Révélée dans les années 50, Brigitte Bardot s’impose rapidement comme l’une des premières icônes du cinéma français à être reconnue à travers le monde. Femme et actrice libre, sa carrière sur grand écran et même dans la chanson est furtive. Au sommet de la gloire, B.B. abandonne les projecteurs pour se consacrer à la défense des animaux. Ce nouveau rôle de militante en avance sur son époque endossé par l’actrice est mal compris, cruellement moqué.

Tapie à la Madrague, elle fuit les regards indiscrets des journalistes peu scrupuleux, les scandales et les déceptions d’une vie publique certainement trop intense pour son caractère. Bardot revient sur cette vie hors du commun à travers de nombreux témoignages et la parole rare d’une femme discrète et avare de déclarations, désormais plus à l’aise parmi les siens, les animaux.

Kaléidoscope

Bardot se donne pour ambition de développer tous les aspects de celle qui fut actrice, danseuse, chanteuse, mannequin et la plus grande défenseuse des droits des animaux en France. Assez classique dans sa structure – des interviews face caméra d’admirateurs de Bardot et de spécialistes de chaque domaine, le documentaire prend la liberté de ne pas traiter sa foisonnante carrière de façon chronologique pour casser la linéarité du récit.

Le kaléidoscope est également composé de séquences animées aux couleurs pastel qui font le lien entre les diverses activités de l’actrice. L’occasion de rappeler son apport à la chanson française, principalement aux côtés de Serge Gainsbourg, pour les titres les plus emblématiques. Des morceaux mythiques tels que Harley Davidson, Initials BB et Bonnie and Clyde réinterprétés dans le film par Selah Sue, Madame Monsieur ou encore Albin de la Simone et Alice on the Roof. Un hommage en reprises qui marque l’influence toujours actuelle de ces morceaux immortels.

Des contradictions incontournables

Les différents témoignages dressent le portrait d’une personnalité incontournable dans les différents milieux que la star a côtoyé. Libre dans ses actes et surtout sa parole, ce retour en arrière montre la constance d’une femme qui a toujours dit ce qu’elle pensait. Une franchise célébrée pour son rôle dans la libération des femmes, son soutien au droit à l’avortement aux côtés de Simone Veil ou encore son fort caractère dont certains producteurs abusifs ont fait les frais.

Le documentaire éclaire aussi un rôle moins connu de l’actrice qui a soutenu financièrement de nombreuses femmes parmi lesquelles son agent, sa productrice, sa maquilleuse et sa doublure. Des femmes qu’elle appelait ses « mamans de substitution », marque du traumatisme d’une enfant victime du manque d’intérêt d’une mère distante. Le documentaire revient également sur ses mariages malheureux et ses multiples tentatives de suicide.

Car, malgré une vie de rêve, les contradictions planent sur tous les aspects de ce parcours – certainement trop – tumultueux. Si Brigitte Bardot a contribué à faire avancer la cause des femmes, elle n’est pas féministe au sens contemporain du terme. Un fossé qui s’est particulièrement creusé au fil des années avec un point de rupture lors de l’arrivée du mouvement #MeToo. Icône de la mode, son style intemporel est avant tout très personnel. Même au cinéma cette duplicité est présente, elle joue les jeunes ingénues sans cervelle mais tourne également avec Henri-Georges Clouzot. Très entourée, très et certainement mal aimée, elle sombre aisément dans un abîme de solitude désespérée.

Traquée

Personnalité offerte corps et âme à son public, Bardot pointe le traumatisme d’une meute de médias qui ne possède plus de limites pour capter son image. L’actrice confie qu’un passage au Festival de Cannes l’a particulièrement traumatisée. Brigitte Bardot se compare – naturellement – à un animal traqué. Un choc qui l’a rendu agoraphobe et donne une clé pour comprendre sa retraite artistique précoce et certaines dérives verbales à venir.

L’intérêt principal du documentaire sont les confidences de la star qui vit désormais loin du tumulte, auprès de ses animaux. Alors qu’elle a quitté les plateaux il y a 50 ans, Brigitte Bardot se fait très discrète dans les médias. À la veille de ses 90 ans, elle a accepté, apparemment en confiance, de prendre la parole pour partager ses souvenirs et rétablir certaines vérités.

Filmée pudiquement – on entend plus la star qu’on ne la voit -, Brigitte Bardot revient sur cette vie mouvementée et surtout sur sa célèbre Fondation qui est, rétrospectivement, incontestablement l’œuvre de sa vie. De toute évidence l’héritage qui lui tient le plus à cœur comme le prouve cette confidence : « Je m’en fous que l’on se souvienne de moi, ce que je voudrais surtout, c’est qu’on se souvienne du respect que l’on doit aux animaux. »

Dérapages avancés

Marque de confiance et de liberté de la part de Brigitte Bardot, le documentaire évite le biais de la complaisance d’un petit film hagiographique entre amis. Bardot a le mérite d’aborder les sujets du fâchent. Et cela aurait été dommage de s’en passer car les dérapages de la star de ces dernières années révèlent beaucoup de sa liberté de parole évidemment – pour le meilleur et en l’occurrence pour le pire – mais aussi son état d’esprit. Car, si le traumatisme des médias qui l’ont pourchassée est toujours tenace et peut expliquer sa retraite actuelle, le mal semble plus profond. La désillusion plus grande encore.

Au fil des réponses de la défenseuse des animaux, la distance avec une partie du règne animal, l’être humain, devient évidente. Une défiance qui peut s’expliquer pour cette pionnière des droits des animaux, l’homme étant, de loin, l’animal le plus cruel envers les autres espèces. Les déclarations racistes évoquées dans le documentaire sont de cet ordre, symbole choquant d’une perte de confiance totale en une humanité qui pousse la star dans des retranchements nauséabonds.

Il serait facile d’en conclure que la vieillesse est définitivement un naufrage comme le proclamait le Général de Gaulle. Mais il est plus intéressant de tenter de comprendre, à défaut de l’excuser, la bascule de l’amour des animaux à la haine de son prochain que l’on considère comme trop éloigné de soi. Brigitte Bardot assure depuis la Madrague qu’elle ne veut plus être « victime de sa colère ». Elle s’excuse également du bout des lèvres auprès de ceux que ses propos ont heurté. Des regrets qui ont le mérite d’exister, on ose espérer qu’ils sont sincères.

Documentaire riche en archives et en témoignages, Bardot réussit un tour d’horizon complet d’une vie multiple, marquée par une retraite médiatique précoce. Les confidences rares donc précieuses de la star éclairent la façon de penser toute en contradiction d’un animal blessé dont l’amour est désormais réservé à ceux qui restent toujours fidèles. Une dévotion qui valait bien une Fondation.

> Bardot, réalisé par Elora Thevenet et Alain Berliner, France, 2025 (1h30)