« La salle des profs », explosion en plein vol

« La salle des profs », explosion en plein vol

« La salle des profs », explosion en plein vol

« La salle des profs », explosion en plein vol

Au cinéma le 6 mars 2024

Professeure dans un collège, Carla Nowak mène l'enquête sur une série de vols en salle des profs. Tout l'établissement se retrouve rapidement ébranlé par ses découvertes. Phénomène en Allemagne, La salle des profs a déclenché de nombreux débats au sein de la société. Un impact logique pour ce thriller scolaire volontairement insoluble qui manipule, au-delà du monde éducatif, les thématiques sensibles du vivre-ensemble, de la confiance et de la vérité.

Lorsque de l’argent est subtilisé dans un portefeuille laissé sans surveillance dans la salle des profs, l’équipe éducative du collège tente de trouver le coupable. Dénoncé par deux élèves de sa classe, Oskar Kuhn (Leonard Stettnisch) est rapidement suspecté d’avoir commis le vol.

Sensible aux dénégations de ses parents, Carla Nowak (Leonie Benesch), sa professeure, doute de la culpabilité du jeune élève. Sans en parler à personne, elle décide de tendre un piège pour confondre le véritable voleur. Et ce qu’elle découvre la place dans une position très inconfortable. Sans le savoir, la jeune enseignante s’engage dans un engrenage qui va semer le chaos dans l’établissement.

La salle des profs © photo IF... PRODUCTIONS FILM GMBH - Tandem Films

Dérobade

Élève en Allemagne jusqu’en cinquième, le réalisateur Ilker Çatak a terminé sa scolarité à Istanbul où il a déménagé avec ses parents à l’âge de 12 ans. La salle des profs se nourrit des souvenirs de ses proches liés au monde de l’éducation et de son expérience des différences entre les deux systèmes scolaires. Le cinéaste se souvient notamment de vols à répétition qui ont eu lieu dans son établissement. Les garçons d’une classe ont alors été nommés de déposer leur portefeuille sur la table pour inspection.

Ce souvenir scolaire est le point de départ ayant inspiré le film. Le vol entre élèves est ici transposé à une série de larcins en salle des profs. Une manière de marquer une défiance envers l’autorité mais aussi d’appuyer un rapport différent aux élèves de la part de l’encadrement éducatif.

De nos jours, aller fouiller directement dans les affaires des élèves est inenvisageable. Pour avoir leur autorisation, les collègues de Carla mettent la pression avec un leitmotiv aussi simple qu’efficace : ceux qui n’ont rien à se reprocher n’ont rien à cacher. Une mécanique culpabilisante perfide qui désigne Oskar, rapidement dénoncé par deux petits camarades.

La salle des profs © photo IF... PRODUCTIONS FILM GMBH - Tandem Films

Traquenard

En désaccord avec la méthode de sa hiérarchie pour trouver l’identité du voleur, Carla commence à sérieusement douter lorsque les parents du coupable désigné s’insurgent contre l’accusation. La crainte de l’injustice s’installe et l’enseignante met en place un stratagème pour confondre le voleur qui opère en salle des profs. Mais ce qui part d’un bon sentiment porté par une certaine naïveté pour imposer la justice va semer le trouble dans l’établissement et se retourner contre elle.

En parallèle de cette enquête dont Carla perd rapidement le contrôle, La salle des profs expose les tensions qui parcourent le système éducatif. La mésaventure de Carla permet d’explorer les rapports conflictuels des profs avec les élèves, leurs parents et entre enseignants.

À l’ère des groupes WhatsApp entre parents d’élèves, Carla se retrouve piégée par des moyens de communication numérique qui vont très vite. Au risque de créer de l’incompréhension et du ressentiment. Un monde connecté où la parole circule vite et librement, avec ses inévitables distorsions.

La salle des profs © photo IF... PRODUCTIONS FILM GMBH - Tandem Films

Micro société

Avec sa mécanique implacable, La salle des profs se suit comme un thriller dont les enjeux et la trajectoire deviennent de plus en plus incontrôlables. L’enquête est prenante car ce petit monde du collège est un parfait miroir de la société. L’épreuve de Carla se déroule dans un microcosme qui possède ses propres dirigeants, sa presse – le journal des élèves qui s’en prend d’ailleurs lui aussi à Carla – et son peuple d’enfants.

La petite communauté éducative est secouée par les mêmes thématiques que la société allemande – et au-delà : le danger des fake news se mêle dangereusement à la cancel culture. Le tout porté par une volonté de découvrir une vérité menacée par l’écueil du bouc émissaire qui semble glisser entre les doigts de Carla, interprété avec une grande justesse par Leonie Benesch. Film sur le thème de l’éducation, La salle des profs est rapidement rattrapé par la transposition de cette micro société à l’ensemble d’un pays.

Cette lecture sociétale du film explique en partie la place qu’il a pris dans le débat public en Allemagne. Un intérêt qui lui vaut une nomination dans la catégorie Meilleur film international pour les Oscars. Si les profs, élèves ou leurs parents pourront y reconnaître les vertus et failles du système éducatif, le film ne cherche cependant pas à porter une critique sur le système d’éducation en Allemagne. Ni même à avoir un avis tranché sur l’épreuve traversée par son héroïne.

La salle des profs © photo IF... PRODUCTIONS FILM GMBH - Tandem Films

Sans issue

L’absence de résolution définitive à l’enquête de Carla peut décontenancer mais elle est totalement assumée. Cette sensation de flou se retrouve d’ailleurs dans le personnage de Carla, uniquement définie par son rôle de professeure. Rien n’est dévoilé de sa vie privée : logement, situation amoureuse… Elle n’existe que par ses réactions au sein de l’établissement et sa quête de justice, isolée dans sa quête de vérité.

Un portrait minimaliste qui permet l’identification mais aussi de faire basculer le film lorsque le doute s’installe. Le thriller éducatif renvoie alors le trouble ressenti à l’ensemble de la société. L’esprit du film d’Ilker Çatak réside dans cette incertitude malaisante qui pose plus de questions qu’elle n’apporte de réponse. La salle des profs se quitte avec le dilemme troublant d’une vérité vacillante. Un point de vue déroutant mais parfaitement en phase avec la fébrilité du monde actuel.

> La salle des profs (Das Lehrerzimmer), réalisé par Ilker Çatak, Allemagne, 2023 (1h39)

La salle des profs (Das Lehrerzimmer)

Date de sortie
6 mars 2024
Durée
1h39
Réalisé par
Ilker Çatak
Avec
Leonie Benesch, Michael Klammer, Rafael Stachowiak, Leonard Stettnisch
Pays
Allemagne