Il n’est ni une ancienne star X ni une réalisatrice de films porno. Il n’est ni productrice de films pour adulte ni universitaire spécialisée sur la question du genre. Non, David Courbet est un jeune homme de 24 ans, qui a décidé de s’intéresser aux passerelles qui relient le féminisme et la pornographie. Pour mener à bien son projet, il a rencontré Ovidie, Sophie Bramly, Erika Lust, Emilie Jouvet, Annie Sprinkle…
Il débute son travail dans le cadre d’un mémoire pour sa dernière année à science po, « ça a fait grincer des dents, dans cette grande institution, un mec qui parle de cul ». Le thème, peu connu en France, intéresse rapidement une maison d’édition. C’est vrai qu’ici, le féminisme pro-sexe n’a pas bonne presse. On est plutôt dans une logique abolitionniste, qu’il s’agisse de porno ou de prostitution. Pour les féministes pro-sexe, loin d’être des termes antithétiques, féminisme et pornographie sont mêmes des mots qui vont très bien ensemble. Le X peut être un levier dans le combat pour l’égalité des sexes. Il s’agit seulement de le penser autrement, de le penser pour les femmes et de le sortir du sexisme grandissant que propose le porno mainstream. Ovidie signe la préface de ce livre. Son titre : « Le porno est mort, vive le porno. »
Qu’est-ce qui vous a donné l’envie d’écrire sur ce sujet ?
Je suis tombé sur un article qui parlait de réalisatrices de films porno. Au début, j’ai trouvé que c’était antithétique. En fouillant, je me suis rendu compte du retard français sur la question notamment concernant les « gender studies ». Je n’ai rien révolutionné, il y a beaucoup d’écrits aux Etats-Unis mais en France, il y a assez peu de personnes pour en parler, à part Ovidie ou Virginie Despentes, qui sont les icônes françaises du mouvement mais qui sont assez peu médiatisées.
La position des féministes abolitionnistes est majoritaire en France. Les féministes pro-sexe sont peu audibles. Mise à part Ovidie, qui est la figure de proue, qu’on invite partout en tant qu’actrice X alors qu’elle a raccroché depuis 10 ans. Aujourd’hui, elle est réalisatrice, productrice.
Le titre de votre livre est «Féminismes et pornographie». Pourquoi le mot féminismes est-il au pluriel ?
Toute l’idée du sujet est là. A partir de la fin des années 70 sont apparues de grosses dissensions au sein du mouvement féministe. Une des causes principales portaient sur les questions qui touchaient la sexualité et le genre. D’un côté se trouvaient les opposantes à la prostitution, voulant l’abolir, et argumentant sur l’image d’une pornographie avilissante pour les femmes et justifiant la société patriarcale. En face, on trouvait les féministes pro-sexe, qui ont débuté par la défense des travailleurs du sexe. Elles sont apparues aux Etats-Unis, menées par Annie Sprinkle et Judith Butler, auteur de Gender Trouble. A ce moment-là, on s’est retrouvé avec les abolitionnistes contre les pro-sexe. Deux camps qui aujourd’hui permettent d’expliquer pourquoi Osez le féminisme ne peut pas s’entendre avec le Strass. Ces organisations ont plutôt du mal à cohabiter alors qu’elles sont toues les deux féministes. Les questions touchant à la sexualité ont formé les camps.
La pornographie permet de dissocier amour et sexe
Dans le livre, vous ne démontrez pas pourquoi la pornographie peut servir le féminisme, mais vous en faites un postulat de départ.
Je me suis effectivement penché sur le féminisme pro-sexe parce que ses théories sont assez peu connues, et j’avais vraiment envie de les mettre en avant. Je voulais expliquer quelles étaient les revendications de ces femmes. Contrairement aux abolitionnistes qui veulent bannir la pornographie, les pro-sexe pensent qu’au lieu d’interdire, ce qui serait une atteinte à la liberté d’expression, on peut faire de la pornographie autrement. Et ce qui existe déjà peut parfois aussi être bon. Déjà parce que ces films montrent une sexualité multiple où la femme peut avoir des désirs autres qu’une simple position du missionnaire. Ils permettent de sortir d’un schéma moral et conservateur et de pouvoir dissocier amour et sexe. Les pro-sexe ne veulent pas interdire la pornographie mainstream, ces films faits par les hommes, pour les hommes, qui reflètent des fantasmes masculins. Ces pionnières féministes sont parties du principe qu’il était tout à fait normal que ce porno ne leur plaise pas puisqu’il ne leur est pas destiné. Au lieu d’interdire, elles veulent changer la donne, rentrer dans le système pour le changer de l’intérieur, d’où l’apparition de réalisatrice. Parce qu’il est vrai que les films de cul qui existent, s’ils ne sont pas forcément avilissants, sont tout de même assez sexistes, sinon misogynes.
Quelles sont les différences entre la pornographie traditionnelle et la pornographie féministe ?
Les jeux de lumière, les dialogues, un scénario, les physiques imparfaits, les scènes filmées avant et après les scènes de sexe, de nombreuses fellations mais également de nombreux cunnilingus, la femme qui peut être à l’origine du rapport sexuel et qui n’est pas forcément passive. Les dialogues sont plus élaborés et on a une histoire.
Il est important de préciser qu’à partir du moment, où les acteurs et actrices sont consentants, tout est permis. Il ne faut donc pas croire que ce sont des films à l’eau de rose, beaucoup plus doux et sensuels parce qu’il s’agit de femmes. On trouve aussi des films très hard, SM. Mais dans des conditions différentes : le port du préservatif est obligatoire, le droit du travail pour les comédiens est respecté et encadré. Ils sont mieux payés et ont de meilleures conditions de travail. Loin de ce qui se fait actuellement dans le mainstream, avec du travail à la chaine pour réduire les coûts.
C’est un mouvement politique et social, une volonté universaliste, qui défend aussi les minorités : queer, transgenre…
Doit-on parler de pornographie féminine ou féministe ?
J’utilise les deux mais il ne faut pas que le terme de pornographie féminine tombe dans le cliché du porno avec des femmes pour les femmes. Il n’est pas forcément destiné aux femmes uniquement et s’adresse à tous types de sexualité.
Pourquoi sommes-nous si en retard en France ?
En France, on est en retard, alors que ce débat n’a pratiquement plus lieu d’être dans les pays d’Europe du Nord ou les Etats-Unis.
En France, le pays qui se veut le pays des droits de l’homme, à l’avant-garde du féminisme, c’est vraiment ambivalent. La France était à l’avant-garde du féminisme avec Simone de Beauvoir. La France a été le premier pays d’Europe à diffuser un film porno à la télé sur Canal +. Depuis, les règles n’ont pas changé. Les législations européennes ont avancé, mais pas en France. Et certaines réalisatrices, comme Emilie Jouvet, voient leurs films interdits en France, du moins à la télévision, à cause de contraintes législatives : on ne peut pas montrer une introduction de sex-toy, on ne peut pas introduire plus de trois doigts dans un vagin… Ce qui met de côté toute une frange de la sexualité féminine.
Attention à ne pas tomber dans le porno pour intello
Et n’est-on pas en retard, peut-être tout simplement parce qu’il n’y a pas le public ?
Si, il y a un public. Sophie Bramly a lancé le site Second Sexe, on est à 100 000 visiteurs uniques par mois et ça continue de grimper. Histoire de Sexe d’Ovidie a fait plus +300% de femmes devant la télé, quand il est passé sur Canal+ en 2010. On produit encore très peu de films puisqu’il n’y a qu’une quarantaine de réalisatrices.
Mais elles doivent aussi se méfier car c’est un mouvement également porté par des universitaires, et le danger serait de mépriser les défenseurs de la pornographie « normal ». Il faut faire attention à ne pas tomber dans une pornographie intello, bobo branché. Il faut parler à tout le monde, sans trop intellectualiser le sujet. Il s’agit de thématiques compliquées qui ont intéressées Deleuze, Foucault, avec des questionnements assez poussés. Mais il y a véritablement un public. Le sondage de Dorcel l’a montré : 83% des françaises ont déjà vu du porno, un extrait ou un film en intégralité et 29% sont des consommatrices régulières. Il existe donc un public. L’industrie du porno est en grande débandade, le porno féministe aurait tort de ne pas sauter sur cette opportunité. D’ailleurs, le mainstream est tellement en crise actuellement qu’il va être forcé de se trouver un nouveau modèle économique. Peut-être qu’il ira sur ce terrain, dans ce cas les féministes auront ouvert la voie.
Et s’il y a un public de femmes pour le porno féministe, on trouve aussi beaucoup d’hommes qui ne sont pas contents du porno actuellement, encore moins du porno gonzo trash de Youporn. Certains hommes ne se reconnaissent pas dans les productions masculines actuelles, une femme avec trois mecs autour qui lui giclent dessus, ce n’est pas très attirant, même pour un homme. Le porno féministe est une alternative, c’est donc pour ça qu’il ne s’adresse pas qu’aux femmes.
D’ailleurs, au début des années 2000, Ovidie a réalisé Orgie en noir et Lilith pour Dorcel, un film plutôt engagé qui montrait une vision très forte de la femme. Il est revenu sur ses frais mais n’a pas voulu continuer.
Ce qui assez surprenant ! On sentait une effervescence un véritable engouement voici quelques années, avec X femmes notamment, qui semblent aujourd’hui être complètement à plat.
C’est pourtant le moment d’y aller. Elles n’ont rien à perdre. Mais il se pose le problème du financement. Une production de porno féministe coûte cher. Erika Lust, une réalisatrice suédoise dépense pour chaque film, entre 50 et 75 000 euros. Ce qui se situe dans une tranche assez haute pour du film X. Mais ses tournages durent plusieurs jours, voire plusieurs semaines alors que pour un film traditionnel, en 3 jours c’est plié, au nom de la rentabilité. Le retour sur investissement est minime mais permet d’investir pour le prochain film. Elle réussit à en vivre. Ce sont des films de qualité qui intéressent. Le public peut aussi être prêt à payer pour avoir du porno de qualité.
En quoi la pornographie peut-elle être un vecteur d’émancipation pour la femme ?
En sortant du carcan moraliste et conservateur qui règne. Le porno peut aider à dissocier amour et sexualité, ce qui n’est pas le cas actuellement. Le porno féminin, c’est revendiquer sa sexualité, mettre en avant le fait d’être une femme. Un mec qui a différentes conquêtes est un Don Juan, mais une femme c’est une salope. Il faut sortir de ces clichés ! Petit à petit, les choses évoluent. Le but est d’arriver à une égalité et le cul est une des manières, parce qu’il y en a plein d’autres, d’arriver à cette égalité. La pornographie est selon moi, un moyen pour parvenir à plus d’égalité.
> Féminismes et pornographie, David Courbet, L’attrape-Corps, La Musardine, octobre 2012.