Lorsque sa grand-mère tombe gravement malade, Camila (Nina Dziembrowski) doit déménager à Buenos Aires avec sa mère et sa petite sœur. Pour l’adolescente, le changement est radical car elle quitte son lycée public pour découvrir l’atmosphère pesante d’une école privée religieuse très conservatrice.
Dans ce milieu très hostile, Camila rencontre Clara (Maite Valero), une camarade de classe qui cache un secret. Avec d’autres filles du lycée, elles s’apprêtent à mener une bruyante révolution qui va ébranler la poussiéreuse institution.
Ado essence
Après un détour du côté de la série documentaire, Inés María Barrionuevo revient au sujet de prédilection de ses films : l’adolescence. Avec ce nouveau film, la cinéaste argentine sort de sa zone de confort et de l’écriture « en famille », isolée avec son compagnon et ses chats, en collaborant pour la première fois avec Andrés Aloi.
Avec le thème du harcèlement en tête, elle donne corps à Camila, 18 ans, propulsée dans un établissement à l’état d’esprit beaucoup plus strict que l’école qu’elle a dû quitter bien malgré elle. Au cœur du film, Camila est l’étincelle qui vient libérer une parole au sein d’un environnement sclérosé qui n’attendait que ça. Du moins du point de vue des laissés pour compte étouffant dans ce système aux cases trop rigides.
Étincelle
Avec son titre qui sonne comme un avertissement, Camila sortira ce soir capte avec justesse l’urgence de l’adolescence et ses prises de risque inspirées par une tornade de sentiments plus ou moins incontrôlables. En arrivant à Recoleta, l’un des quartiers les plus riches de Buenos Aires, Camila est confrontée à un monde inconnu. Dans cette institution très stricte, elle ne tarde pas à se sentir à l’étroit et surtout mal à l’aise.
Dans l’œil du cyclone adolescent, Camila s’entoure de celles et ceux, à la marge pour une raison ou une autre, qui partagent son combat contre le harcèlement et l’institution. Leur mot d’ordre général : ne surtout pas se soumettre à un système vécu comme injuste et intolérant. Dans ce microcosme scolaire hostile, la découverte du secret bien gardé de Clara est une bouffée d’air inspirante.
Coming out
La révolution menée par Camila est en effet exaltée par la relation qui se noue avec la troublante Clara. En devenant très proche de sa camarade, l’adolescente solaire explore le frisson de la découverte mais se heurte rapidement aux règles – tacites ou non – de l’établissement. Elle découvre un environnement hostile à toute « fantaisie » s’éloignant d’un règlement aussi strict que Camila est libre. Évidemment, la situation ne tarde pas à devenir explosive.
Si la relation entre les deux camarades est au cœur de l’intrigue du film pour son rôle de détonateur, Camila sortira ce soir ne saurait se résumer à un film « coming of age » lesbien. Déjà parce que Camila comme Clara semble être bi ou du moins en pleine découverte de ses préférences sexuelles. Mais surtout le ton du film leur permet d’être ce qu’elles veulent, sans se soucier des étiquettes.
De la même façon, le film n’est pas focalisé sur la dénonciation du harcèlement homophobe que subit Camila ni sur l’incapacité de l’institution à y faire face. Inés María Barrionuevo mène à travers son objectif un combat plus large englobant le conservatisme d’un patriarcat tout puissant qui s’arrange bien des dogmes religieux rétrogrades.
Generation-elle
Si Camila refuse de se cacher pour vivre sa relation avec Clara, la révolution dans laquelle elle mène ses troupes pour faire trembler les fondations de l’établissement vise au-delà de la défense des droits LGBTQIA+. Sincère et joliment racontée, la relation entre Camila et Clara ne saurait être considérée comme un prétexte mais elle est qu’une des pierres de ce film qui invite joyeusement à renverser la table.
Au détour d’une tendre conversation entre Camila et sa mère, Inés María Barrionuevo dévoile son intention de capter l’état d’esprit d’une génération. La cinéaste est manifestement admirative de ces jeunes femmes qui ne laissent plus rien passer.
Son film traite ainsi dans le même élan de liberté aussi bien du harcèlement homophobe que du droit à l’avortement. Des combats unis dans la même logique visant à terrasser une emprise réactionnaire qui tente, d’où qu’elle provienne, de dicter sa loi sur les corps.
Film lumineux, Camila sortira ce soir joue de cette émancipation adolescente en changeant au fur et à mesure symboliquement sa palette de couleurs. Aux couleurs ternes de l’institution religieuse, Camila apporte progressivement dans son sillage turbulent des couleurs vives qui représentent au choix, l’amour, le désir ou tout simplement la tolérance. Comme pour réaffirmer une valeur que la religion brandie comme excuse aux lois de l’établissement est censée défendre.
De la grisaille réactionnaire au spectacle de poitrines baignées de lumière revendicatrices d’une liberté non négociable, Camila sortira ce soir est un film qui enthousiasme pour son militantisme adolescent. Un vivifiant message d’espoir pour un monde moins renfermé sur ses certitudes asphyxiantes.
> Camila sortira ce soir (Camila saldrá esta noche), réalisé par Inés María Barrionuevo, Argentine, 2021 (1h43)