« Amal, un esprit libre », déclassement religieux

« Amal, un esprit libre », déclassement religieux

« Amal, un esprit libre », déclassement religieux

« Amal, un esprit libre », déclassement religieux

Au cinéma le 17 avril 2024

Enseignante à Bruxelles, Amal encourage ses élèves à s'exprimer librement. Mais lorsque sa méthode pédagogique heurte certains de ses élèves, le lycée s'embrase sous la pression d'extrémistes religieux. Malgré les spécificités du contexte belge, Amal, un esprit libre fait évidemment écho à l'actualité française et ses drames. Par sa justesse, le film de Jawad Rhalib fait le constat brut à la portée universelle de la fragilité d'un système éducatif face à la déstabilisation démocratique d'extrémistes religieux.

Passionnée par son métier, Amal (Lubna Azabal) enseigne dans un lycée bruxellois avec des méthodes pédagogiques audacieuses. Lorsqu’elle découvre que Monia (Kenza Benboutcha), une élève de sa classe, est victime de harcèlement homophobe, elle décide de faire découvrir à sa classe un auteur musulman homosexuel.

Cette initiative de la professeure, elle-même musulmane, choque une poignée d’élèves dans sa classe. Amal doit rapidement affronter la colère de parents qui se plaignent à la direction. Une situation que l’attitude ambiguë de Nabil (Fabrizio Rongione), le prof de religion des élèves, vient envenimer. Devant l’embarras de la directrice à traiter le problème, la situation se dégrade et Amal se retrouve peu à peu isolée et menacée.

Amal, un esprit libre © photo Scope Pictures, Serendipity Films UFO Distribution

Un tollé rance

Cinéaste belge, Jawad Rhalib réalise des documentaires et des fictions traversées par les sujets de la liberté d’expression et de l’affirmation personnelle. Lors de la sortie de son documentaire Au temps où les Arabes dansaient (2018), le réalisateur assiste à des projections gratuites organisées pour un public scolaire. Il ressort fortement troublé par la misogynie et l’homophobie exprimées par certains élèves.

Marque d’un obscurantisme inquiétant, certains jeunes soutiennent alors que des activités telles que la musique, la lecture ou la danse sont selon eux illicites. Une opinion forgée aux discours familiaux et parfois à la mosquée. Avec le harcèlement d’une élève supposée lesbienne par ses camarades puis la défiance envers une professeure, Amal, un esprit libre interroge les mécanismes du rejet de l’autre. Et la grande difficulté pour l’encadrement éducatif à contrer ses ravages.

Amal, un esprit libre © photo Scope Pictures, Serendipity Films UFO Distribution

La menace fantôme

Les éléments perturbateurs ne sont ici pas des garçons barbus ou des filles voilées. Une façon pour Jawad Rhalib d’éviter l’association facile et parfois trompeuse entre choix vestimentaire et convictions extrémistes, même si l’un n’empêche évidemment pas l’autre. Éviter le cliché, y compris pour Nabil, le professeur de religion, permet également de questionner une pression parfois insidieuse.

Avec son costume-cravate, on pourrait dire de Nabil, dans d’autres circonstances, qu’on lui donnerait le bon Dieu sans confession. Avec son discours ambigu sur la liberté de pensée qu’il faudrait accorder aux élèves – y compris donc être homophobes, le professeur appelle à relativiser le harcèlement subi par Monia. En paraissant ouvert et sympathique, Nabil incarne ces convertis parfois aisément manipulables et plongeant dans la radicalité.

L’enseignant sournois voit sa posture renforcée par une particularité nationale. En Belgique, les cours de religion sont en effet obligatoires et leurs professeurs sont nommés par un organe exécutif. Libres du contenu de leurs cours, l’enseignement public n’a pas son mot à dire. Une pratique actuellement remise en question qui pourrait s’achever à la rentrée 2024 avec des cours qui deviendraient optionnels.

Amal, un esprit libre © photo Scope Pictures, Serendipity Films UFO Distribution

Faire classe

Dans la tourmente, Amal doit affronter la fronde de certains élèves et de leurs parents mais aussi de son collègue Nabil qui met de l’huile sur le feu. En pensant résoudre le problème de harcèlement de la jeune Monia, l’intolérance de certains se retourne contre elle et elle devient une cible. Amal, un esprit libre décrit avec précision les engrenages de la haine et de la défiance : de l’embrasement des réseaux sociaux à l’isolement de Monia et d’Amal.

En classe, Amal déclenche l’incompréhension et la colère de certains élèves en abordant Abū Nuwās, un poète arabo-musulman homosexuel et adepte de vin. Pourtant, le cinéaste se souvient avoir étudié à l’époque cet auteur désormais disparu des bibliothèques sans que cela ne pose problème. Si l’homophobie n’est pas l’apanage de la religion musulmane, comme le prouve les évêques de France, ni même d’une religion en particulier, le cinéaste utilise ce sujet pour marquer une crispation et l’impossibilité de maintenir une certaine unité pour faire classe.

Entre gêne et parfois naïveté de l’encadrement éducatif, Jawad Rhalib décrit parfaitement le flottement – en France on parlerait d’absence de vagues – qui permet à la situation de glisser vers le chaos. Au fil de cet emballement qui devient violent, on pense évidemment aux meurtres abjectes de Samuel Paty et Dominique Bernard. Emportée par la tempête, la directrice de l’école (Catherine Salée) est dépassée et fataliste. Il flotte un sentiment d’abandon d’une grande actualité qui fait également écho de ce côté de la frontière.

Amal, un esprit libre © photo Scope Pictures, Serendipity Films UFO Distribution

Not in my name

Sans aucun doute, l’extrême droite ne manquera pas de citer et détourner Amal, un esprit libre pour l’intégrer dans sa propagande à l’instar de tout sujet de société sensible. Dans le climat ambiant, difficile de ne pas se sentir oppressé entre la poussée inquiétante de l’extrême droite et les ravages de l’extrémisme religieux. Être les deux, peu de place pour la nuance dont fait preuve le film de Jawad Rhalib.

En évitant les clichés et en décrivant avec une précision chirurgicale l’engrenage de la haine et l’intolérance, Amal, un esprit libre réussit cet équilibre délicat. Le face à face idéologique entre Lubna Azabal et Nawal Marwan, tous deux excellents dans leur rôle, pose la question de la place de la religion au sein de l’espace public. Avec son personnage de professeur musulmane le film ne cible pas l’islam comme problème en soi et invite à un raisonnement plus large.

Le cinéaste réaffirme que les musulmans n’ont pas à s’excuser d’être musulmans, et encore moins à rendre compte d’attentats réalisés soit disant au nom de leur religion. La question du détournement des écrits religieux est cependant ce qui se joue dans l’affrontement entre Amal et une vision radicale de la religion qui en détourne ses messages. Et en ce sens, le salut ne peut venir que des croyants, peu importe la religion. Chacun étant responsable de l’évolution de sa propre religion vers plus de tolérance ou d’un retour en arrière mortifère.

Amal, un esprit libre © photo Scope Pictures, Serendipity Films UFO Distribution

Célébration lumineuse de l’enseignement de la culture comme ouverture en monde, Amal, un esprit libre trace une voie claire au cœur d’un sujet sensible trop souvent manipulé par deux extrémismes saboteurs de la cohésion démocratique. Drame inquiet, le film de Jawad Rhalib est porté par sa croyance en la force de l’éducation face à l’obscurantisme et invite au recul nécessaire face aux textes sacrés interprétés par des humains faillibles.

> Amal, un esprit libre, réalisé par Jawad Rhalib, Belgique, 2024 (1h51)

Amal, un esprit libre

Date de sortie
17 avril 2024
Durée
1h51
Réalisé par
Jawad Rhalib
Avec
Lubna Azabal, Fabrizio Rongione, Catherine Salée, Kenza Benbouchta, Ethelle Gonzalez-Lardued, Johan Heldenberg, Babetida Sadjo, Mehdy Khachachi
Pays
Belgique