Omar Little est mort une seconde fois. Mémorable figure de The Wire, le "Robin des Blacks" de Baltimore avait tout du grand personnage iconique. Un homme dont on se dit qu’il ne pouvait exister que dans les pages d’un scénario. Un anti-héros sombre et subtil, à fleurs de "mots".
Sauf qu’Omar a réellement existé. Et que son décès, survenu la semaine passée, remet une fois encore sur le devant de la scène toutes les séries qui s’appuient sur une histoire vraie.
Dans la "vraie vie", Omar s’appelait Donnie. Spécialiste du braquage de dealers à Baltimore Ouest dans les années 80, Donnie Andrews était un hors-la-loi différent. Son credo : cibler les vendeurs de dope mais ne jamais s’en prendre à ceux qui ne sont pas dans la partie, à commencer par les femmes et les enfants. Et c’est ça que l’on retrouve d’abord chez Omar.
Décédé à 58 ans à la suite de problèmes cardiaques, Andrews aura été une des principales sources d’inspiration du scénariste David Simon pour créer ce personnage de fiction. D’autres traits de caractère ont été empruntés à d’autres figures.
A la différence du romancier Jeff Lindsay – qui a toujours nié s’être inspiré de l’ex-flic justicier Manuel Prado Jr pour créer le personnage de Dexter – Simon et ses scénaristes ont toujours revendiqué qu’ils s’inspiraient de personnes réels pour raconter des histoires.
Treme et les voix de la Nouvelle Orléans
C’est le cas par exemple dans Treme, la série qui parle de la Nouvelle Orleans post-Katrina. Pour le coup, la filiation entre personnages fictifs et personnes réelles est encore plus forte. « Pour rendre cette série aussi réaliste que The Wire, nous nous appuyons beaucoup sur des personnes qui vivent à la Nouvelle Orleans », confirmait à ce propos David Simon, lors d’un passage en octobre à Paris.
Ce qui se voit directement à l’écran : Davis MacAlary, joué par Steve Zahn, est directement inspiré d’un vrai musicien, Davis Rogan, qui est consultant sur la série. Creighton Bernette, interprété par John Goodman dans la saison 1, est l’incarnation d’Ashley Morris, blogueur local. L’idée, à chaque fois, est de laisser parler les hommes (surtout les hommes d’ailleurs…) pour donner une vraie voix aux héros. Et pour que la fiction marche encore mieux.
Car il ne faut pas s’y tromper : si les séries se nourrissent parfois fortement du réel, c’est pour mieux servir les intrigues. Et cela depuis plus de 20 ans.
Law & Order : 20 ans de faits divers… et DSK
Depuis quand exactement ? Principalement depuis 1990, et le lancement de la franchise Law & Order. Connues sous les titres New York Police Judiciaire, New York Unité Spéciale, New York Section Criminelle ou encore New York Cour de Justice, ces séries sont les spécialistes des scénarii inspirées des gros titres des journaux.
Dès le deuxième épisode de New York Police Judiciaire, la série s’empare de l’affaire Bernhard Goetz, un homme poursuivi pour avoir tiré sur des personnes qui ont tenté de l’agresser dans le métro.
Devenu le symbole du ras-le-bol des New Yorkais face à la recrudescence d’actes violents, Goetz avait été acquitté, et c’est ce que raconte l’épisode. A ceci près que l’accusé devient une femme, jouée par une toute jeune Cynthia Nixon (Miranda dans Sex and The City).
Ce premier exemple sera suivi d’une longue, très longue liste. New York Section Criminelle, avec Tomorrow (saison 2) et l’affaire des sœurs Papin (au cœur du film Les blessures assassines) ; New York Unité Speciale, avec Annihilated (saison 8) et l’affaire Romand… A chaque fois, les noms ont été changés, les situations adaptées et le lien entre fiction et réalité subtilement tissé.
Le cas le plus célèbre restera tout de même l’adaptation de l’affaire DSK dans la saison 13 de New York Unité Spéciale, avec un épisode (Scorched Earth) diffusé à peine cinq mois après les faits. L’objectif : exploiter le potentiel dramatique de l’affaire, aussi médiatique fut-elle… mais aussi aller un peu plus loin.
La série part en fait d'une situation donnée « pour aborder des problèmes sociétaux intéressants, comme l’explique Alain Carrazé, spécialiste des séries télé sur son blog. Dans le cas de l'épisode centré sur le cas DSK, les sujets abordés, comme l'immunité morale et physique, et le doute qui plane sur la crédibilité d'une victime de par la couleur de sa peau, sont des éléments qui méritent d'être soulignés et peuvent engendrer un débat ».
The Shield et le scandale Rampart
Ne pas s’enfermer dans le caractère sensationnel. Tisser le fil d’une intrigue forte, pour aborder des questions de fond : telle est l’ambition de ces fictions. Comme c’était celle de Shawn Ryan, lorsqu’il a créé The Shield (2002/2008).
Si la série met en vedette un flic pourri, elle s’inspire directement du scandale de Rampart, un quartier de Los Angeles dans lequel les membres d’une unité spéciale de la police ont été condamnés pour trafic de drogue.
De nombreuses similitudes existent entre Vic Mackey et Rafael "Ray" Perez, le "vrai" flic au cœur de l’affaire. Notamment la façon dont se conclut leur histoire. Dans un documentaire produit parallèlement à la saison 7, le scénariste-producteur ne cache d’ailleurs pas que The Shield est né du choc qu’a provoqué chez lui l’interpellation des policiers de cette brigade anti-gang. Cette unité avait effectivement été créée pour endiguer la violence dans un quartier pauvre de la Cité des Anges, et Perez en était un des fers de lance…
Dexter, Omar, Vic Mackey ou Davis MacAlary, autant de personnages qui lorgnent ostensiblement vers le réel ? Des hommes surtout au service de grandes fictions. Et c’est pour ça que c’est aussi bon. A ce petit jeu –et en dehors de notables exceptions, comme Engrenages et sa saison 4 branchée sur l’ultra-gauche- la France a encore du chemin à parcourir…