Utilisateur d’une application de rencontre entre gays, Charlie (Wang Ko Yuan) enchaîne les rendez-vous charnels dans la discrétion des nuits hongkongaises. À chaque fois, il se présente sous un nouveau jour, avec une personnalité reconstituée à partir des confidences de son amant précédent. Insaisissable, Charlie incarne une altérité en constante mutation, dans la peau de ces hommes de passage. Sa façon à lui, toute paradoxale, d’être vraiment lui-même.
Relations à distance
Cette idée étonnante d’un homme s’appropriant l’identité de ses amants et venue à Jun Li lors de la pandémie de COVID-19. Une période pendant laquelle il a été séparé de son partenaire Zenni. Lorsque le cinéaste a enfin pu rencontrer la famille de Zenni, la réaction de ses proches a été de plaisanter sur le fait qu’il existait vraiment. Ce qui fait qu’une relation est considérée comme réelle est au cœur du Queerpanorama. Une exploration qui se nourrit du lien qui unit le cinéaste avec son partenaire : en relation ouverte, ils continuent à faire des rencontres chacun de leur côté sur une application.
Cette définition d’une « véritable rencontre » plane sur le quotidien de Charlie qui se réinvente à chaque partenaire. Un comportement de caméléon qui entre là aussi en résonance avec la vie du réalisateur, un des rares ouvertement gay à Hong Kong. Pour rester anonyme, il arrive à Jun Li de se créer une identité en reprenant des éléments d’une histoire d’une personne rencontrée récemment. Charlie est l’alter ego à peine voilé du réalisateur, tel un écrivain qui se nourrit des histoires qu’il entend et s’en sert pour créer personnages et intrigues.
Virtual insanity
L’application qui permet ces rencontres entre hommes, réputées plus libres, est le lieu virtuel par excellence des rencontres faciles, instantanées, et quasiment illimitées. Régie par la proximité physique et le désir sexuel, la sélection des profils rencontrés par Charlie est hétéroclite avec de nombreux partenaires étrangers venus s’installer à Hong Kong. Une mondialisation de la rencontre dont le brassage culturel vient renforcer l’aspect vertigineux créé par le changement constant d’identité.
Avec ses scènes de sexe adoucies par l’usage du noir et blanc mais qui restent assez explicites, Queerpanorama n’occulte pas l’usage purement récréatif de l’application au risque que tomber sur des personnes qui traitent leur partenaire comme un « morceau de viande » selon Jun Li. Mais le cliché de rencontres uniquement motivées par l’assouvissement d’un désir sexuel est contrebalancé par des échanges qui dépassent la seule fusion des corps. Même si la rencontre n’est que furtive, le respect n’est heureusement pas forcément absent. Le lien peut même devenir spirituel. C’est d’ailleurs cette intimité d’esprit qui permet à Charlie de capter la personnalité de ses amants pour l’incarner dans un jeu de miroirs à réflexion retardée.
Dans la peau de l’autre
Queerpanorama est d’autant plus personnel pour Jun Li qu’il a souhaité mettre en scène ses partenaires sexuels en recréant la scène de leur rencontre avec une part de fiction. La moitié d’entre eux ont accepté de figurer dans le film et qu’une partie de leur histoire soit celle de leur personnage. Le reste des amants proviennent de casting ouverts, seul Wang Ko Yuan qui incarne Charlie a une véritable expérience de comédien, offrant une spontanéité bienvenue aux échanges.
De nationalité en nationalité, de profil en profil, Queerpanorama impose un kaléidoscope d’identités empruntées d’autant plus troublant que les rencontres ne sont pas forcément présentées dans l’ordre chronologique. Ainsi le spectateur est incapable de définir la réelle identité de Charlie. S’est-elle seulement exprimée une seule fois ? Mais est-ce si important au final ? Ces rencontres charnelles interrogent au final la place de la personnalité et l’importance des mots dans l’attirance. Une réflexion qui tend vers l’universel et peut évidemment s’étendre à la sphére des rencontres hétéro soumises à plus de régles, à commencer par les lourdes injonctions patriarcales.
Carnet de bord réincarné des rencontres du cinéaste, Queerpanorama séduit par son noir et blanc qui uniformise des rencontres à l’identité sans cesse renouvelée. Peu à peu, le film impose son ambiance de flottement déroutante avec des rencontres numériques à la fois superficielles et intimes, désincarnées et profondes. D’une complexité finalement très humaine.
> Queerpanorama, réalisé par Jun Li, États-Unis – Hong Kong, 2025 (1h27)