Asile : « des histoires sous le bras »

Asile : « des histoires sous le bras »

Asile : « des histoires sous le bras »

Asile : « des histoires sous le bras »

30 mai 2011

Dans un album réaliste et plein d'humour, Etienne Gendrin raconte le quotidien de mineurs demandeurs d'asile, originaires des quatre coins du monde. Pendant de longs mois, à Strasbourg, il a écouté leur histoire, recueilli leur témoignage et partagé des moments intenses. Entretien.

Etienne Gendrin n’avait pas encore publié de bande dessinée. Pour sa première, il n’a pas choisi le sujet le plus rassembleur : le droit d’asile. Dans un album facile d’accès et très renseigné, ce Mulhousien raconte l’histoire de quatre mineurs qui ont dû fuir leur pays et leur famille. Isolés, arrivés seul en France, ces demandeurs d’asile tentent de refaire leur vie.
Avec humour, précision et pédagogie (le lecteur appréciera les repères historiques et politiques ainsi que les précieuses cartes), Etienne Gendrin a mis en image des témoignages poignants, parfois déroutants. Un travail qui lui a pris neuf mois au total. Lui-même présent dans la BD, l’auteur angoissé croise les histoires de Roberto l’Angolais, Vartan le Russe, Suthakaran le Tamoul et d’Abdula, venu d’Azerbaïdjan.
Entretien avec un auteur déterminé, à qui l’on a collé une étiquette d’auteur engagé qu’il ne cherchait pas forcément.

Pourquoi vous êtes-vous intéressé à un tel sujet ?

C’est le sujet qui m’est un peu tombé dessus. Un ami, Christophe, en formation d’éducateur, a voulu lancer un atelier BD avec des jeunes placés au Foyer du Jeune Homme à Strasbourg. Avec des jeunes en difficulté et des jeunes étrangers demandeurs d’asile. L’atelier BD n’a pas fonctionné, les mineurs, demandeurs d’asile n’étaient pas vraiment réceptifs. Ce n’était pas la bonne méthode. Par contre, l’échange, la discussion autour de leur histoire leur a plu. En tout cas, ils ont pu avoir lieu. Je suis reparti avec des histoires sous le bras.

Aviez-vous la volonté de faire une BD engagée ?

J’essaie de faire passer un message, d’offrir au lecteur une porte d’entrée sur ce sujet. Au début, le sujet ne m’intéressait pas trop, c’est ce que j’explique dans l’album. Et surtout, au départ, je ne croyais pas que ça ferait l’objet d’un livre, que ca pourrait intéresser le public. Une fois ce cap franchi, je n’étais pas sûr non plus de pouvoir convaincre un éditeur…
J’y allais donc un peu à reculons. Mais, je pense que finalement c’est une bonne manière de s’ouvrir au lecteur qui n’est pas engagé sur ce sujet. Lui dire, "moi non plus au début, ça ne m’intéressait pas trop". C’est un peu ce cheminement que j’avais envie de montrer.

Quelle était votre envie en traitant un sujet comme celui-ci ?

Mon envie, c’était plutôt une crainte : que cette BD arrive uniquement dans des mains de personnes déjà convaincues par la réalité et la difficulté des situations des demandeurs d’asile. C’est bien, et heureusement qu’il y en a, mais le pari du livre, c’est que quelqu’un qui, a priori, n’est pas convaincu ou est indécis sur ce sujet, trouve des renseignements. Qu’il puisse lire la BD dans sa totalité, sans avoir un ton engagé à toutes les pages qui lui dise ce qui est bien ou mal. C’est le livre d’un auteur qui a fait une enquête.
J’ai ouvert une petite lucarne, peut-être que le lecteur voudra en savoir plus après avoir lu cette BD. Un peu comme ma démarche personnelle sur ce sujet. J’en sais plus aujourd’hui. La BD a été utile pour moi. Je suis plus engagé qu’au début.

Quel a été votre sentiment après vos rencontres avec les demandeurs d’asile?

Ils étaient adolescents, donc souvent, je venais en ayant la pêche, en me disant "je vais raconter une belle histoire". Mais souvent, j’étais renvoyé dans les cordes. Ils m’ont un peu refroidi, sur certaines questions. Ils me disaient : "Non, ça je ne t’en parle pas", ou ils bottaient en touche. Je les ai trouvés très dignes, ils savent raconter leurs histoires avec des faits précis, mais quand je leur demandais leur ressenti, que ça touchait à l’intime, j’étais remis à ma place. Certaines fois, il fallait deux ou trois semaines, ou plus, pour refaire l’interview. Mais ça n’était jamais conflictuel.
Par exemple, Suthakaran ne comprenait pas qu’on veuille faire un tel projet sur sa vie. Je comprends que ça les ait embêtés de raconter leur histoire, ils l’ont déjà fait à de nombreuses reprises avec l’administration.

Qu’est-ce qui vous a le plus marqué dans ces histoires ?

Que ces jeunes me fassent suffisamment confiance, pour me livrer certains détails, me raconter leur parcours. Que cette confiance se soit créée, par exemple avec Vartan, qui a été très enthousiaste. Il trouvait chouette de faire ça sous forme de BD.
Abdula m’a aussi beaucoup touché puisque c’est lui qui est venu me voir en me disant "moi aussi je veux raconter mon histoire". Il avait 16 ans !

« Je me suis interrogé sur ma légitimité pour poser ces questions »

Vous consacrez un "petit" chapitre à vos doutes durant tout le projet. Même lorsqu’il était déjà bien avancé, vous vous êtes interrogé…

J’ai eu des doutes à différents moments lors de la réalisation des interviews. Au début du projet, il s’agissait de faire une exposition, avec deux témoignages de demandeurs d’asile. L’expo a eu lieu. Ensuite, je ne savais plus si je devais continuer. Et quand on doute trop, on n’avance plus. Je pense que ça vient du sujet, je ne le trouvais pas "sexy". Je n’osais plus appeler les personnes pour continuer à enrichir mon propos. Je me disais : je ne suis pas engagé dans une association, quelle légitimité j’ai pour poser mes questions ? Comment ces associations, qui ont les mains dans le cambouis, vont-elles réagir ?
J’avais aussi du mal à revenir à mes notes après avoir recueilli les propos des mineurs. Quelques mois après, je me rendais compte que ça pouvait donner quelque chose de bien. Il y a eu une période de maturation pour savoir quel angle aborder, comment faire la séquence en BD, etc.

Est-ce difficile de raconter ces histoires sombres sans tomber dans le misérabilisme ?

Non. D’abord, parce que, même s’ils me racontaient des histoires personnelles très dures, je ne me rendais pas vraiment compte de ce que ça signifiait. On partageait surtout des mots, un peu d’émotions, mais ils étaient finalement assez réservés.
La difficulté, c’était surtout de savoir comment j’allais le raconter. Par exemple, comment parler du voyage de Roberto, d’Angola en France, son passage à la douane avec une fausse identité.
J’ai aussi pris des “paravents”, avec l’humour et la narration : comment raconter techniquement ces histoires ? Je me suis protégé.

Vous vous êtes beaucoup mis en scène dans l’album…

La première fois que j’ai montré mes textes à Marie Moinard, l’éditrice, elle m’a dit qu’il fallait que je fasse le lien entre les différentes interviews. C’était un peu trop froid. J’ai donc ajouté pas mal de cases où je parle de mon ressenti. C’était un bon conseil, ça permet au lecteur de savoir ce que produisent les histoires sur l’auteur.

Vous utilisez beaucoup l’humour pour traiter un sujet difficile. Est-ce pour ne pas effrayer le lecteur ?

J’ai lu des bandes dessinées sur les sans papiers et j’avais souvent l’impression d’ouvrages un peu noirs, tristes. J’avais une peur : tomber dans le pathos. Du coup, j’ai aussi parlé de choses qui se sont passées pendant les interviews, de nos fous rires. J’ai voulu montrer que ce sont des gens comme les autres, qu’ils peuvent rigoler, même s’ils ont un lourd vécu.
De toute façon, j’ai un rapport au réel qui est davantage dans la distanciation par l’humour. Je l’utilise souvent. C’est aussi ma façon de parler d’un sujet grave.

Finalement, cette BD n’est pas noire mais plutôt optimiste…

C’est un de mes objectifs. Le livre délivre un message assez positif. J’avais une idée fixe : respecter ce que j’avais vu et entendu, ne pas trahir leurs propos, leurs attitudes. Au sein de ce foyer, il y avait une bonne ambiance. C’était un mélange entre des jeunes passés devant le juge et des mineurs demandeurs d’asile : un mélange de culture détonnant qui fonctionnait bien.
Pour preuve, les jeunes du foyer en situation difficile considèrent les demandeurs d’asile comme des modèles. Ils l’ont dit plusieurs fois à l’éducateur. Ca m’a étonné. C’est pour cela que je termine la BD avec cette anecdote : l’un des jeunes prend Vartan en exemple. Il se rend compte qu’il faut qu’il saisisse sa chance, comme ce demandeur d’asile a su le faire. Roberto, Vartan, Suthakaran et Abdula sont des gens très motivés.

Qu’est-ce que ce projet a changé dans votre travail ?

Dans ma vie d’auteur, ce travail m’a fait découvrir une chose : partir du réel pour raconter une histoire. Avant, je venais davantage de la fiction, j’avais travaillé sur un polar, sur des scénarios pour mes études. Là, pour la première fois, je suis parti d’un témoignage, et ça m’a vraiment plu.

Allez-vous poursuivre dans ce registre ?

Probablement, mais ce ne sera pas dans le prochain album. Je ne veux pas rester uniquement dans la case “auteur engagé”. J’ai besoin de faire une pause. Au niveau artistique, j’ai envie de traiter des sujets moins graves.
Je travaille actuellement sur Comment nourrir un régiment ? Je raconte avec des recettes de cuisine et des gags, comment ma grand-mère a nourri ses dix enfants. Elle va témoigner et raconter plus de soixante-dix ans de cuisine, de 1940 à aujourd’hui. Ensuite, je reviendrai vers des sujets plus sociétaux.

 

Droit d’asile, Etienne Gendrin, Éditions Des ronds dans l’O, avril 2011.