« Bohemian Rhapsody », a little bit of Freddie

« Bohemian Rhapsody », a little bit of Freddie

« Bohemian Rhapsody », a little bit of Freddie

« Bohemian Rhapsody », a little bit of Freddie

Au cinéma le 31 octobre 2018

De la formation du groupe à sa prestation triomphale lors du concert Live Aid, Bohemian Rhapsody raconte l'histoire de Queen en se focalisant sur son leader charismatique, Freddie Mercury. Assez éloigné d'un biopic intime sur le génial chanteur, le résultat final — validé par le groupe — manque d'audace et n'apporte malheureusement rien de nouveau. Un trip musical pour les fans qui stimule et émeut avant tout grâce à la musique intemporelle de Queen.

Empruntant le nom de leur titre le plus emblématique — fortement ancré dans la culture populaire de Wayne’s World (1992) aux Muppets —, Bohemian Rhapsody retrace la carrière du groupe Queen. Un périple de sa formation en 1970, sur les cendres du groupe Smile, à son retour époustouflant au concert Live Aid en 1985 où Freddie Mercury (Rami Malek) — se sachant atteint du virus du SIDA — livre une prestation mythique entouré de Brian May (Gwilym Lee), Roger Taylor (Ben Hardy) et John Deacon (Joseph Mazzello). En suivant le succès fulgurant du chanteur et ses frasques qui ont failli mener le groupe à l’implosion, le film de Bryan Singer rend hommage à cet outsider qui a défié les stéréotypes et bousculé la musique de l’époque.

Bohemian Rhapsody © 20th Century Fox

Under pressure

Dire que la production du Bohemian Rhapsody a été compliquée est un euphémisme. Le terme chaos semble plus approprié. En gestation pendant des années, le film sur Queen, centré sur son charismatique chanteur, a vu maintes fois sa date de sortie repoussée. Lors de l’annonce du projet en 2010, c’est l’acteur facétieux Sacha Baron Cohen — créateur, entre autres, du personnage de Borat — qui devait incarner Freddie Mercury.

Mais un différent artistique avec les membres du groupe (Brian May et Roger Taylor se sont particulièrement investis dans la production) l’a contraint à quitter le projet. Il faut attendre 2016 pour que Rami Malek soit officiellement intronisé pour le rôle du leader de la formation de rock anglaise. Le héros de la série Mr. Robot s’en sort d’ailleurs assez bien. Affublé d’une prothèse dentaire indispensable pour simuler la dentition proéminente du chanteur, il rend crédible le personnage à travers l’imitation précise de ses postures et certains mouvements de bouche caractéristiques.

Bohemian Rhapsody © 20th Century Fox

Dernier rebondissement, le réalisateur Bryan Singer — à qui l’on doit notamment Usual Suspects (1995), Superman Returns (2006) et certains films de la saga X-Men — se voit finalement dépossédé du projet par la Fox deux semaines avant la fin officielle du tournage. La raison serait des absences répétées et des tensions survenues avec des acteurs dont Rami Malek.

C’est au final Dexter Fletcher — réalisateur du film Eddie the Eagle (2015) et actuellement en train de terminer la production de Rocketman, un biopic sur Elton John prévu pour l’été 2019 — qui le remplace pour boucler le tournage, le montage et la post-production. Toutes ces contrariétés ont sans doute influé sur le film définitif — qui reste crédité officiellement à Bryan Singer — même s’il est difficile de démêler l’influence exacte qu’elles ont pu avoir.

Bohemian Rhapsody © 20th Century Fox

Validé par les membres du groupe qui ont survécu à Freddie Mercury, Bohemian Rhapsody est un hommage à Queen en tant que collectif et non le biopic intime sur son flamboyant leader comme certains pouvaient l’espérer. Le film est évidemment centré sur le personnage charismatique du chanteur de génie mais sa solitude n’est qu’évoquée : elle plane au dessus du film tel un fantôme et semble échapper à un scénario trop superficiel.

Entre deux anecdotes sur les disputes internes au sein du groupe et la genèse en studio de certains morceaux mythiques, le « quasi biopic » de Bryan Singer n’apprend pas grand chose de nouveau sur l’histoire de Queen et peine à montrer la vérité de Farrokh Bulsara derrière la bête de scène Freddie Mercury.

Bohemian Rhapsody © 20th Century Fox

Killer Queen

Certains spectateurs découvriront peut-être le rôle déstabilisateur de Paul Prenter (Allen Leech), manager et compagnon de Freddie Mercury qui l’a isolé de son entourage — notamment des autres membres du groupe — et n’a pas hésité à le trahir après sa mise à l’écart par le chanteur. Les mythiques fêtes orgiaques organisées par Freddie Mercury ne sont pas passées sous silence — même si elles sont plus évoquées que réellement montrées — et les répliques bien senties — souvent l’œuvre de l’humour corrosif du leader de Queen — sont également présentes mais l’ensemble peine à former un tout cohérent notamment à cause d’une gestion du temps qui passe assez perturbante.

La montée en puissance du groupe est traitée de façon très rapide dans le film, donnant l’impression que les quinze années qui séparent la création du groupe au concert de Live Aid défilent à toute allure, sans laisser le temps au spectateur de prendre la mesure de la progression du groupe. Une conception assez artificielle que l’on retrouve également dans certains plans — probablement tournés par Bryan Singer.

Bohemian Rhapsody © 20th Century Fox

Une tournée du groupe, par exemple, est illustrée avec des images de concert où des silhouettes colorées de Freddie Mercury s’échappent de sa personne. Une esthétique de clip qui trahit un réalisateur qui peine à trouver une réelle cohérence de mise en scène et d’ambiance tout au long d’un biopic qui est plus une succession d’anecdotes qui, aussi amusantes ou intéressantes soient-elles, ne forment pas une œuvre homogène. Une autre scène vient renforcer cette impression, une conférence de presse où les questions des journalistes indisposent le chanteur.

Certains propos des journalistes proviennent en réalité d’autres interviews — ce type de petit ajustement de la réalité est assez courant — mais le plus surprenant est la mise en scène pour montrer le malaise du chanteur face aux questions des journalistes sur sa vie privée et notamment ses préférences sexuelles. Le montage est tellement appuyé dans ses effets que la séquence ne convainc pas vraiment.

La recréation quasi intégrale du concert de Live Aid — le climax du film — est aussi assez étonnante avec ses fougueux effets de caméra et sa foule numériquement reconstituée. Heureusement, la musique de Queen attire toute l’attention et suscite l’émotion du spectateur et empêche d’aller chercher les détails pouvant casser la magie du moment.

Bohemian Rhapsody © 20th Century Fox

Friends will be friends

Malgré ses défauts et son statut étrange — écartelé entre un biopic personnel sur Freddie Mercury et un documentaire très factuel sur le groupe — Bohemian Rhapsody réussit tout de même à provoquer des frissons et même à faire verser quelques larmes. La musique de Queen, imparable et organique, apporte fort heureusement la consistance qui manque par ailleurs au projet. Un pouvoir quasiment magique que Brian May a bien cerné lorsqu’il propose aux autres membres du groupe de réaliser un titre pour capitaliser sur la réactivité du public lors des concerts.

Il invite ses camarades à taper deux fois du pied suivi d’un claquement dans les mains : la base rythmique de We Will Rock You est née. Un tube immédiat, évident, qui s’est imposé avec We Are The Champions comme l’hymne incontournable des compétitions sportives, précédant le Seven Nation Army des White Stripes, qui est devenu aussi un chant de supporters, bien malgré lui. Cette puissance indéniable porte le spectateur tout au long de ce récit en faisant oublier ses failles.

La musique… et la voix, évidemment. Celle de l’icône Freddie Mercury, omniprésente. Cette voix unique projetant des paroles qui — comme celles de toutes les bonnes chansons — sont des caméléons se prêtant volontiers aux interprétations multiples. Et les textes de Queen prennent évidemment une autre dimension lorsque le leader du groupe se sachant malade monte sur la scène du stade de Wembley en 1985 pour le concert Live Aid.

Bohemian Rhapsody © 20th Century Fox

Lorsqu’il entame les premières notes de Bohemian Rhapsody au piano et lance « Mama, just killed the man » à quoi pense-t-il à ce moment là ? Certains voient dans ces paroles un coming out déguisé mais après tout peu importe la signification première des paroles. La maladie qui s’est abattue sur le chanteur vient donner à ce titre d’opéra rock baroque — comme à Don’t Stop Me Now ou encore We Are The Champions — une tonalité très particulière. La beauté de ces textes résident dans leur capacité à s’adapter sans jamais changer, grâce à une simplicité qui n’est qu’apparente.

Groupe formé par des personnalités hétéroclites — le chanteur bagagiste à l’aéroport d’Heathrow né à Zanzibar, le guitariste astrophysicien, le bassiste électronicien et le batteur voué à devenir dentiste —, Queen se définissait comme un groupe d’outsiders faisant de la musique pour les outsiders. Le film insiste sur cette appartenance familiale qui lie les membres du groupe entre eux. Une famille qui doit également s’entendre au sens plus large, incluant leur public.

Célébration de fan pour les fans, Bohemian Rhapsody ? Probablement. En tout cas sans révélation sur la vie du chanteur, le film de Bryan Singer raconte surtout la vie du groupe, de cette famille musicale liée à celle de leurs fans, une foule rassemblée dans des stades immenses venant communier autour de la figure magnétique du chanteur.

Bohemian Rhapsody ©️ 20th Century Fox

Who Wants To Live Forever

La fin heureuse dépend du moment où l’on termine son histoire, selon Orson Welles. La décision de clore le film sur la scène de Wembley lors du concert Live Aid n’est donc pas anodine. Le groupe et la Fox souhaitaient cette fin en apothéose, au risque de priver les spectateurs de la fin de l’histoire, tragique évidemment mais pas moins réelle pour autant. Exit donc les albums A Kind Of Magic (1986), The Miracle (1989) et surtout Innuendo (1991), dernier album du groupe sorti du vivant de Freddie Mercury et aussi époustouflant que son cousin A Night At The Opera sorti en 1975.

En écartant les dernières années de la vie du chanteur, Bohemian Rhapsody tire définitivement un trait sur l’idée d’un biopic sur Freddie Mercury. Une décision qui permet d’éviter un traitement qui aurait pu être voyeuriste mais empêche également de capter plus précisément cette tragique solitude de l’artiste qui plane sur l’ensemble du film.

Bohemian Rhapsody © 20th Century Fox

Trop étrange pour être un tube — et donc n’ayant pas sa place au sein du film — I’m Going Slighty Mad, co-écrit par Mercury et le chanteur jamaïcain Peter Straker, aurait détonné au sein de la fête musicale. À la fois glauque, absurde et fascinant, le clip associé au titre renforce son image dérangeante.

Tourné en noir et blanc pour atténuer l’épaisse couche de maquillage qui recouvre les stigmates de la maladie sur le visage émacié du chanteur, la vidéo schizophrène mélange paroles inquiétantes et images grotesques : Brian May en manchot, Roger Taylor avec une théière sur la tête et John Deacon déguisé en bouffon. La flamboyance de la reine du bal se déhanchant sur la scène de Wembley, portant son pied de micro tel un sceptre luxueux est un souvenir déjà lointain et certainement douloureux.

Bohemian Rhapsody © 20th Century Fox

Et pourtant, sur son dernier plan, Freddie Mercury esquisse un sourire, tel un écho au titre The Show Must Go On également présent sur cet album. Un morceau testament lumineux composé par Brian May qui surnage dans cet opus à la beauté crépusculaire.

Freddie Mercury décédera quelques mois après la sortie de l’album, vingt quatre heures après avoir confirmé dans un communiqué de presse être atteint du sida. Une douloureuse conclusion qui nous est épargnée dans cette version — raccourcie — de l’histoire de Queen.

Bohemian Rhapsody n’est pas le biopic sur Freddie Mercury que certains attendaient et le film manque d’aspérités pour être à la hauteur de la légende. Mais la puissance des tubes de Queen — les titres plus confidentiels sont malheureusement exclus — apportent la ferveur et l’émotion à un film musical trop lisse, très officiel. La basse faisant vibrer le siège du spectateur et l’incroyable voix de Freddie font du film une expérience sensorielle avant tout : un hommage organique à la musique de Queen, à son évidente simplicité qui la rend si sensationnelle.

> Bohemian Rhapsody, réalisé par Bryan Singer, États-Unis – Royaume-Uni, 2018 (2h14)

Bohemian Rhapsody

Date de sortie
31 octobre 2018
Durée
2h14
Réalisé par
Bryan Singer
Avec
Rami Malek, Gwilym Lee, Ben Hardy, Joseph Mazzello, Allen Leech
Pays
États-Unis - Royaume-Uni