« Noura rêve », tromperie aggravée

« Noura rêve », tromperie aggravée

« Noura rêve », tromperie aggravée

« Noura rêve », tromperie aggravée

Au cinéma le 13 novembre 2019

Le divorce de Noura avec Jamel, détenu récidiviste, est sur le point d'être prononcé. Elle pourra alors enfin vivre au grand jour son histoire d'amour avec Lassad, son amant. Mais Jamel est libéré plus tôt que prévu et Noura est rattrapée par une loi tunisienne sur l'adultère particulièrement sévère. Porté par un réalisme captivant et des prestations subtiles, Noura rêve dénonce avec justesse la dangereuse ingérence de l'État dans la vie privée de ses citoyens.

Plus que 5 jours avant que le divorce entre Noura (Hend Sabri) et Jamel (Lofti Abdelli), incorrigible délinquant récidiviste, ne soit prononcé. Passé ce délai, Noura espère débuter une nouvelle vie auprès de Lassad (Hakim Boumsaoudi), son amant. Mais son mari, bénéficiant d’une grâce présidentielle, est libéré plus tôt que prévu. La loi tunisienne punissant sévèrement l’adultère, Noura se retrouve dans une situation explosive. Jamel est bien décidé à se venger de la trahison de sa femme avec l’aide d’une législation impitoyable avec les amants illégitimes. Noura va devoir jongler entre son travail, ses trois enfants, son mari, son amant et cette justice qui s’immisce dans l’intime.

Noura rêve © 2019 Propaganda Production

Documenteur

En 2012, la réalisatrice belgo-tunisienne Hinde Boujemaa suivait Aida, une femme tunisienne tentant de refaire sa vie, dans son documentaire C’était mieux demain. Le film dévoilait que, malgré la dynamique de la révolution arabe, cette tunisienne peinait à reconstruire la nouvelle vie qu’elle espérait. La vague de contestation qui a ébranlé la Tunisie et d’autres pays arabes était puissante mais, au cœur même de cette révolution, la question de la condition des femmes n’a pas profité pleinement du mouvement pour faire évoluer les mentalités. Avec Noura rêve, Hinde Boujemaa délaisse le documentaire pour la fiction mais son attachement au quotidien des tunisiens transparaît dans ses choix. Dans la suite logique du questionnement de la réalisatrice sur la place des femmes dans la société tunisienne, ce drame intime est fortement ancré dans le réel. Le sujet de l’infidélité féminine — particulièrement tabou dans la société tunisienne — sert ici de porte d’entrée pour dénoncer une loi sur l’adultère très intrusive.

En quête d’authenticité, la réalisatrice a engagé des enfants non professionnels qui donnent la réplique à des acteurs principaux bien connus du public tunisien. Un choix qui insuffle du naturel à cette famille au bord de l’implosion. Le rôle de la mère de famille infidèle a été confié à Hend Sabri, véritable star et égérie de nombreuses marques dans les pays arabes. Pour ce rôle, l’actrice a mis de côté son image glamour : elle joue sans maquillage cette femme devant gérer la crise qui s’abat sur elle. Impressionnante, Hend Sabri porte le film sur ses épaules avec sa prestation toute en finesse. Hinde Boujemaa qui déclare en avoir marre que l’on victimise la femme, signe là le portrait complexe d’une mère combative. Partagée entre son amour pour Lassad et le bonheur de ses enfants, Noura est prête à tout pour tenter de conserver son rêve de liberté, quitte à mentir.

Noura rêve © 2019 Propaganda Production

Maman songe

Telle une ombre menaçante, le mensonge plane sur les personnages tout au long du film. Il y a tout d’abord la dissimulation de l’infidélité que Jamel découvre à sa sortie de prison et entraîne le trio mari, femme et amant dans une tempête de vengeance. Mais c’est la loi sur l’adultère qui prévoit de deux mois à cinq ans d’emprisonnement pour les coupables qui est au cœur de ce drame. Et face aux autorités, chaque protagoniste s’arrange avec la vérité pour protéger ses intérêts. L’ambiguïté des personnages complexifie le propos de cette histoire de trahison qui se joue sous le projecteur indiscret d’une justice punitive. Le mensonge est latent et tous les personnages sont concernés. Avec un soin particulier apporté aux intentions de ses personnages, Hinde Boujemaa réussit à développer son histoire sans jamais tomber dans la caricature. Ainsi Jamel — incarné par Lofti Abdelli, loin de son rôle habituel de comique — est un délinquant récidiviste plus souvent sous les barreaux qu’auprès des siens mais il est également un père aimant pour ses enfants. À sa sortie de prison, il tente même reprendre sa place au sein de la famille avant d’être vite rattrapé par ses démons. Chaque protagoniste est ainsi guidé par sa propre logique où se mêle dans une tornade difficilement contrôlable sentiments, amour propre, pression sociale et justice intrusive. En prenant soin de ne pas accabler ses personnages, Noura rêve focalise l’attention sur cette loi qui ne fait que jeter inutilement de l’huile sur le feu d’un drame intime douloureux.

Noura rêve © 2019 Propaganda Production

L’adultère à terre

Dans une logique de dénonciation globale de la loi sur l’adultère, Hinde Boujemaa prend soin de ne pas positionner Noura en victime mais la complexité du personnage n’enlève rien à l’injustice de cette législation qui pénalise beaucoup plus les femmes que les hommes. Si le texte de loi ne vise pas les femmes sur le papier, il leur porte plus préjudice dans les faits. Selon cet article 236 du code pénal tunisien, l’adultère est puni de la même peine pour les deux amants. Les amoureux illégaux encourent une condamnation de deux mois à cinq ans d’emprisonnement ainsi qu’une amende de 500 dinars dans le but de « protéger la famille, noyau de la société » comme le stipule la constitution. Cette peine s’applique aussi bien aux hommes qu’aux femmes mais la société n’en a pas la même lecture. En Tunisie comme dans d’autres pays où ce type de loi existe, c’est très souvent les hommes qui portent plainte contre leur épouse. L’ego masculin et la pression sociale font que les maris engagent beaucoup plus souvent que les femmes cette procédure de punition de l’adultère.

À cela s’ajoute qu’une femme infidèle n’est pas considérée avec la même bienveillance qu’un homme qui va voir ailleurs. Socialement inacceptable, l’infidélité féminine est perçue de façon beaucoup plus négative. Pour la réalisatrice, ce sujet sensible de l’infidélité ne devrait pas sortir du cercle intime : une loi venant criminaliser la trahison entre époux est à ses yeux totalement absurde. Si en Tunisie la loi ne prévoit pas de lapidation — pratique ignoble heureusement de moins en moins appliquée mais toujours dans les textes de certains pays du Moyen-Orient —, les femmes sont les premières victimes d’une législation qui les fragilise au sein de la société. Avec ce risque d’être dénoncée pour infidélité, l’épouse se retrouve dans l’incapacité de porter plainte pour d’autres abus éventuels de la part de son conjoint. Équitable sur le papier, cette loi permet, dans les faits, une pression malsaine qui est au désavantage des femmes. Hinde Boujemaa n’explore pas frontalement ce cas de figure dans son film mais ce risque est bien présent au dessus de la tête de Noura, et de ses concitoyennes tunisiennes.

Porté par des prestations remarquables, Noura rêve s’impose comme une charge habile contre une loi injuste et dangereuse fragilisant les femmes. Réflexion sur les dégâts de l’intrusion de la morale d’État dans l’intime, le drame de Hinde Boujemaa est une œuvre forte pour possède tous les atouts pour bousculer les mentalités en Tunisie… et ailleurs.

> Noura rêve (Noura’s Dream), réalisé par Hinde Boujemaa, Tunisie – Belgique – France, 2019 (1h32)

Noura rêve (Noura's Dream)

Date de sortie
13 novembre 2019
Durée
1h32
Réalisé par
Hinde Boujemaa
Avec
Hend Sabri, Lofti Abdelli, Hakim Boumsaoudi
Pays
Tunisie - Belgique - France