Le fétichisme postmoderne, c’est quoi ?
Il concerne la manière dont les théoriciens de la pensée, depuis les années 70, se sont réappropriés les différentes lectures de la notion de fétichisme. C’est en fait la lecture que l’on fait aujourd’hui de la notion de fétichisme qui existe depuis 1756. Avec d’abord, le fétichisme religieux, puis le fétichisme de la marchandise avec Marx et le fétichisme sexuel avec Freud.
Depuis Freud, comment a évolué la notion de fétichisme sexuel ?
Le fétichisme sexuel n’a pas évolué en tant que tel. Ce qui a évolué, c’est la manière dont on peut l’utiliser pour lire les comportements contemporains. On ne peut pas dire que l’idée a évolué même si bien sûr les pratiques en termes de fétichisme sexuel ont, elles, changé. Ce que Freud appelle fétichisme est le fait de fixer un désir sexuel sur un objet ou une partie du corps qui n’est pas dévolue, à la base, à la sexualité. Ce type de fétichisme existe encore aujourd’hui. Mais aujourd’hui, le fétichisme de la chaussure peut être interprété de façon différente puisqu'une chaussure est un objet de marchandisation. On a alors une double lecture, celle du réinvestissement sexuel de l’objet et en même temps, celle de l’inféodation aux lois du marché. Il s’agit du fétichisme selon Marx.
Le mot "fétichisme" a eu différentes acceptions : religieuse, économique, sexuelle. Aujourd’hui, ces différentes définitions ont fusionné. Le postmodernisme mixe les choses entre elles, ne hiérarchisent plus. Et on découvre ainsi des intersections fortes entre les pratiques. Il est important de reprendre tous ces tissages initiaux pour comprendre comment tout ceci s’imbrique.
Le fétichisme sexuel s’est-il développé, selon vous, parce que l’objet gagnait du terrain ?
Oui, le fétichisme sexuel et le fétichisme de la marchandise sont tout à fait connectés, c’est certain. Freud et Marx sont très proches chronologiquement. C’est pratiquement au même moment qu’ils se sont saisis de la notion de fétichisme.
La femme est-elle devenue un objet sexuel pour les mêmes raisons, la conquête de la société par l’objet ?
C’est le point de rencontre entre Freud et Marx. On s’éloigne de Freud pour basculer dans les théories féministes. C’est-à-dire, comment la marchandisation en général a poussé à la marchandisation des corps. La femme transformée en objet est dénoncée à partir de 1975 par les théoriciennes du cinéma féministe, comme Laura Mulvey. Elle démontrait dans un article que la captation cinématographique fétichisait la femme et que le spectateur était dans une position de voyeurisme. Et c’est toujours vrai aujourd’hui. Dans les productions mainstream américaines, on retrouve les mêmes indices de fétichisation et de voyeurisme qu’à l’époque. On est tout à fait dans l’utilisation de la femme comme une marchandise pour vendre le film.
Comment le féminisme se bat-il contre la marchandisation de la femme ?
Le féminisme a tenté de mettre en place des stratégies pour lutter contre la fétichisation, surtout dans le domaine artistique. C’est-à-dire que des artistes ont inversé la tendance en se présentant elles-mêmes comme des objets de marchandises. En utilisant leur image, elles ont réussi à renverser les frontières et à se jouer du fétichisme.
Bien sûr, cela touche des domaines très particuliers. Ce n’est pas ce qui a cours dans l’art donc ces stratégies n’ont pas forcément été connues du grand public.
Mais la lutte contre la fétichisation a touché toutes les branches du féminisme. L’article de Laura Mulvey a vraiment débloqué les choses et provoqué des querelles entre les féministes, concernant les différentes stratégies à adopter. L’automarchandisation et l’autofétichisation des artistes sont les stratégies qui semblent les plus intéressantes.
Parler du fétichisme, à quoi ça sert ?
Karl Marx cherchait à avertir en écrivant le Capital : le fétichisme est un symptôme qui permet de préciser où ça ne fonctionne pas dans la société. La notion est liée au féminisme, elle doit nous rappeler que les combats ne sont pas terminés. On n’a pas atteint ce qui aurait dû être atteint, dans l’art, le cinéma. Tous les terrains sur lesquels il faut continuer de travailler.
Nous parlons de lutte féministe mais le sexe de l’homme aussi se voit fétichisé ?
Oui, c’est vrai. Seuls les théoriciens gays se sont intéressés à la fétichisation du corps masculin, mais le phénomène de fétichisation est beaucoup moins répandu que pour le corps de la femme. La fétichisation masculine véhicule un tout autre imaginaire. Historiquement, il existe quand même une sacrée différence entre l’oppression masculine et l’oppression féminine. Et surtout, d'un point de vue historique, comprendre l’oppression masculine, ce n’est pas le même passif.
Le fétichisme postmoderne, Emilie Notéris La Musardine, coll. L’attrape-corps, 2010. Emilie Notéris est auteure et codirige la collection "Littérature étrangère" aux éditions Ere.