Associés bien malgré eux, le député En Marche ! Bruno Bonnell et l’insoumis François Ruffin se voient confier une mission parlementaire sur les « métiers du lien ». Au fil d’un « road-movie parlementaire », le duo improbable part sur les routes de France à la rencontre des femmes (largement majoritaires dans ces métiers) qui s’occupent de nos enfants, nos malades, nos personnages âgées.
Malgré le confinement qui s’abat subitement sur la France, la mission se poursuit. Elle récolte la parole soucieuse de ces femmes invisibilisées au sein de la société, réduites à enchaîner les heures, souvent sans réel statut, pour un salaire dérisoire à la fin du mois. Entre rires et larmes, colère et espoir, le constat sur l’indignité de leur traitement est accablant.
Des plateaux télé à la tribune de l’Hémicycle, Debout les femmes ! œuvre pour que ces travailleuses soient enfin reconnues. Quitte à réinventer l’Assemblée pour cela…
Road movie parlementaire
Après avoir tenté un portrait du mouvement hétéroclite des Gilets Jaunes avec leur film précédent J’veux du soleil ! (2019), François Ruffin et Gilles Perret repartent sur les routes pour mettre en avant les difficultés des salariées des « métiers du lien ». Avec l’aide du député de la majorité Bruno Bonnell, allié improbable qui dévoile une inattendue fibre sociale.
Le but de la mission parlementaire : récolter la parole de femmes qui n’ont que rarement la possibilité de s’exprimer sur leur quotidien. Occupés à plus de 90% par des femmes, ces métiers dits « du lien » illustrent de façon choquante le déséquilibre des salaires entre hommes et femmes, renforcé par le statut de ces jobs souvent précaires, à temps partiel et rémunérés moins que le SMIC à la fin du mois.
Trois métiers sont particulièrement mis en avant dans le documentaire : les aides à domicile, les AVS (auxiliaires de vie scolaire) et AESH (accompagnant des élèves en situation de handicap) et les agents d’entretien. Des métiers majoritairement occupés par des femmes qui ont en point commun un salaire très faible ne prenant pas en compte les temps de préparation et/ou de trajet. Et très souvent l’absence d’un véritable statut.
La carpe insoumise et le lapin marcheur
Pour tenter de pallier ces injustices, la mission parlementaire réunit deux députés que tout oppose, a priori. Honnête, François Ruffin avoue au député marcheur Bruno Bonnell qu’il s’est exclamé : « Mais qui m’a mis cette tête de con ? » lorsqu’il a découvert qui serait son binôme pour la mission. L’aventure débutait mal.
En effet, Bruno Bonnell, choisi par M6 comme ersatz de Donald Trump dans la version française de The Apprentice (2004-2017), est très éloigné politiquement du député insoumis. Cette association de la carpe et du lapin donne une touche comique à ce documentaire qui est moins farfelu, sujet oblige, que Merci patron ! (2016) – lire notre critique -, premier film de Ruffin, alors simple journaliste.
Mais la défiance entre les deux hommes ne dure pas longtemps. Contre toute attente, les deux députés s’entendent miraculeusement sur le but de leur mission. Père d’un enfant handicapé, Bruno Bonnell a pu constater pendant des années l’importance d’avoir une personne pour s’occuper de son fils.
De quoi attendrir le cœur de ce chef d’entreprise, par ailleurs fervent défenseur d’un capitalisme décomplexé. Debout les femmes ! montre une conception de la politique plus humaine de la part du député Bonnell même si on peut trouver regrettable qu’un drame personnel ait été nécessaire pour cette prise de conscience sociale.
Quoi qu’il en coûte
La mission à peine débutée, la crise du Covid immobilise la France au mois de mars 2020. Confinés, les français sont sommés de rester chez eux par le chef de l’État. Dans un premier temps, le tournage s’arrête. Puis des auxiliaires de vie sociale alertent François Ruffin sur la pénurie de masques, de gel et de blouses…
Alors, sur des routes désertes, le périple reprend, masqué. La crise sanitaire vient appuyer là où ça fait mal. Elle enfonce sous l’eau la tête de personnes qui avaient déjà du mal à surnager. Les surblouses fabriquées en urgence dans les cuisines, à partir de matériel acheté dans un magasin de jardinage, sont le symbole de l’incroyable abandon de la puissance publique.
Par définition, les métiers du lien ne s’accordent pas avec le télétravail. Il faut continuer, quoi qu’il en coûte, quitte à prendre des risques dans une France prise de court. Plus que jamais, il est nécessaire de donner la parole à ces femmes qui se retrouvent alors en première ligne. Debout les femmes ! montre leur dévouement admirable à travers des témoignages bouleversants et à quel point leur expression est difficile.
Prendre la parole
L’image la plus choquante du documentaire est certainement celle des femmes de ménage travaillant à l’Assemblée nationale qui évitent l’objectif de la caméra par peur d’être reconnues et licenciées. La séquence fait froid dans le dos et montre l’étendue du malaise de ces femmes qui n’osent pas revendiquer des droits.
Les revenus de ces métiers seraient-ils aussi indécents s’ils étaient occupés en majorité par des hommes ? Le documentaire interroge la logique patriarcale appliquée au monde du travail qui est pour beaucoup dans la façon honteuse dont sont traitées ces femmes. Le fait que ces métiers soient tous en lien avec l’humain est l’autre raison principale. Pourtant ces métiers injustement reconnus vont devenir de plus en plus essentiels dans une France vieillissante.
Au fil du documentaire, les deux députés s’effacent pour laisser la parole à ces femmes qui expriment leurs colères mais aussi leurs espoirs. Elles prennent notamment la parole lors d’une séquence poignante dans une assemblée fantasmée, composée exclusivement de femmes. Un moment évidemment symbolique mais qui sert de catharsis à une souffrance muette. Le temps suspendu d’une dignité retrouvée.
Le monde d’après
Comme le rappelle le documentaire en reprenant des extraits de différents discours d’Emmanuel Macron pendant la crise, la pandémie a eu pour effet de mettre un coup de projecteur sur ces métiers essentiels à la société. Une prise de conscience qui rend ces salaires particulièrement indécents. Et d’autant plus insupportables s’ils sont comparés à ceux de traders détruisant l’économie réelle.
« Les jours heureux reviendront » assurait alors le Président de la République. Et d’ajouter « Il faudra se rappeler que notre pays tient aujourd’hui tout entier sur ces femmes et ces hommes que nos économies reconnaissent et rémunèrent si mal. » Depuis, de nouveaux sujets de conversation ont remplacé les urgences d’alors. Et ces femmes dans tout ça ?
Debout les femmes ! salue des avancées timides qui, ironiquement, n’auraient peut-être pas été possibles sans la crise sanitaire. Sous la pression, ces métiers ont bénéficié à la marge de l’« argent magique » soudain disponible. Mais il reste encore beaucoup à faire.
Parmi ces victoires : un 13ème mois pour les femmes de ménage de l’Assemblée nationale. Un geste au plus proche du pouvoir pour se donner bonne conscience ?
Alors que la crise sanitaire a mis en lumière leur nécessité sociale, Debout les femmes ! vient rappeler l’importance de ces métiers qui créent du lien social indispensable. Ces paroles fortes de femmes qui le sont tout autant réclament leur dû : un vrai statut et des salaires permettant de vivre décemment, sans honte. Alors oui, les jours seront vraiment heureux.
> Debout les femmes !, réalisé par François Ruffin et Gilles Perret, France, 2020 (1h39)