Mira (Preeti Panigrahi), 16 ans, mène une vie d’élève studieuse dans un pensionnat d’élite du nord de l’Inde. Lorsque la date des examens approchent, sa mère Anila (Kani Kusruti), 38 ans, revient s’installer dans la région pour la soutenir et veiller sur elle. Mais, Sri (Kesav Binoy Kiron), un nouveau camarade de classe, débarque dans la vie de Mira et vient tout chambouler.
Alors que le jeune couple se tourne autour, Anila devient de plus en plus présente, au point de devenir envahissante. La relation entre les deux femmes se crispe, chacune confrontée à ses propres désirs.
Vocation
Jeune réalisatrice indienne, Shuchi Talati aurait pu passer à côté de sa vocation cinématographique. Élève brillante, à l’instar du personnage du film, ses parents lui prédisaient un avenir dans l’ingénierie ou la médecine. Un choix ce carrière « naturel », imposé par la pression sociale, que la jeune femme a su rejeter en se lançant dans des études de littérature anglaise.
Shuchi Talati a été définitivement détournée de ce destin déjà tracé pour elle par la vision du film Trois couleurs: Rouge (1994) de Krzysztof Kieslowski en cours d’analyse filmique. L’envie de raconter des histoires sur grand écran s’est alors révélée comme une alternative aux trajectoires imposées.
Un choix plutôt judicieux et payant car Girls Will Be Girls a su se faire remarquer au Festival du film de Sundance. Ce premier long métrage est en effet reparti avec un prix d’interprétation mérité pour l’actrice Preeti Panigrahi et le prix du public dans la catégorie World Cinema Dramatic.
Tout tracé
En 2012, la réalisatrice indienne explorait déjà la rigidité de la société indienne avec le court-métrage Me & Ash (2012), histoire d’un jeune couple testant un ménage à trois. Cette volonté d’explorer les tabous et pressions imposés par l’entourage proche ou la société se retrouve naturellement dans son premier long métrage avec la question du genre en toile de fond.
Girls Will Be Girls invite à prendre les chemins de traverse pour faire mentir l’affirmation de son titre malicieux, entre ironie et défiance. Chacune à leur façon, Mira et sa mère Anila refusent de se plier à ce que l’on attend d’elles. Ainsi l’adolescente projette ses émois sexuels naissants dans les bras de Sri pour échapper à l’étiquette de l’élève modèle. Anila tente de son côté de raviver la flamme des sens en voulant conjurer son rôle assigné de mère asexuée dévouée à sa progéniture.
Le fait que le film se déroule à la fin des années 90, période marquée par l’ouverture de l’économie indienne aux exportations occidentales, n’est pas un hasard. Ce bouleversement économique a aussi été culturel avec l’opposition de valeurs venues d’occident jugées débauchées et une « indianité » célébrée en opposition comme vertueuse. Au cœur de cette lutte, le corps des femmes et ce qu’elles en font. Une lutte pour la liberté qui fait toujours rage dans de nombreuses régions du pays.
L’essence de la découverte
A l’instar de son court-métrage A Period Piece (2020) sur le sujet encore tabou des menstruations, Shuchi Talati évoque ici l’éveil sexuel de son héroïne sans tabou. Sans être voyeuriste, la découverte de sa sexualité par Mira sert de fil rouge à son émancipation : du baiser sur la main pour s’entraîner à embrasser en passant par la masturbation libératrice et enfin la planification minutieuse d’un premier rapport intime avec Sri.
Cette découverte de son corps entre en résonance avec le pensionnat d’élite très traditionnel qu’elle fréquente. Dans ce lieu, les filles sont surveillées pour protéger leur « vertu » alors que les garçons sont laissés libre d’agir comme ils le souhaitent, y compris avec des comportements problématiques. Une injustice contre laquelle Mira se rebelle vigoureusement sans vraiment émouvoir les responsables de l’école.
En assumant son désir naissant pour Sri, Mira rejette la honte de son propre corps imposée par les injonctions patriarcales. Derrière l’intime, le politique n’est jamais loin. Au récit classique du passage à l’âge adulte, Girls Will Be Girls ajoute un sous texte sociétal omniprésent. C’est tout l’environnement dans lequel la relation amoureuse entre les deux adolescents se construit qui est malicieusement remis en question. Leur désir naissant doit affronter la pression sociale mais aussi l’ombre d’une mère devenant très envahissante, poussée elle aussi par un fort désir de vivre – à nouveau – des sensations fortes.
Telle fille, telle mère
Sur le papier, la concurrence de l’adolescente et de sa jeune mère pour le même jeune homme est un parti pris risqué. La situation peut rapidement tourner à la farce douteuse et malaisante. Il en est rien pour Girls Will Be Girls grâce au regard porté par sa réalisatrice sur Mira et sa mère, aucune n’étant le faire valoir de l’autre mais traitées de façon égalitaire.
Au-delà des interprétations subtiles des deux actrices, la force du film réside dans cette volonté de suivre l’évolution des deux femmes, à l’aune de leurs désirs naissants ou retrouvés. Alors que la tension entre la mère et la fille se fait progressivement plus forte, elles sont surtout amenées à reconsidérer leur rapport respectif vis à vie de Sri qui joue de son charme pour obtenir les faveurs de son entourage.
En réalisant ce recadrage habile, Girls Will Be Girls évite la confrontation frontale entre les deux femmes. Son propos, bien plus subtil, invite à considérer les envies et besoins de Mira et Anila pour ce qu’ils sont, l’expression d’un désir réprimé dans les deux cas par une société assignant à chacune un rôle bien précis.
Loin de l’affrontement malsain entre une fille et sa mère, Girls Will Be Girls transpose son sujet en un propos politique d’autant plus subversif où les deux femmes symbolisent une même pression patriarcale sur les corps, à deux âges différents. Il s’agit moins d’un duel qu’une revendication politique pour une jouissance féminine sans entrave ni jugement.
> Girls Will Be Girls, réalisé par Shuchi Talati, Inde – France- États-Unis – Norvège, 2024 (1h58)