Des vies fissurées
« Je vais te raconter une histoire, mon garçon.
Une histoire d’amour et de violence.
Une histoire que tu liras quand tu seras plus grand, bien plus grand. Car je n’en adoucirai pas les contours. Je n’occulterai ni la tragédie, ni les fêlures, ni la noirceur : comment te construire, si tu ignores ce qui se cache dans nos interstices ?
Chaque famille a ses silences.
Chez nous, les silences ne sont que des vacarmes suspendus.
Alors je vais tout te dire. »
Il y a Rose, qui retrouve sa maison d’une petite ville des Ardennes après une longue convalescence. Devenue amnésique à la suite d’un accident de voiture, elle tente de reprendre ce qui semble être sa vie, monacale et diablement solitaire. Mais le sentiment d’étrangeté qui l’habite et persiste au fil des jours semble impossible à chasser… Il y a Aïda, qui a laissé sa vie d’avant en Seine Saint-Denis, loin, bien loin de Toulon, où elle est recrutée à la Maison des femmes, qui accueille les victimes de violences conjugales. Il y a leurs nouvelles rencontres, homme rassurant pour l’une, homme trouble pour l’autre. Les destins de ces deux femmes sont forcément liés. Quand se croiseront-ils?
Julien Sandrel, l’art du page turner
À Citazine, on lit aussi — par curiosité, souvent — ce que les maisons d’édition nous envoient. Une manière de sortir de notre silo littéraire et de nous confronter à ce qu’en tant que lecteur, on n’aurait pas acheté.
Julien Sandrel s’est imposé dans le monde littéraire en 2018 avec La Chambre des merveilles, un succès mondial dont l’adaptation cinématographique est en cours. Avec Le jour où Rose a disparu, son dernier roman, il livre un thriller sentimental à l’eau de rose façon Marc Lévy. Les ficelles sont visibles, parfois épaisses, mais l’intrigue est dense, globalement bien tenue, et le suspense fonctionne. L’exercice tient du roman de gare — mais un roman de gare efficace, solidement construit, qui remplit son contrat : tenir le lecteur captif. Ce n’est pas une littérature « légère » au sens péjoratif ; c’est une fiction émotionnelle calibrée, tendue vers l’effet. Il y a là un réel savoir-faire de page turner.
Julien Sandrel ne choisit pas des thèmes anodins. Violences sexuelles, conjugales, intrafamiliales, emprise psychologique traversent le texte, au risque du survol. Une idée obsédante revient, celle de la violence sourde qui travaille, en héritage, les corps et les mémoires. « On n’échappe jamais vraiment à la violence. Elle fragilise, elle crée des failles invisibles, elle façonne des blessures profondes. » L’amnésie de Rose n’est pas qu’un ressort narratif : elle agit comme la métaphore d’une mémoire traumatique qui résiste au récit, qui refuse de se dire.
Le soupçon du grand nombre
Le jour où Rose a disparu appartient à cette catégorie de romans que la critique institutionnelle ignore presque systématiquement. Trop populaires. Trop lisibles. Les disqualifier est confortable, mais surtout d’une extraordinaire fatuité.
Car cette littérature, qui circule en périphérie du centre névralgique intellectuel, essaimant les centres culturels Leclerc et plateformes d’e-commerce, dit quelque chose d’essentiel : ce que nombre de lecteurs attendent d’un roman — une histoire qui vous scotche et vous distrait. On peut en pointer les limites, les ficelles, l’absence d’ambiguïté stylistique ; toujours est-il qu’ici, la littérature remplit son office de divertissement.
La promesse de Julien Sandrel ? Vous vider la tête.
Souvenir périssable, mais pari tenu.
