Vinyle, pochette et pinceau

Vinyle, pochette et pinceau

Art

Vinyle, pochette et pinceau

Art

Vinyle, pochette et pinceau

Art

5 décembre 2011

Imaginez vos albums vinyles préférés avec une pochette qui n'a plus rien à voir avec l'originale. L'exposition "Music Covers", au Point Ephémère, rassemble les créations d'une cinquantaine d'artistes qui ont revisité les visuels, célèbres ou plus énigmatiques, de 33 tours. Des Clash à Pierre Perret, en passant par Jimi Hendrix et Martin Circus. Rafraîchissant.

What's going on (Marvin Gaye) de Christophe Hittinger. | Visuel Point Ephémère  

Il est plutôt rare de voir la pochette d’un album d’ACDC avec celle d’un disque de Chantal Goya. Il n’est pas non plus courant que Tout pour la musique de France Gall partage le même espace que Sergent Pepper’s des Beatles. L’exposition « Music Covers », au Point Ephémère, réunit pourtant ces albums et n’est pas à un grand écart musical près. Ici, c’est bien de la pochette dont on parle, non du contenu sonore. Sébastien Ruiz a eu la bonne idée de demander à des artistes de réinterpréter, de rendre hommage ou même de réinventer complètement une jaquette de vinyle qui les a marqués.

Aucune contrainte, aucune consigne donnée à ces illustrateurs, dessinateurs, photographes, peintres et écrivains. Seul impératif, le format, celui du vinyle : 31,5 x 31,5 cm. Le résultat est plutôt bluffant. Varié, original, créatif. Alors que l’album Way Out West de Mae West est revisité au stylo à bille quatre couleurs par Jacques Floret, la célèbre pochette de l’album du Velvet Underground – la banane d’Andy Warhol – est détournée par la photographe Renaud Monfourny. Résultat ? Une banane en état de décomposition. « Les artistes que j’ai contactés sont de toutes les générations. Quasiment aucun n’avait déjà travaillé pour réaliser une vraie pochette vinyle. Ca prouve que l’industrie musicale ne fait plus appel à des artistes, ou de moins en moins, pour les pochettes d’album, notamment chez les plus gros labels, regrette Sébastien Ruiz, concepteur de l’exposition. Ils utilisent toujours le même photographe, le même graphiste. Cette exposition, c’est aussi un moyen de montrer qu’il y a de vraies propositions graphiques, une vraie diversité. Si ça peut donner envie à de petits labels… »

« L’image en dit aussi sur l’intimité d’un artiste, sur ses envies »

53 artistes, une petite soixantaine d’œuvres. Pas uniquement des pochettes d’album rock, même si elles représentent la grande majorité des réinterprétations. Jazz (Duke Ellington & John Coltrane), musique classique (J. S. Bach) et chansons françaises (petit sourire en coin avec Martin Circus, Pierre Perret ou Stone et Charden) sont également de la partie. Comme pour montrer que la créativité sur une pochette n’est pas liée au style musical. La pochette sombre du premier album de Joy Division, Unknown Pleasures, a été revisitée à trois reprises (dont une en 3D, à la gouache, avec papier découpé), alors que David Bowie, PJ Harvey, les Rolling Stone et les Stooges sont également à l’honneur dans des styles complètement différents : stylo, feutre, encre de Chine, crayon, acrylique, aquarelle, pastel, etc.

Duke Ellington et John Coltrane, de François Olislaeger. | Visuel Point Ephémère

« Music Covers », une exposition qui tombe à pic quelques mois après la mort d’Alex Steinweiss, l’Américain qui a inventé – et révolutionné – le graphisme de la pochette de disque vinyle en 1938. Avant lui, pas d’habillage ni d’illustration, du simple papier kraft pour emballage : tous les albums se ressemblaient. Avec lui, c’est l’explosion du visuel. Désormais, il y aura la musique ET l’image. Deux éléments qui resteront indissociables pendant de longues années. Jusqu’à l’arrivée du CD, qui marque le recul du visuel dans les années 80, et encore davantage avec celle du format numérique (oui, regardez bien la taille du visuel d’un album de votre iPod-iPhone-iPad) : la musique, on l’écoute en mp3. Le graphisme et l’esthétique de la jaquette sont aujourd’hui rarement la raison de l’achat de l’album. Conséquence, les labels consacrent souvent un tout petit budget à la pochette.

Marc et Robert (Rita Mitsouko), de Benoît Preteseille. | Visuel Point Ephémère

Pourtant, Sébastien Ruiz n’a pas la volonté de défendre l’idée que le numérique tue l’image. « Je suis moi-même consommateur de numérique. Ce qui m’inquiète fortement, c’est l’absence d’objet, d’image, en ce moment, dans la musique, explique celui qui est par ailleurs responsable de la « Galerie du jour » Agnès b. A la fin des années 60, début des années 70, il y avait les albums-concepts. Aujourd’hui, cela n’existe quasiment plus. C’était un tout : des morceaux qui racontaient une même histoire, un visuel qui allait dans ce sens, avec une réelle recherche d’objets. On pouvait même faire un double album, ça faisait encore plus d’images. Aujourd’hui, on a uniquement un objet « musique », assez dépouillé du reste. C’est une forme d’appauvrissement. L’image en dit aussi sur l’intimité d’un artiste, sur ses envies. »

Quand la guitare de London Calling devient une pioche

« Music Covers », ce n’est pas une exposition gigantesque. Au contraire. En un coup d’œil, on embrasse l’ensemble des pochettes… Mais il faut ensuite s’approcher, scruter, zieuter, regarder le détail, voir le trait, le coup de crayon pour apprécier la créativité des artistes. Sébastien Ruiz a réussi son coup. Mélanger le travail d’artistes reconnus comme Jochen Gerner, Stéphane Blanquet ou Luz avec des créateurs qui exposent pour la première fois : Emilie Ouvrard (qui s’est attaquée deux fois à Electric Ladyland de Jimi Hendrix), David Benmussa et son Joy Division en relief…

Sergent Pepper's (The Beatles) de David Scrima. | Visuel Point Ephémère
Coup de cœur pour la version revue et corrigée de London Calling, par Ruppert et Mulot, auteurs de bande dessinée. Le duo a été inspiré par la célèbre pochette des Clash, sur laquelle Paul Simonon fracasse sa guitare sur scène. Dans l’esprit de Ruppert et Mulot, ça donne un Londonien équipé … d’une pioche, en train de jardiner. Space Invaders, lui, s’est armé de Rubik’s Cube pour revisiter à sa manière Rock’n’roll animal de Lou Reed. L’œuvre (82 x 82 cm !), qui existait déjà et n’a pas été créée spécialement pour l’exposition, vaut le détour. Ne serait-ce que parce que c’est le seul artiste de street art présent dans « Music Covers ».

The expanding universe big band, de Samon Takahashi. | Visuel Point Ephémère

L’exposition de Sébastien Ruiz ne transpire pas la nostalgie. Mais elle met en valeur la créativité de nombreux artistes qui n’ont pas l’occasion de mettre leurs talents au service d’un objet autrefois sacré et à l’esthétique soignée : la pochette de vinyle. Le lieu retenu pour cette exposition originale, n’a rien d’un hasard. « Le Point Ephémère, c’est un lieu de diffusion culturelle, surtout de musique mais aussi d’exposition. Or, j’ai l’impression que dans ces deux espaces proches physiquement, le public ne se croise pas toujours. Il n’y a pas de rencontre. C’est assez représentatif de ce qui se passe entre art contemporain et musique : une séparation assez forte, une forme de défiance, de réticence. » Encore une vertu de la pochette de 33 tours : réunir ces deux mondes le temps d’une exposition.

> Music Covers, jusqu’au 14 janvier 2012, au Point Ephémère. Exposition ouverte tous les jours de 14h à 19h. Entrée libre.