En 1996, Bruno Weintraub (Laurent Poitrenaux) publiait un premier roman acclamé par la critique. À l’époque la presse titrait : « Il y a un avant et un après Le ciel étoilé au-dessus de ma tête ». Malheureusement pour l’auteur de cet unique chef-d’œuvre, l’après fut une lente dégringolade vers l’oubli. Vingt ans plus tard, Bruno a déjà 50 ans. Célibataire, il n’a pas d’enfants et vit en colocation avec Justyna (Alma Jodorowsky), une jeune Femen. Bercé par le souvenir réconfortant de sa gloire passée, Bruno se lève à 14h et déambule en caleçon dans son appartement qu’il quitte rarement, en prenant des notes pour son prochain coup d’éclat. Car il en est persuadé, son prochain livre sera le bon ! Il doit juste réussir à le capturer sur papier.
Du point de vue de Bruno sa vie se déroule à merveille. Il est loin de se douter qu’un terrible complot se trame derrière son dos. Un matin, ses parents débarquent en compagnie d’une ravissante femme. Le célibataire pense dans un premier temps à une rencontre arrangée pour le caser, il tombe d’ailleurs immédiatement sous le charme de cette inconnue. Hélas, Sophie Andreux (Camille Chamoux) est bien là pour lui mais dans le cadre de son travail : elle est psychiatre. Ses parents et la psy sont rejoints par son pote Alain (Frank Williams) et Laëtitia (Marilyne Canto), son ex-femme, tous sont très inquiets pour l’auteur isolé. Il s’agit d’une intervention !
Le rêve de la réalité
Pour son premier long métrage de fiction, Ilan Klipper continue son exploration du domaine de la psychiatrie. En 2010 déjà, son documentaire Saint-Anne révélait, sans commentaire ni interview, cet univers aussi passionnant que déroutant. Et dans le court-métrage Juke-Box (2014), le chanteur Christophe luttait contre ses démons intérieurs pour accoucher d’un morceau. C’est dans cette veine que vient s’inscrire Bruno, confronté à une société — symbolisée par la psy et ses proches — bien décidée à lui dicter sa façon de vivre. Mais cette fois-ci, Ilan Klipper insuffle une bonne dose d’humour noir pour créer une œuvre à la fois jubilatoire et touchante. Oscillant entre rire et sentiment d’oppression, l’ambivalence du film se retrouve dans la façon dont le cinéaste traite le rapport à la réalité, avec un écran de fumée permanent venant brouiller les certitudes.
Assez perturbant lors des premières minutes, Le ciel étoilé au-dessus de ma tête est tout sauf un récit limpide et linéaire. Enfermé dans l’esprit de Bruno, le spectateur est balloté dans une temporalité qui ne respecte pas les règles préétablies. Si l’intervention de ses proches venus dans l’optique d’une hospitalisation d’office est le centre névralgique du récit, le film assume le flou artistique et se perd au gré des pensées et souvenirs de l’écrivain maudit. Entre ces flashbacks et les scènes de l’intervention, bien malin celui qui peut définir ce qui correspond à la réalité ou ce qui est le fruit de l’imagination débordante de Bruno. En partageant de façon intime les fantasmes que l’écrivain s’invente pour mieux se protéger, le spectateur est invité à se noyer dans ses délires. On finit d’ailleurs par éprouver une réelle compassion pour cet artiste harcelé « pour son bien » par ses proches. Peu à peu la folie douce du personnage prend le contrôle du récit. Mais Bruno est-il vraiment fou ?
In(ter)vention
Cette intervention est-elle après tout réellement nécessaire ? C’est la question qui s’impose alors que ses proches tentent de convaincre Bruno que son célibat, son mode de vie bohème et son incapacité à renouer avec le succès depuis 20 ans pose problème. Il arrive en effet à l’écrivain en panne de se promener nu dans les couloirs de l’immeuble en pleine nuit. Et alors ? Enfreindre certaines règles de la bienséance et de la « normalité » fait il de lui un desaxé à interner ? Au-delà de ses excentricités, c’est bien le lien entre la créativité, l’imaginaire et la folie qui est exploré dans Le ciel étoilé au-dessus de ma tête. Le rôle d’artiste maudit est séduisant lorsque l’on est jeune mais à 50 ans Bruno qui n’a rien écrit depuis vingt ans a définitivement basculé dans la case « loser ». Pour ses proches, son mode de vie a depuis longtemps irrémédiablement basculé du romantisme au pathétique.
Sa colocation avec une jeune Femen, son célibat, le fait qu’il n’ait pas d’enfants… Au-delà de son génie perdu, ces faits sont autant d’éléments à charge sur lesquels ses proches insistent pour le convaincre qu’il a besoin d’aide. Très malin, ce cauchemar éveillé est assez subtil pour ne pas réellement trancher d’un côté ou de l’autre. On peut être en total accord avec les vérités scientifiques assénées par la psychiatre qui dresse un portrait peu flatteur mais réaliste de Bruno et pour autant être en compassion avec l’auteur et penser qu’il mérite surtout qu’on lui foute la paix. Dans cette guerre de tranchées entre le processus créatif et la société, Bruno va se réfugier naturellement dans son imaginaire salvateur qui fait du film un puzzle dont il est difficile d’associer les pièces. Bienvenue dans le dédale créatif — dont forcément bordélique — de cet artiste oppressé par un entourage inquiet. L’interprétation impeccable de Laurent Poitrenaux — acteur principalement de théâtre dans son premier rôle principal au cinéma —, entre absurde et désespoir, est la touche magique qui donne à l’ensemble le souffle nécessaire pour faire de cette tragi-comédie une réussite totale.
Le ciel étoilé au-dessus de ma tête prouve avec brio que la comédie française n’est pas condamnée à user éternellement des mêmes thématiques et ressorts éculés pour faire rire. Une autre voie — plus créative et risquée — est possible, même (surtout ?) sans moyens. Tous au ciné pour soutenir Bruno !
> Le ciel étoilé au-dessus de ma tête, réalisé par Ilan Klipper, France, 2017 (1h17)