«Anonymous, un label plus qu’un groupe»

«Anonymous, un label plus qu’un groupe»

«Anonymous, un label plus qu’un groupe»

«Anonymous, un label plus qu’un groupe»

30 janvier 2012

Depuis la fermeture de Megaupload, le piratage et le groupe de hackers des Anonymous font la une des journaux. On en parle même au 20 heures ! Les Anonymous ont beau occuper le devant de la scène, on se pose toujours autant de questions sur eux. Sur le piratage et ce qu'il signifie aussi. Citazine a demandé des explications à Etienne Rouillon, journaliste, auteur et réalisateur avec Sylvain Bergère du documentaire Pir@tage.

Le 19 janvier dernier, le site de partage de fichier Megaupload était fermé par les autorités américaines, ses fondateurs arrêtés par la police, accusés de piratage et de violation des droits d’auteurs. Immédiatement, l’opération #Opmegaupload est lancée par le groupe de hackers Anonymous. Plusieurs attaques par déni de service, inaccessibilité temportaire d’un site, sont menées sur différents sites, notamment en France. Les sites de la justice américaine, Universal Music, de la Recording Industry Association of America, de la Motion Picture Association of America, de l’U.S. Copyright Office, de l’Hadopi, de l’Utah Chiefs Of Police Association, de la Broadcast Music Incorporated, de la Warner Music Group, du FBI et de Sony, mais aussi, le lendemain, du ministère français de la Justice et de l’Elysée sont bloqués. Toutes ces attaques sont revendiquées par Anonymous. Ce week-end, certains d’entre eux sont sortis de l’ombre, même masque, même cravate. Pourtant, les Anonymous forment-ils une véritable unité et un même front contre la fermeture de Megaupload notamment ?

Un article sur les différents piratages d’Anonymous suite à la fermeture de Megaupload titrait : « La cyberguérilla est déclarée ». Qu’en pensez-vous ?
C’est un joli terme pour les unes de journaux… Ce terme de cyberguérilla me gêne parce qu’il calque des termes du réels sur un monde virtuel. On peut parler de cyberaction ou cybersoulèvement. Mais de là à appeler ça une guérilla non. C’est aussi tout le problème quand on essaie de parler d’Anonymous et de traiter de ce qui se passe actuellement. Bloquer un site Internet, c’est tout de même quelque chose qui maintenant est accessible à n’importe qui. On peut l’apprendre en deux temps trois mouvements et, au final, cela n’a pas d’incidence très lourde. Bloquer l’Hadopi ce n’est tout de même pas comme bloquer Facebook ou Twitter. Personne ne va sur le site de l’Hadopi au quotidien. Comme bloquer le site d’un ministère. Ces sites ne sont pas des gros points de passage sur Internet. Ce sont des symboles, oui, mais du point de vue de l’efficacité pratique du blocage, pas sûr que ça en ait vraiment.

Et difficile de savoir qui se cache derrière.

C’est vraiment le problème avec Anonymous. On me demande souvent si j’ai des contacts avec Anonymous. Je n’en ai pas. Pas parce que je n’en ai pas cherché. Mais ce qui fait la force d’Anonymous c’est l’anonymat, c’est qu’on ne sait pas qui est derrière. Et moi, en tant que journaliste, tant que je ne sais pas qui est derrière ce masque, je ne peux pas prêter une pleine confiance à mon interlocuteur. Quand on a fait le documentaire, Anonymous n’était pas encore connu. C’était un groupe qui existait, qui était assez restreint. Il n’y avait pas encore le « label » Anonymous en tant que tel. Pour moi, c’est un label d’actions, ce n’est pas un groupe. C’est une sorte de « rubriquage » d’actions sur Internet. C’est un label de hacking. Tout le monde peut s’en réclamer et c’est très compliqué de savoir qui est derrière le masque.

Rien n’est "imblocable"

S’ils ne sont pas un groupe mais un label, sont-ils capables de s’identifier entre eux ?

Non, même entre eux, ils ne se reconnaissent pas forcément. Il y a d’ailleurs eu de très gros débats et des bisbilles en interne. C’est un groupe qui existe depuis longtemps même si le décollage est récent. Beaucoup de groupes réels se sont servis de l’image d’Anonymous pour rentrer dans un moule plus grand et devenir moins visibles.

Prenons l’exemple des nombreux sites en déni de service. Certaines personnes qui se réclamaient d’Anonymous ont menacé de fermer Facebook si Megaupload n’était pas remis en service. Rien n’est "imblocable", certains d’entre eux sont capables de le fermer. Mais je ne crois pas qu’Anonymous veuille faire du tort aux utilisateurs. Et fermer les réseaux sociaux me semble aller à l’encontre des idées d’un groupe qui, un an avant, lors des soulèvements arabes, a permis l’accès à Facebook. A tel point que tout le monde a crié à la révolution Facebook, à la révolution Twitter. Il me paraît antithétique que maintenant ils les ferment. Ceci n’est pas très cohérent, et c’est le gros problème d’Anonymous, parce qu’il y a des tas de personnes très différentes qui se cachent derrière ce masque.

Depuis le hacking des années 80 à aujourd’hui, de quelle manière a évolué la pratique ?

Ce qui est sûr, c’est que le hacking à la base, ce sont des passionnés d’informatique qui veulent en faire plus avec leur machine que ce que leur vendent les constructeurs. Au départ, c’est pousser la machine vers des performances que mêmes les constructeurs n’avaient pas envisagées. Ensuite, les machines ont été bridées, le hacking consistait alors à les débrider. Une évolution donc très liée à l’évolution technique. Le champ d’action consistait encore à faire évoluer les machines. Ce qui a changé depuis peu, peut-être depuis la fermeture de Napster. Certains se sont dit : « Attention, la porte sur le monde, cette fenêtre qu’est Internet, on est en train de la transformer en sorte de télé interactive. » Ces mêmes personnes ont décidé de ne plus brider les machines mais plutôt les espaces auxquels on peut accéder. D’où la fermeture de Napster ou de Megavidéo. Et c’est ce qui a frustré beaucoup d’utilisateurs. Il n’y a pas de radicalisation technique. Parce que dans les années 90, il y a eu des productions de virus désastreux et des pirates, comme Kevin Mitnick, très radicaux dans les méthodes qu’ils employaient. Aujourd’hui, je crois que c’est un peu plus réfléchi. Selon moi, le piratage est redevenu un outil pur. Ce sont des techniques, qui sont employées par des gens qui ont des idées, des convictions à défendre, qui ont des prises de positions, louables ou non. Le piratage est un outil qui permet de défendre les idées. Actuellement, l’utilisation du piratage est beaucoup plus pragmatique.

C’est-à-dire que ce n’est pas le piratage ne qui s’est pas radicalisé mais le discours politique des pirates ?

Il y a de ça… Mais aussi beaucoup de personnes qui font de grandes avancées dans le piratage sont perçues comme des grands défenseurs des libertés. George Hotz était gamin quand il débridait les téléphones d’Apple. Il a fait ça par pur défi. Son idée n’était pas de défendre un accès libre aux machines. L’idée, c’était seulement « la machine est bridée, je la débride ». Ensuite, il y a une caisse de résonnance chez les utilisateurs qui pensent que ce type était le héros de la défense de la libre utilisation des machines. C’est un gamin très doué dont les actions ont eu une caisse de résonnance qu’il n’a pas voulue.
C’est pourquoi je suis très prudent avec cette idée de politisation du hacking. J’en ai rencontré pas mal pour le reportage, notamment des figures tutélaires, ce n’est pas ce qu’ils disent. J’ai d’ailleurs posé cette question concernant la politisation des pirates à Steven Levy qui est l’un des premiers journalistes à avoir parlé du piratage. Il me disait que ce qu’ils font est fondamentalement politique mais eux ne sont pas politisés. C’est peut-être en train de changer, mais on n’a pas encore assez de recul pour l’affirmer. En tout cas, leurs actions ont une résonnance politique, c’est certain. Eux sont plutôt libertarien, hors de la société, sans contrat social. Dans l’histoire du hacking, on ne trouve d’ailleurs aucune figure populaire dont le discours serait démocratique. Mis à part les tenants du logiciel libre.

Hacking = piratage

Existe-t-il une différence entre le piratage et le hacking ?

Au fond, il n’y a pas de différence entre le hacking et le piratage. Ce sont des termes choisis par des observateurs, des personnes extérieures. Le travail d’Anonymous, ou affilié à Anonymous, pendant le Printemps arabe a été salué par beaucoup comme une avancée vers la liberté d’expression et une sauvegarde des droits fondamentaux. Mais quand des gens estampillés Anonymous font la même chose dans des pays occidentaux, d’un coup les personnes qui louaient le travail de débridage d’Internet dans les pays arabes, sont offusquées. On parle de hacking concernant les soulèvements arabes, mais on parle de piratage quand le site de l’Hadopi est en déni de service.

En fait, le hacking, c’est du piratage qui a bonne réputation ?

Techniquement, le hacking c’est la même chose que le piratage. Effectivement, on parle de piratage pour des choses qui nous semblent moins louables. Mais c’est vraiment une question de perspective et de point de vue. Prenons l’exemple de Napster. Quand le site a fermé en 2001, tout le monde s’accordait à dire que c’était la lie de ce qu’avait pu produire Internet, que ce site aurait tué l’industrie du disque et tout le monde se félicitait de sa fermeture. Aujourd’hui, on sait que sans Napster, il n’y aurait pas eu iTunes. Parce qu’on n’aurait pas forcément eu l’idée et parce que le grand public n’aurait pas été sensibilisé à l’idée qu’on peut écouter de la musique dématérialisée. Une plateforme comme Napster a formé des usages de consommation, tout comme Megavideo et MegaUpload. Si les majors sont intelligentes, elles vont réussir à récupérer ses usages puisque maintenant, il y a un marché. Napster comme Megavideo montrent que les marchés naissent dans des cadres qui ne sont pas tout à fait légaux. Il faut laisser le temps de recul pour se rendre compte des possibilités.

Le piratage et les Anonymous peuvent-ils peser dans l’élection présidentielle ?

De fait, c’est déjà le cas. l’Elysée se fend quand même d’un communiqué en pleine nuit, suite à la fermeture d’un site comme Megauplaud. En réaction aussi à la position de François Hollande sur la fermeture possible d’Hadopi après la présidentielle. Les politiques ont intégré Internet dans la campagne : faut-il labelliser un espace libre sur Internet, juguler Internet ? Ce genre de thèmes s’est invité, plus que le piratage d’ailleurs. Quant à la présence d’Anonymous dans la campagne, on verra dans les semaines à venir. S’ils mènent une grosse action comme donner un accès gratuit à tous les catalogues des labels de musique par exemple. Mais ce type d’opérations dépend des capacités techniques des gens prêts à se lancer là-dedans. Les pirates capables de faire ça auront-ils envie de se lancer là-dedans ? Ce n’est vraiment pas certain.
N’importe quel groupe peut mettre un site en déni de service, mais mener une action de plus grande importance, de plus longue durée, ceux qui en ont les capacités techniques, n’ont pas forcément envie de mener ces opérations. Les actions font suite à la fermeture de Megavidéo, et Anonymous a une vision très divergente et très hétérogène sur le sujet. Kim Dotkom n’a pas une réputation extraordinaire dans le milieu des pirates. C’est quand même un type qui a fondé sa boîte sur des arnaques successives et qui a un profil atypique. Ce n’est ni un philanthrope ni un humaniste, il est là pour faire du business. Le format de Megavideo était très efficace pour les utilisateurs. Mais d’un point de vue éthique et moral, c’est autre chose. Et ça résume bien ce qui se passe en ce moment chez les Anonymous, il n’y a pas de voix convergentes et unies sur la question.

 

La bande annonce de Piratage, un film documentaire de France 4, avril 2011 :