Jeune musicien établi en ville, Alus (Yider) retourne dans les vastes steppes mongoles qui l’ont vu naître. Un retour aux sources motivé par l’état de santé de sa mère Naranzug (Badema), devenue dépendante à cause des lents ravages de la maladie d’Alzheimer. Pour éviter que l’une de ses balades inopinées ne devienne un départ définitif pour l’au-delà, Alus est contraint d’attacher sa mère à l’aide d’une corde.
De nouveau liés comme au commencement de leur histoire commune, Alus et sa mère débutent un voyage à deux, à la recherche d’un arbre « yin-yang » légendaire, symbole de mémoire et d’identité.
Retour aux sources
Diplômée de cinéma à l’école 3iS de Paris, Sixue Qiao est originaire de Hulunbuir en Mongolie-Intérieure en Chine. L’idée de cette histoire sur le lien entre un fils et sa mère en perte d’autonomie lui est venue lors d’une rencontre avec une femme atteinte d’Alzheimer totalement désorientée dans une rue en France. Une errance qui fait alors écho pour la cinéaste à l’état de sa mère plongée dans une profonde dépression liée à la ménopause, marquée par des tempêtes émotionnelles intenses et des pensées suicidaires.
Contrairement au bouleversant The Father (2020) – lire notre critique -, la maladie d’Alzheimer est ici envisagée en dehors de tout diagnostic médical de toute façon impossible de part l’isolement. Les troubles de la mère sont ici les signes d’une lente régression qui ramène l’individu à l’enfance. Naranzug oublie ainsi peu à peu le monde, sa langue et son identité. Elle s’infantilise pour devenir à nouveau dépendante, comme un nourrisson. Dans le mouvement inverse, Alus revient sur les terres de son enfance mais doit assumer le rôle de protecteur, parent de sa propre mère.
L’inversion du rapport de dépendance entre le parent et l’enfant est au cœur de ce film alors que le fils quitte sa vie citadine. Le propos est d’autant plus fort dans The Cord of Life que le jeune Alus ne peut compter sur aucune aide pour prendre soin de sa mère dans l’immensité des steppes mongoles. Dans cet espace, personne ne vous entendra aider ! Cette absence totale de structure pousse Alus à un geste pour le moins surprenant : devoir attacher sa mère à lui pour éviter un drame.
Raccorder le cordon
Cette corde qui relie la mère et le fils et qui prend parfois un aspect comique pourrait être le symbole d’une maltraitance mais devient ici la preuve concrète d’un amour protecteur. Le symbole du cordon qui relie la mère à son nouveau-né est évidemment omniprésent, le titre original du film en mongol est d’ailleurs « Cordon ombilical ». Un terme qui, dans cette langue, ne désigne pas seulement le lien physique qu’il faut couper pour que le bébé commence officiellement son existence propre mais porte aussi des significations telles que la transmission et la connexion.
Dans la tradition mongole, ce cordon est même placé dans une petite poupée suspendue au berceau de l’enfant comme symbole de vie et rite de protection. Il est également courant d’attacher une cordelette aux enfants qui commencent à marcher pour éviter qu’ils ne se perdent dans la steppe. La boucle est donc bouclée lorsque le fils décide d’attacher – de se rattacher à – sa mère pour la même raison. Protection mais aussi contrainte, cette corde marque l’ambivalence d’un amour qui aliène, entre protection et dépendance. Comme pour la corde qui attache le jeune enfant, la question de l’héritage et de la liberté se pose et plane sur le film avec beaucoup de tendresse.
Cette relation entre l’oubli et la mémoire est également illustrée par la quête dans laquelle se lancent Alus et sa mère Naranzug : un « arbre du yin-yang ». Le cinéaste a découvert cet arbre dans une vidéo filmée par un de ses amis. Il s’agit de deux ormes, l’un complètement desséché, l’autre encore plein de vie, étroitement enlacés l’un à l’autre. Le symbole dans le monde végétal d’une situation d’entraide intergénérationnelle.
Remix
Dans la philosophie chromatique mongole, « khökh », le bleu, symbolise l’éternité et le sacré. Alors que le vert des steppes est attendu, The Cord of Life impose à l’écran l’omniprésence de ce bleu décliné dans des teintes variées. Un clin d’œil également à la croyance du peuple des steppes en le « Mongke Tangri », littéralement le ciel éternel, la divinité la plus puissante de la mythologie mongole. L’importance du son vient compléter cette référence divine.
Sixue Qiao convoque les lignes mélodiques envoûtantes des chants traditionnels mongols pour accompagner la vision des paysages des steppes. Des chansons que Alus fredonne en mémoire de l’époque où sa mère les lui chantait. Mais là aussi la question de l’héritage et de la liberté refait surface. Ces chants traditionnels, le jeune musicien les mêle à des sonorités électroniques dans ces steppes où l’héritage familial évolue irrémédiablement pour subsister, sous une autre forme.
À travers la corde vitale et les sons plus abstraits qui relient Alus et sa mère, The Cord of Life évoque avec un lyrisme discret l’effacement d’une mémoire qui pousse à la reconfiguration des liens affectifs. Une inversion du rapport de dépendance, comme prélude à un deuil, qui prouve que l’amour ne disparaît jamais vraiment même s’il ne tient plus qu’à un fil.
> The Cord of Life (Qi dai), réalisé par Sixue Qiao, Chine, 2022 (1h36)