«Avec Internet, le porno s’est suicidé»

«Avec Internet, le porno s’est suicidé»

«Avec Internet, le porno s’est suicidé»

«Avec Internet, le porno s’est suicidé»

14 octobre 2010

Ovidie étudiait la philosophie et tournait dans son premier porno à 18 ans. A 20 ans, elle réalisait son premier film pour adulte et à 21 ans, elle publiait son premier livre chez Flammarion.

Dès ses débuts, Ovidie est estampillée « intello du X ». Elle tourne dans des pornos parce que c’est rock-and-roll. On la retrouve également dans Le Pornographe, avec Jean-Pierre Léaud ou encore chez Béneix dans Mortal Transfert. Féministe, militante, Ovidie est l’auteur d’une dizaine de livres dont la Sexualité féminine de A à Z, sorti en septembre 2010 (éd. La Musardine). Elle est directrice des programmes de Frenchlover TV, chaîne spécialisée dans le coaching sexuel, interdite aux moins de 18 ans et à destination des couples. En 2000, elle réalise son premier film X, Orgie en noir, produit par Dorcel. Depuis, la réalisation reste sa priorité. Citazine a rencontré Ovidie dans les locaux de Frenchlover TV, à Boulogne-Billancourt.

Ovidie espère réaliser de nombreux documentaires. | Photo Frenclover TV

Très rapidement, vous êtes devenue « l’intello du X » et vous avez confirmé avec la parution en 2002 de Porno Manifesto, qui bousculait les idées traditionnelles du féminisme. Quel était le message de ce manifeste ?

J’ai commencé à l’écrire voici dix ans. Je voulais faire connaître en France un mouvement inconnu du féminisme : le féminisme pro-sexe. Il s’agit d’un courant qui découle de la révolution sexuelle de la fin des années 60. A l’époque, l’enjeu du féminisme était qu’une femme devait disposer pleinement de son corps.
Le féminisme s’est ensuite divisé en deux courants. Le courant à la « MLF » (Mouvement de libération des femmes, NDLR), anti-homme et très agressif à l’égard du plaisir sexuel et de la nudité dans la pub, le ciné et la pornographie et pétri par une vision très dégradante du travail du sexe.
Aux Etats-Unis est né un autre mouvement qui s’est rapidement répandu : le jusqu’auboutisme du féminisme. C’est-à-dire qu’on a le droit de disposer de son corps et de prendre son pied comme on le souhaite. On a également le droit d’exercer un métier à caractère sexuel. Aux Etats-Unis, on a défendu les prostitués alors qu’en France on les a enfoncées au nom, justement, de la libération sexuelle. Marthe Richard a fait fermer les maisons closes. Les prostituées ont été envoyées à la périphérie des villes pour travailler dans des conditions absolument lamentables.
Le féminisme pro-sexe prône le droit pour une femme de montrer son cul face à une caméra si elle en a envie. Ce n’est pas dégradant si la femme garde le contrôle sur tout ça.

Quelle a été l’influence du féminisme pro-sexe sur le porno ?

Dès le début des années 80 aux Etats-Unis, des féministes pro-sexe réalisent leur propre porno. Il faut bien comprendre qu’être pro-porno est une chose et être pro-porno dégradant en est une autre. Il est très important de bien distinguer les deux. Le féministe pro-sexe intègre la représentation sexuelle explicite dans sa démarche. Mais ici, la femme garde le contrôle et met en scène ses propres fantasmes. Mes aînées, qui ont été mes guides, sont Annie Sprinkle et Candida Royalle. Elles étaient des stars du porno mais elles ont eu aussi une démarche universitaire et intellectuelle pour répandre le féminisme pro-sexe. Le mouvement réunit ces femmes qui militent pour une libération sexuelle sans être en guerre contre les hommes ni contre les représentations sexistes.

Quelle est la différence entre ce genre de porno et le porno masculin?

Ici, à Frenchlover, nous reprochons à la pornographie masculine de montrer toujours la même chose, qu’il s’agisse d’un film très gros budget ou de bas étage. Les pratiques sont toujours les mêmes et se déroulent dans le même ordre : la pipe puis le coït.
Une femme est plus investie et se pose plus de question alors que les hommes se mettent en pilote automatique. Chez une réalisatrice, on trouve des pratiques inattendues, plus de respect et une vraie mise en scène du plaisir féminin.

Quel regard portez-vous sur l’industrie du porno actuel ?

L’arrivée massive d’Internet a fait beaucoup de mal au porno. Au début des années 2000, les plateformes de téléchargements n’étaient pas aussi performantes qu’aujourd’hui. L’industrie du porno est actuellement moribonde et quand un secteur est en crise, c’est la porte ouverte à la boucherie. Avec Internet, le porno s’est suicidé. Beaucoup de maisons de production ont fermé et les autres, pour survivre, ont pensé que pour se distinguer de la masse, il fallait faire du porno de plus en plus gore. Les gens ne sont plus prêts à payer pour du porno classique donc pour les pousser à payer, les productions proposent un contenu très particulier.
Quand j’ai écrit Porno Manifesto, de nombreuses pratiques qui sont aujourd’hui légion dans le porno classique, étaient encore perçues comme des pratiques sado-masochistes. Une actrice qui arrive aujourd’hui se retrouve confrontée à des pratiques qui ne concernaient avant qu’une microniche. Quand j’ai débuté dans le milieu, quelques actrices en France pratiquaient la double pénétration et elles le faisaient très exceptionnellement. Maintenant elles font toutes du « double anal ». Le « fist fucking » était par exemple une pratique taboue. Et je ne parle que du « fist » vaginal ! Le « fist » anal, on savait à peine qu’il existait.
En soit le « fist » anal ne me choque pas. Ce qui me choque c’est la banalisation de pratiques violentes, à l’époque classées sado-masochistes. Aujourd’hui, les actrices aux Etats-Unis se prennent des coups. Elles sortent du plateau avec des bleus et le sourire aux lèvres. Pour lutter contre la crise du porno, on banalise ces pratiques !

L’industrie du porno pourra-t-elle s’adapter à cette nouvelle donne et s’en remettre ?

Seuls les gros resteront, les boîtes de production comme Dorcel. Toutes les petites et les moyennes boîtes vont fermer. Les gens ne seront plus jamais prêts à payer pour du porno classique, un truc si mal vu et si « sale ».

Depuis que vous avez écrit Porno Manifesto, voyez-vous des évolutions positives de la société face au sexe ?

Il existe véritablement une propagation de cette pensée féministe pro-sexe qui ne se revendique pas toujours comme telle d’ailleurs. Je pense à des auteurs comme Wendy Delorme ou Virginie Despentes. Surtout, il y a de nouvelles réalisatrices de films pornos qui arrivent sur le marché. C’est un phénomène très récent. L’année dernière, j’étais au Porn Film Festival de Berlin et plus de la moitié des films était réalisée par des femmes. Il n’y a pas une recette de porno féminin mais un panel de pornos alternatifs qui propose une autre vision de la sexualité et une autre façon de la filmer.

Que pensez-vous des Dirty Diaries, de courts films pornos réalisés par des femmes, sortis en juin dernier, et dont tout le monde parle ?

Ils sont particulièrement novateurs et intéressants. En plus, ces courts métrages jouissent d’une caution gouvernementale. Ils sont financés par l’Etat suédois. On n’a donc pas honte d’en parler. On est même « tendance » si on en parle. Alors que je mets au défi quiconque, dans un dîner bobo, de raconter le dernier Dorcel qu’il a vu. L’effervescence autour des Dirty Diaries correspond à un certain milieu social et fonctionne avec un bel enrobage qui le rend acceptable. En fait, ce n’est pas le contenu qui détermine ce qui est pornographique, sale et honteux, c’est le milieu social dans lequel il est produit. C’est le cas pour ShortBus (de John Cameron Mitchell, 2005). Le film est autorisé aux moins de 16 ans alors qu’il est très explicite. Je m’en réjouis, mais force est de constater que les films ont besoin d’une caution et de bons appuis pour être fréquentables. Je trouve très bien que les gens commencent à s’intéresser à une pornographie féminine mais je ne dis pas que tous les pornos féminins sont bons.

Malgré ces progrès, le porno restera-t-il tout de même honteux ?

Je pense que les images explicites deviennent de moins en moins honteuses puisqu’on les insère de plus en plus dans un cinéma dit « respectable ». Les images explicites en soit ne sont pas honteuses, mais encore une fois, d’où proviennent ces images? Les a-t-on vues dans un « boulard » ou dans un produit culturellement approuvé?
Entrer dans un sex-shop pour acheter un sex-toy de Fun Factory est honteux mais entrer dans un « love store » pour acheter cet accessoire, c’est tendance. Je trouve dommage que les gens culpabilisent à entrer dans un sex-shop et pas dans un Passage du Désir, par ailleurs l’un de mes magasins préférés, alors qu’ils y achètent la même chose!
Je ne dis pas que les sex-shop sont formidables mais je ne supporte pas les gens qui condamnent le fait d’y entrer alors qu’ils font la même chose dans un « love store ».
Ceux qui condamnent la pornographie, mais qui regardent des pornos culturellement approuvés par le CNC (Centre national du cinéma, NDLR), ça me fait marrer. L’hypocrisie me gonfle.

Est-il possible d’en finir avec cette hypocrisie ?

Je n’y crois pas. Plus la société représente le sexe à outrance dans les médias traditionnels, plus elle devient répressive vis-à-vis de la pornographie pour se donner bonne conscience. On tape sur les méchants pornographes qui sont soi-disant responsables des crimes sexuels chez les jeunes.
On voit tomber de plus en plus de restrictions, les discours sont de plus en plus violents, de même que les critiques envers la pornographie, qui soi-disant dérègle les jeunes. Personne ne se dit que c’est peut-être la société dans sa globalité qui évolue de manière négative. Le coupable n’est sans doute pas le bon. La surenchère d’étalage de sexe dans les médias continuera de même que la répression de la pornographie.

En 2010, où en est le féminisme ?

Les femmes qui ont moins de 40 ans sont davantage dans une démarche « friendly » vis-à-vis des hommes et sont plus ouvertes concernant la sexualité. Elles sont moins braquées que leurs aînées, mais le féminisme a tout de même du souci à se faire.
On n’est plus dans une séparation pro-sexe et anti-sexe comme c’était le cas voici dix ans. Aujourd’hui, toutes les femmes ont vu des images sexuelles explicites. Résultat : on assiste au développement de la chirurgie plastique intime. Les femmes sont tellement habituées aux sexes imberbes et lisses qu’aujourd’hui elles passent toutes par l’épilation intégrale. Et de plus en plus de nanas se font raboter les petites lèvres pour correspondre à une esthétique sexuelle véhiculée par les images explicites.
Les femmes se préoccupent de leur sexe, de ce à quoi il ressemble. Parfait ! Mais désormais, ce sexe doit ressembler à de nouvelles normes. Les femmes sont encouragées par les hommes et aiment, encore aujourd’hui, se mettre dans une position de servitude volontaire.