvaient intéresser en dehors de la prison et des expositions réservées aux détenus. » Son professeur, joyeusement caricaturé dans L’Evasion, n’a pas manqué de venir admirer le travail de son ancien élève.

L’Evasion, une manière de tourner la page carcérale

Berthet, qui vient de fêter ses 35 ans, intéresse toujours autant les galeristes. Jusqu’au 19 novembre, les planches originales de sa BD sont exposées à la Galerie 1161, spécialisée en art contemporain, sous le titre Vive la Liberthet. Une nouvelle mise en avant de son travail qui ne le laisse pas de marbre. Conscient d’être devenu un modèle de réussite pour les jeunes de son quartier, il savoure. « Amener mon univers urbain et ma culture hip-hop dans une galerie de ce type, c’est très important pour montrer aux jeunes de la Courneuve, à ceux de Seine-Saint-Denis, qu’il est possible de réussir grâce au travail et à la volonté, explique l’artiste qui vit aujourd’hui à Aubervilliers. Lors du vernissage, des jeunes en baskets, avec des casquettes, et le petit bourgeois d’à côté s’éclataient devant les mêmes planches et discutaient entre eux. C’était magnifique. J’ai réussi, grâce à un dessin, à faire des ponts entre des populations qui s’adressent rarement la parole. »

La prison a fait partie de sa vie pendant de longues années. Avec sa première BD, Berthet a pu s’échapper mentalement jusqu’à sa libération. Aujourd’hui, il aimerait passer à autre chose. Parler de la banlieue. La parution prochaine de L’Evasion sera le moyen de tourner définitivement la page carcérale. Le personnage d’Abigaëlle a pris le relais dans son esprit et sur ses feuilles Canson. « Abigaëlle, c’est la petite voix qui est au fond de nous tous. Pour moi, c’est la banlieusarde qui vit dans mon imaginaire ». Cette jeune femme, pas vraiment attirante, originaire de la campagne, vient suivre ses études en ville, précisément en banlieue. Un univers qu’elle découvre. « A travers elle, je souhaite faire connaître la banlieue de manière positive. Tout n’est pas rose, c’est vrai, mais il y a aussi des choses qui fonctionnent, des talents. Il n’y pas que des femmes voilées et des femmes battues. »

Une deuxième BD en préparation autour d’Abigaëlle, un projet de dessin animé qui mûrit, une probable collaboration avec El Diablo – le scénariste des Lascars : Berthet One ne manque pas d’idées pour la suite. Sa vie à l’extérieur, il veut pourtant en profiter. Sans cavaler. « Tout va très vite en ce moment autour de ma BD. Je sais ce que c’est que de prendre son temps. En prison, il a fallu patienter. Et patienter, ça ne me fait pas peur… »

 

> L’Evasion – Journal d’un condamné, de Berthet One, aux éditions Indeez, sortie le 17 novembre 2011.