Fatima (Nadia Melliti), 17 ans, est la petite dernière d’une famille joyeuse et aimante. Bonne élève vivant en banlieue avec ses sœurs, elle découvre un tout nouveau monde lorsqu’elle intègre une fac de philosophie à Paris. Alors que débute sa vie de jeune femme indépendante de sa famille, elle questionne son identité.
Musulmane pratiquante, sa foi entre en conflit avec son attirance pour les femmes. Après une période de découverte avec des rencontres furtives, Ji-Na (Ji-Min Park), jeune infirmière, vient concrétiser cette attirance déclarée taboue selon les préceptes ancestraux de sa religion.
Sous le signe du rejet
Hafsia Herzi venait de terminer Tu mérites un amour (2019), son premier long-métrage en tant que réalisatrice autopsiant avec pudeur l’agonie interminable d’une relation toxique, lorsque l’adaptation du livre de Fatima Daas lui est proposée. La cinéaste se projette immédiatement dans cette histoire de jeune musulmane qui explore son homosexualité. Un portrait rare, pour ne pas dire inédit, dans le cinéma français.
La préparation du film, plus longue que celle accordée généralement aux productions françaises – Hafsia Herzi y tenait – n’a fait que renforcer la réalisatrice dans l’idée que le sujet devait être traité. Qu’ils soient professionnels ou rencontrés lors de casting ouverts aux amateurs, les aspirants acteurs et actrices ont parfois rejeté la proposition dès que le sujet de l’homosexualité a été évoqué.
Hafsia Herzi confie qu’elle ne s’attendait pas à autant de refus lors de la préparation du film. Motivés par la religion ou une éducation intolérante, ces révélateurs d’une homophobie qui reste très ancrée dans les esprits a nourri le sentiment d’injustice internalisé par l’héroïne du film, partagé entre sa foi et sa sexualité.
Le voyage intérieur
Avec cette adaptation du livre de Fatima Daas, impliquée dans le projet, Hafsia Herzi remanie le texte original pour en faire un drame sensible et d’une grande justesse. Hafsia Herzi conserve la pudeur du roman en mettant en scène une jeune fille taiseuse. Une absence d’oralité et de grandes déclarations qui convient au cinéma de la cinéaste qui sait capter les émotions à travers les regards et les silences. À ce jeu subtil, Nadia Melliti, prix d’interprétation lors du Festival de Cannes 2025 pour ce premier rôle au cinéma, et Ji-Min Park – remarquée dans le touchant Retour à Séoul (2022) sur le thème de l’adoption – lire notre critique, irradient de sincérité.
Tourné avec une petite équipe après de nombreuses répétitions en amont, La petite dernière bénéficie d’un naturel qui éclaire les visages, souvent filmés en gros plans, comme les gestes anodins qui en disent beaucoup. Les peaux qui se frôlent, se cherchent. La beauté de ce cinéma se dévoile dans des scènes d’une grande simplicité comme lorsque la mère de famille, fière et émue, accroche au mur le certificat du bac de Fatima. Les larmes sont ici aussi intenses et belles qu’elles sont rares, traces d’émotions libératrices trop longtemps retenues.
La seule explosion du film se déroule au début lorsqu’un camarade de la classe de Fatima, lassé d’être pris à partie pour son homosexualité, la confronte à son hypocrisie, lui qui a bien compris où allait sa préférence. Se sentant prise au piège devant les autres, Fatima explose alors dans une violence soudaine. Pour le reste, contrairement à ce que l’on pourrait attendre, le secret de Fatima n’est pas exposé sur la place publique. Le sujet de la religion est lui aussi repoussé assez tard dans le film. Le combat de Fatima est avant tout de l’ordre de l’intime, contre elle-même.
Regard féminin
Comme dans ses films précédents, Hafsia Herzi insuffle de l’humour dans cette quête d’identité tourmentée. Ainsi le rendez-vous de Fatima via une application de rencontres avec une femme plus âgée qui explique ses « spécialités » au lit à la jeune naïve est à la fois tendre et décalée. Après cette découverte purement sexuelle et technique d’une homosexualité qui reste à explorer, les choses débutent vraiment lorsque Fatima s’attache à Ji-Na.
La façon de traiter la sexualité lesbienne s’éloigne ici de la vision très masculine, pour ne pas dire voyeuriste par son insistance, d’Abdellatif Kechiche dans La vie d’Adèle (2013). Hafsia Herzi, révélée en tant qu’actrice dans La graine et le mulet (2007) du même cinéaste, opte pour la pudeur qui va de pair avec le personnage de Fatima. Cette vision s’éloigne d’un regard et d’une pression patriarcale qui est dénoncée par petites touches tout au long du film.
Le petit ami de Fatima, gentil mais tellement transparent qu’il prête à rire et dont elle s’éloigne au début du film, incarne un portrait de la masculinité peu flatteuse. Une masculinité fantôme qui rejoint l’image d’un père, moins problématique que dans le livre, qui reste cependant avachi dans le canapé pendant que les femmes de la maison s’occupent des tâches quotidiennes de la charge mentale. Une présence spectrale qui fait écho à l’absence totale du père dans Bonne mère (2021), le second long-métrage de la réalisatrice.
À quels seins se vouer ?
Exploration de la culpabilité de Fatima par rapport à sa religion, à sa famille et à elle-même, La petite dernière met du temps à confronter directement le sujet de la foi qui perturbe Fatima dans sa pratique quotidienne. La discussion a finalement lieu avec un imam qui est véritablement imam dans la vie à l’instar du pneumologue qui s’occupe de l’asthme de Fatima. Alors que Fatima lui explique qu’une amie à elle est lesbienne, l’imam lui rappelle les préceptes d’une religion qui condamne cette « déviance ».
Les mots sont durs et blessants. Ils sont surtout accablants pour une religion dont le concept est censé rapprocher plutôt que diviser. Comme pour se dédouaner, l’imam remonte loin pour légitimer cet interdit. Des règles qui remontent à tellement loin qu’elles valent pour les autres religions partageant ce même rejet. Comme si le fait d’être partagée entre les cultes rendait l’homophobie plus acceptable. Cette généralisation peut-être considérée comme un pas de côté pour ne pas affronter directement cette intolérance religieuse gravée dans le marbre.
Mais cette ouverture au-delà de l’islam livre également une réflexion plus globale sur une homophobie qui vient de loin, enfantée par un patriarcat d’un autre âge qui a tenu la plume pour écrire et réécrire les textes sacrés. Une intolérance qui a infusé au sein des sociétés, brouillant parfois son origine, la rendant difficile à combattre. Un obscurantisme tenace qui fait au final pâle figure devant la liberté de Fatima et sa volonté d’aimer selon ses désirs ardents et son cœur battant.
> La petite dernière, réalisé par Hafsia Herzi, France – Allemagne, 2025 (1h47)