« Vita & Virginia », une romance à soi

« Vita & Virginia », une romance à soi

« Vita & Virginia », une romance à soi

« Vita & Virginia », une romance à soi

Au cinéma le 10 juillet 2019

En 1922, l'aristocrate mondaine Vita Sackville-West et l'écrivaine Virginia Woolf débutent une relation passionnelle à l'encontre des conventions sociales de l'époque. Paré d'atours modernes en décalage avec le classicisme de l'ensemble, Vita & Virginia semble chercher son style et peine à captiver malgré quelques fulgurances poétiques qui dévoilent tout le potentiel de cette romance en tout point singulière.

Lorsqu’elle se rencontrent en 1922, un monde sépare Vita Sackville-West (Gemma Arterton), aristocrate mondaine, et Virginia Woolf (Elizabeth Debicki), femme de lettres aux idées très progressistes. Mais, malgré leurs différences et leur entourage respectif craignant le scandale, les deux femmes qui partagent la même passion pour l’écriture entament une relation intime parfois tumultueuse.

Inspirée par la fascinante Vita, Virginia donnera naissance à Orlando, une biographie imaginaire se déroulant sur quatre siècles dont le personnage change de sexe pendant le récit. Réflexion sur le genre et les rapports entre les sexes d’une incroyable modernité, ce livre dédié à Vita sera publié alors que la relation amoureuse entre les deux femmes semble être dans l’impasse.

Vita & Virginia © Orlando / Blinder Films Limited 2018

Femmes de lettres

Lorsque le nom de Virginia Woolf est évoqué, il y a de fortes chances que le film The Hours (2002) réalisé par Stephen Daldry soit mentionné avant même Mrs Dalloway, roman emblématique de l’écrivaine dont il s’inspire très librement. Pour beaucoup de personnes — et notamment ceux qui n’ont jamais lu ses livres —, Virginia Woolf est immédiatement associée au sublime film du réalisateur de Billy Elliot (2000) qui avait su dépasser l’adaptation littéraire et le biopic conventionnel pour faire fusionner la vie de l’auteur et son œuvre dans un film bouleversant, hanté par le spectre du suicide.

Proposer une nouvelle plongée dans l’univers de l’écrivaine était donc un sacré défi pour Chanya Button qui signe là son second long métrage. Mais il faut se garder d’une comparaison trop directe avec le film de Stephen Daldry car la proposition de Chanya Button s’inscrit dans une forme de biopic plus conventionnelle et dont le sujet est centré sur la relation entre les deux autrices et pas seulement sur Virginia Woolf.

Vita & Virginia est directement adapté de la pièce de théâtre éponyme écrite par Eileen Atkins en 1992 dans laquelle l’abondante correspondance entre Vita Sackville-West et Virginia Woolf — de leur rencontre au début des années 20 au suicide de cette dernière en 1941 — est lue sur scène par deux comédiennes.

Alors que la pièce allait être adaptée au cinéma, Eileen Atkins a pensé à l’actrice Gemma Arterton pour interpréter Vita et cette dernière a parlé du projet à Chanya Button qui avait justement consacré son mémoire de fin d’études à la correspondance et aux essais de Virginia Woolf. L’équipe idéale pour mener à bien le projet semblait alors réunie.

Vita & Virginia © Orlando / Blinder Films Limited 2018

Mais si on ne peut mettre en doute l’intérêt et l’attachement de la cinéaste pour la romancière, les bonnes intentions ne suffisent pas toujours pour rendre toute la complexité d’une relation et réussir le défi de rendre vivante une correspondance — par définition — très littéraire.

Une question de style

Devant la complexité de l’adaptation d’une pièce de théâtre  — elle même basée sur des lettres —, la cinéaste a fait des choix surprenants qui, au final, font osciller le film entre un classicisme décalé par rapport à l’avant-gardisme de ses protagonistes et des effets modernes qui sonnent faux. Pourtant, Chanya Button était bien consciente du caractère particulièrement moderne de Vita, Virginia et leur entourage et assure qu’elle voulait insuffler ce souffle de liberté dans son film.

Libéral et progressiste, le groupe Bloomsbury auquel participait Virginia mais aussi son mari Leonard et sa sœur Vanessa ne ratait en effet jamais une occasion de provoquer la société de l’époque, attaquant notamment l’inégalité sexuelle structurelle de celle-ci. Pour incarner cette modernité, la cinéaste a notamment fait appel à la compositrice Isobel Waller-Bridge qui livre une partition électronique étonnante pour un film se déroulant au début du XXème siècle. Mais cet habillage musical décalé se heurte à l’aspect classique de la réalisation et c’est un sentiment étrange qui se dégage au final de ce film partagé entre réalisme et lyrisme.

Cet aspect quelque peu schizophrène se retrouve dans le soin apporté à la vraisemblance des décors dans lesquels évoluent des personnages interprétés par un casting aux ressemblances approximatives. Incarnée par l’actrice Elizabeth Debicki — qui n’a pas été « enlaidie » comme Nicole Kidman dans The Hours —, Virginia Woolf devient curieusement blonde

Un choix particulier d’autant plus que Vita et Virginia sont interprétées par deux actrices qui ont quasiment le même âge alors qu’une décennie séparait en réalité les deux amantes. Tout biopic possède évidemment ses approximations mais ces détails qui s’accumulent renforcent ce sentiment étrange d’un film partagé entre classicisme et une modernité pas totalement assumée.

Vita & Virginia © Orlando / Blinder Films Limited 2018

Et la nature littéraire de la matière première — les lettres échangées par Vita et Virginia de leur rencontre jusqu’à l’écriture du roman Orlando — n’aide pas le film à se départir d’un classicisme étouffant. Malgré le travail d’adaptation, il est en effet difficile de rendre justice aux mots des deux écrivaines qui sont, par définition, profondément marqués par leur style littéraire respectif.

Le solide jeu des actrices — Elizabeth Debicki notamment incarne une Virginia Woolf d’une fragilité touchante — peine malheureusement à faire oublier ces répliques qui sonnent parfois de façon artificielle. Quant aux inévitables scènes où les lettres sont « lues » à l’écran — les deux femmes, visage filmé en gros plan et à moitié flouté, déclament leur missives respectives chacune leur tour comme si elles se faisaient face —, elles sont peu convaincantes d’autant plus que le procédé est récurrent.

Patriarc-out

Faut-il alors snober Vita & Virginia plombé par un style bancal qui se cherche ? Le film de Chanya Button risque de plonger les admirateurs de Virginia Woolf dans un océan de perplexité mais il a le mérite d’explorer — tant bien que mal — la relation compliqué entre ces deux femmes éprises de liberté et peut intéresser les spectateurs les plus indulgents qui souhaiteraient découvrir l’écrivaine ou compléter leurs connaissances à son sujet.

La fragilité psychologique de Virginia Woolf et ses périodes de dépression — intervenant souvent après avoir fini un nouveau livre — restent quelque peu en retrait dans le récit mais sont notamment symbolisées par plusieurs scènes où l’écrivaine semble hypnotisée par l’eau alors que son esprit divague, référence aux circonstances de sa disparition.

Vita & Virginia © Orlando / Blinder Films Limited 2018

Malgré ses faiblesses, cette tentative de lever le voile sur la relation complexe entre les deux femmes reste attachante pour la soif de liberté qui s’en dégage. L’aspect charnel de la relation entre Virginia et Vita vient quelque peu déconstruire l’image de frigidité associée à Virginia Woolf — qu’elle a elle-même en partie validée dans ses journaux et lettres — et vient offrir un regard différent sur l’écrivaine. Le film réussit également à cerner plutôt finement les différences de personnalité entre les deux amantes qui finiront par mettre un terme à leur relation intime.

L’histoire d’amour de Vita & Virginia rappelle également que les deux femmes étaient incroyablement en avance sur leur temps. Orlando, le fruit de leur passion, est à ce titre un roman — aussi bien dans le style que dans le propos — d’une furieuse audace. Ce livre qui fit connaître Virginia Woolf au grand public — avant cela les écrits de Vita Sackville-West étaient plus populaires que ceux de son amante — est également le plus sulfureux dans une Angleterre ou les relations saphiques et les questions de genre étaient un tabou.

Le film de Chanya Button nous rappelle que Vita et Virginia — par leur attitude et leurs écrits — ont su bousculer une société cadenassée par un patriarcat « naturel » que ça soit sur la question du genre ou de l’égalité femme-homme.

Vita & Virginia © Orlando / Blinder Films Limited 2018

Au-delà de son message progressiste, Nigel Nicolson, le fils de Vita, a décrit Orlando comme « la plus longue lettre d’amour de l’histoire » et il y a en effet quelque chose de touchant dans cette biographie fantasmée écrite par Virginia et dédiée à Vita avant que leurs chemins se séparent.

Malgré la rupture amoureuse, les deux femmes resteront cependant amies jusqu’à la mort de Virginia en 1941. Les quelques moments poétiques qui submergent dans le film donneront probablement envie aux néophytes de découvrir la correspondance entre les deux femmes dans sa totalité et — il faut l’espérer — l’œuvre littéraire de Virginia Woolf, indémodable.

Tiraillé entre son aspect classique et ses désirs de modernité, Vita & Virginia peine à faire vivre à l’écran la folle passion de cette histoire d’amour malgré des prestations à la hauteur. Pour rendre hommage à ce couple inspirant les images passent mais heureusement les écrits restent.

> Vita & Virginia, réalisé par Chanya Button, Royaume-Uni, 2018 (1h50)

Vita & Virginia

Date de sortie
10 juillet 2019
Durée
1h50
Réalisé par
Chanya Button
Avec
Elizabeth Debicki, Gemma Arterton, Isabella Rossellini, Peter Ferdinando, Rupert Penry-Jones
Pays
Royaume-Uni